Urs Joseph Flury, Concerti, VDE-Gallo (2/2 : le concerto pour piano)

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« J’ai intitulé l’œuvre Concerto romantique pour piano pour prévenir l’auditeur d’aujourd’hui que ce sera une composition tonale », s’excuse Urs Joseph Flury, tenant fermement le fil rouge de son travail : composer de la musique savante et consonante, est-ce une tare passéiste ou un art qui contribue à perpétuer une tradition gouleyante à souhait ? Seconde mise à l’épreuve de ce possible improbable, après le concerto pour violon, mais mise à l’épreuve encore plus périlleuse car Urs Joseph Flury part avec deux handicaps :

  • d’une part, il n’est pas pianiste de haut rang ;
  • d’autre part, il admire son interprète, l’Américaine sise alors à Karlsruhe Margaret Singer, et créatrice de l’œuvre lors du soixante-dixième anniversaire du compositeur.

Pour savoir s’il parvient à surmonter ces difficultés et à tenir sa promesse d’un concerto à l’ancienne susceptible de faire se pâmer les papilles des mélomanes, une seule solution : appuyer sur « Lecture ».

 

 

L’Andante/Allegro s’ouvre sur un solo de piano de belle facture, rendant son dû quand il se fond avec l’orchestre au Concerto en la de Schumann. Si l’urgence de l’enregistrement ne permet pas forcément de rendre raison de chaque nuance pianistique, la sûreté de l’interprète et l’engagement de l’orchestre sous la baguette du compositeur ne manquent pas d’efficacité. Contrastes et dialogues nourrissent le propos, somptueusement galbé dans une orchestration maîtrisée.
Sous la conduite du compositeur, l’orchestre de Bienne-Soleure s’efforce de respirer avec la soliste. L’écriture pianistique ne souffre pas discussion, et Margaret Singer s’y sent visiblement assez à l’aise, cadence incluse, pour ne pas surjouer dans une partition que la sobriété valorise davantage que ne le ferait un sentimentalisme sucré.

  • Ressassement des motifs,
  • échos et bonne synchronisation entre pupitres et soliste,
  • gouleyance d’une harmonisation au goût sûr et délicatement suri

contribuent au plaisir de l’auditeur.

 

 

L’Andante sostenuto sertit le piano dans des cordes graves que rejoignent bientôt les bois pour dialoguer avec la soliste. L’orchestre échange entre soi sur des arpèges d’un piano devenu observateur. Le retour du thème nourrit le plaisir du refrain, mais une section plus inquiète glisse une autre proposition, elle aussi balisée sur une structure à refrain. Tout cela est cousu avec artisanat et art, et l’on peinerait à bouder son plaisir voire à ne pas saluer à la fois et le compositeur, et l’orchestre tout à fait à la hauteur du projet.

 

 

L’Allegro moderato s’ouvre sur des arpèges inquiets exploitant pleinement la couleur spécifique du la mineur. Des échanges habiles entre l’orchestre et le piano s’emparent du minerai thématique pour le moudre et le recomposer de diverses manières jusqu’à un premier break (3’38) permettant à la soliste de se reposer avant l’assaut final. Une sorte de danse en émerge, puis le discours s’emballe et se suspend tour à tour. Le piano rencontre des alliés dans les bois et, faute de loup, dans les cordes. Il semble ainsi fédérer la phalange qui l’accompagne. Las, le retour du motif ternaire ne tarde pas à froncer les sourcils de l’humeur (nan, ça veut rien dire mais, sur le moment, je trouvais ça presque bien frappé). Les cordes se remettent à onduler, comme à la fin du deuxième mouvement, et le piano cherche un souffle dans des accents quasi orientalisants fort seyants. La structure en arche, ainsi qu’il est de bon ton de la nommer, impose le retour du motif liminaire, que le compositeur – ou le musicien – pimpe discrètement d’une amusante clarinette gershwinienne (9’30). Enfin, advient la coda, brève et presque ironique. Cette fois, les applaudissements ont été shuntés au montage – bizarrerie par rapport au concerto pour violon puisque, au vu des quelques toussotements, l’affaire fut captée en live.
En conclusion, ce nouveau disque suisse du suisse VDE-Gallo siéra parfaitement aux mélomanes de tous horizons souhaitant écouter un beau disque de musique classique contemporaine. Le paradoxe est là : même si cela contrevient au syntagme figé de « musique contemporaine », le travail d’Urs Joseph Flury en ressortit. Son engagement sans fard dans une musique aussi tonale que modale interroge doublement la dichotomie mélomaniaque censée stigmatiser les différents amateurs de musique savante :

  • musique contemporaine prolongeant un modèle du passé, elle interroge la mélomanie aficionada d’une expérience focalisée sur
    • l’intention auctoriale et l’exploration diffractée,
    • la caractérisation linguistique et la construction conceptuelle,
    • la réévaluation de la note et de la contrainte sonore ;
  • musique contemporaine donc censément inaudible, elle interroge aussi la mélomanie obsédée par
    • la consonance,
    • la resucée et
    • l’archéologie.

Dans cette posture artistique, on peut presque voir une dimension politique, subsumant les fractures entre chapelles, confréries et clans aux antagonismes fictivement exacerbés. L’œuvre d’Urs Joseph Flury n’est surtout pas une tentative de réconciliation. Sous ses airs bien mis, elle est une provocation qui hèle le mélomane, le secoue, le renvoie à ses inclinations et à ses détestations. Ni mijaurée, ni révoltée, elle se déploie, dans ce disque, comme une réponse debussyste aux questionnements musicologiques en rappelant, et c’est nécessaire, que la musique, quelle que soit la forme qu’elle prenne, ne devrait exister que pour permettre à ceux qui l’entendent de kiffer. Admettons-le : ce n’est pas le moindre intérêt du disque.


Pour acheter le disque, c’est, par exemple, sur le site de l’éditeur.