Un voyage extraterrestre : (re)découvrir Jann Halexander – 3/4

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Jann Halexander, le 5 novembre 2022 lors du spectacle “Juste Catherine Ribeiro” au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Photo : Rozenn Douerin.

 

Personnage récurrent de ce cybercalepin, Jann Halexander vient de publier un clip actualisant, prolongeant et explicitant l’une des chansons qu’il n’a quasi pas le droit de ne pas entonner lors de ses concerts de peur d’être taillé en pièces à l’issue de sa prestation. C’est l’occasion de faire une revue en 4X3 des principales vidéos qui ont jalonné les vingt ans de fredonneries affichés au compteur de l’abducté le plus célèbre de la chanson française actuelle.


Le programme
1. Les tubes de l’extraterrestre
2. Les territoires de l’extraterrestre
3. La galaxie de l’extraterrestre
4. Les extras de l’extraterrestre


Troisième épisode
La galaxie de l’extraterrestre

Jann Halexander n’est pas un chef de bande, plutôt un artiste autour duquel gravitent d’autres hurluberlus. Comprendre l’œuvre de Jann exige moins de comprendre chacun de ses compagnons de route que d’entendre cette démarche et d’intégrer ce choix dans la perception du projet halexandérien. Rien d’étonnant à ce que le chanteur développe cet esprit sinon de bande, du moins de proximité fluide. En effet, pour être singulier, il faut être plusieurs. Or, le chanteur sait pimper sa singularité en s’associant ponctuellement à des “gens qui l’accompagnent” comme aurait dit Jean Dubois. Les gens qui accompagnent Jann Halexander changent, reviennent, disparaissent, prennent leur envol parfois et, à leur tour, s’entourent de gens qui les accompagnent.
À chaque fois, la musique que propose l’artiste, quoique personnelle et faite maison, semble se nourrir des spécificités de chaque corps artistique gravitant autour de l’ACI. Parmi les proximités qui ont défié donc défini son identité, le spectacle “Du Gabon à la Russie” l’a ainsi uni à Veronika Bulycheva dans une confrontation qui a connu maintes représentations sur plusieurs saisons et vient de se dénouer en terrain neutre s’il en reste, en l’espèce la Suisse.

 

 

Le spectacle interroge forcément et férocement l’identité, mot-dièse essentiel du répertoire halexandérien. Travailler avec l’autre permet à la fois d’exprimer son identité (artistique mais pas que), de la confronter à la perception que les autres en ont et de la frotter aux identités des autres. Voilà qui résonne depuis vingt ans mais qui prend une acuité puissante à une époque où l’étranger, l’autre, le différent est stigmatisé comme ennemi non parce qu’il est hostile mais parce que sa seule présence représente un danger pour mon identité. Au reste, l’époque est d’autant plus glaçante qu’elle ne rejette pas l’étranger : elle l’accepte uniquement dans une perspective néolibérale où les individus sont réduits à la désidentité de force de travail ayant vocation à permettre au capital de prospérer. Le clampin craint pour son identité, le gros patron pour son vivier d’esclaves. Au final, l’autre, qu’il soit rejeté ou bienvenu, est désidentifié.
Et c’est cette intuition du danger de perdre à la fois son identité et sa quête d’identité qui anime Jann Halexander, tant dans ses créations que dans son souci d’explorer mille possibles artistiques : en solo, avec une flûtiste, avec un pianiste, avec un guitariste, avec deux choristes, en étoffant son équipe… La toxicité désidentifiante de l’époque est intégrée au travail de l’artiste. Les vidéos qui jalonnent son aventure YouTube et qui nous intéressent particulièrement dans cette enquête l’illustrent en proposant une grande variété de connexions entre Jann et les autres avec, parfois, des autocitations

  • (scènes qui reviennent d’un clip à l’autre,
  • images récurrentes,
  • allusions insistantes, etc.)

fonctionnant comme une caisse d’écho ou une chambre d’harmoniques. Jann Halexander, divers lui-même, aime la diversité non pour faire zouli sur les photos mais pour jouir des singularités expressives de ses partenaires.

  • Des rencontres,
  • des visages,
  • des figures

traversent les images et rejettent à l’occasion la chanson en seconde partie de programme, comme ici où la scène de ménage homosexuel entre MC Coco et Claire Hoffmann repousse l’intro musicale à 3’45 du début.

 

 

Dans cette perspective, la bisexualité revendiquée de l’artiste peut aussi être envisagée d’un point de vue artistique. Être bisexuel, c’est choisir de ne pas choisir. C’est aussi vouloir doubler le désir. Chez Jann Halexander, il y a cette appétence artistique pour

  • le défi,
  • le renouvellement,
  • l’étrangeté même.

La tradition associe souvent Eros et Thanatos, à raison ; la réalité oublie souvent d’associer l’art et l’érotique.

  • D’abord parce qu’il y a sans doute un moteur pas très éloigné pour alimenter ces deux pulsions ;
  • ensuite parce que l’art admet largement sa dette au désir érotique ;
  • enfin parce qu’ils procèdent tous deux d’une même évidence donc d’une même incapacité à être compris universellement.

Soyons honnête : le désir d’un homme m’échappe autant que le plaisir d’ouïr un concert de musique indienne. Le pragmatisme laisse subodorer que, non, l’art et l’érotisme n’ont rien d’universel mais se rejoignent dans leurs absolus et leurs limites. Jann vibre à ces fréquences-là. Ses clips le prouvent. S’ils n’ont pas toujours l’efficience de sa présence scénique, ils en gardent l’urgence et disent avec force l’ouverture du musicien à ce qui advient. Avec

  • un humour parfois triste,
  • un besoin humaniste toujours puissant des autres,
  • une urgence jamais contredite de la chanson pour survivre à l’absurdité du monde,

ils disent un artiste et le taisent à la fois. Ce n’est pas le moindre de leurs joyeuses hérésies baroques.

 

 

À suivre !