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Vincent Rigot à la tribune de Saint-Eugène-Sainte-Cécile (Paris 9), le 20 avril 2025. Photo : Bertrand Ferrier.

 

L’ex-nouveau titulaire de Saint-Eugène-Sainte-Cécile (Paris 9) prend ses marques en tribune. Après son premier récital de Noël, il profite du mille neuf cent quatre-vingt-onzième environ anniversaire de la résurrection du Christ pour claquer son premier récital de Pâques dans une paroisse soucieuse de musique mais convaincue qu’un concert souille le lieu sacré qui l’abriterait. Va donc pour un « concert spirituel » puisqu’il nous donne l’occasion d’entendre à nouveau un orgue et un organiste de haute volée. Le contexte de grands messes nous vaut une église où l’encens brouillarde l’espace comme le chichon le bus de tournée d’un groupe de reggae. La forte concurrence se fait aussi sentir dans la fréquentation : de nombreux organistes parisiens donnent concert cette après-midi, de Karol Mossakowski (Saint-Sulpice) à Baptiste-Florian Marle-Ouvrard (Saint-Eustache), en passant par l’indéboulonnable Marie-Agnès Grall-Menet (Saint-Nicolas), liste non exhaustive. Cependant, d’autres organistes ont choisi d’assister, avec des mélomanes non pratiquants, à ce concert précisément, rendant hommage à un interprète d’exception certes moins invité à la Philharmonie que le seul organiste de France, mais qui ne lui cède en rien en termes de savoir-ploum-ploumer.
L’affaire s’ouvre par la scie du moment, un offertoire de Nicolas Lebègue sur « O filii et filiae ». On y apprécie

  • des attaques et un caractère décidés,
  • un soin singulier apporté à l’ornementation, ainsi que
  • la compacité de la registration, entre forte et fortissimo, ce qui renforce paradoxalement les contrastes tout en préservant l’unité de ton.

Le tube que sont les « Fantaisie et fugue » d’Alexandre-Pierre-François Boëly est engagé sur un tempo allant, en dépit du nombre de notes au programme.

  • Les doigts sont déliés,
  • les phrasés sont nets,
  • le choix des sonorités est guidé par une simplicité apparente qui n’est jamais anémie
    • (contrastes,
    • jeux de détail,
    • épaisseur des basses superbes).

L’ensemble est porté par un agencement de plans sonores aussi astucieux que convaincant. Un second offertoire sur « O filii et filiae », du rare François-Joseph Benaut, celui-ci, se glisse alors sur la forme canonique du thème-et-variations. Vincent Rigot y déploie notamment

  • d’habiles changements de sonorités (plaisir attendu de l’exercice varié),
  • une tonicité à même de faire presque oublier la justesse des anches, parfois facétieuse, et
  • un art consommé de poser des effets d’attente dans les passages chromatisants.

 

L’orgue de Saint-Eugène-Sainte-Cécile (Paris 9) après la bataille. Photo : Bertrand Ferrier.

 

L’Agitato op. 174 n°5 de Josef Rheinberger, avec son titre à faire trembler les pasteurs craignant de distiller le désordre par la musique, tient sa promesse dès le début. Il y a

  • de la virulence,
  • des à-coups et
  • une surabondance de notes permettant à l’interprète de rentabiliser sa sémillante virtuosité digitale.

Derrière le tohu-bohu apparaissent

  • des trouvailles harmoniques très rheinbergériennes,
  • un motorisme réjouissant et
  • une façon de nuancer très efficace.

Musicien de l’église épiscopale mort en 1964, Frederick Candlyn a griffonné un prélude pascal sur « O filii et filiae ». C’est aussi pour ces embardées submergeant la faible inventivité des programmes d’organistes français que l’on aime venir ouïr Vincent Rigot ! Dans un style postromantique, le compositeur glisse une fugue dans un prélude qui, par-delà un rigorisme suranné un brin pesant, séduit par

  • la constance de l’inspiration,
  • les changements de couleur proposés, et
  • la coda habilement – quoique conventionnellement – triomphante.

Après les rares Benaut et Candlyn, l’organiste ne néglige pas les monuments qui balisent le répertoire en osant une bien connue Pièce héroïque de César Franck. L’orgue semble taillé sur mesure pour cette pièce ambitieuse, d’autant que l’instrumentiste a trouvé le bon tempo : pas trop lent parce que, sinon, c’est chpoufi-chpoufa ; pas trop prompt, sinon, le son devient gloubi-boulga (pardon pour les non-experts en musicologie qui sont sans doute impressionnés par ces termes techniques tout à fait communs dans notre art). La deuxième partie est

  • éclairée avec soin,
  • jouée avec maîtrise,
  • nuancée avec goût.

La solennité du finale met en valeur

  • la richesse de l’orgue de Saint-Eugène-Sainte-Cécile,
  • la qualité de l’acoustique de l’église, et
  • la musicalité de l’interprète.

Un récital

  • malin,
  • intéressant et
  • joué avec une maestria qui n’oublie jamais d’être musicale.

Vivement Noël !