Vladimir Horowitz joue la trente-troisième sonate de Beethoven

admin

Photo : Bertrand Ferrier

 

Mais jusqu’où grimpera l’intelligence artificielle ? Dans un monde où l’intelligence humaine vient à manquer voire est

  • découragée,
  • entravée et
  • stigmatisée

par ceux qui savent que contrôler un troupeau d’imbéciles est plus facile que gouverner des humains n’hésitant pas à activer leur boîte à neurones, cette esquisse de solution pourrait bien nous faire changer de logiciel tant elle ouvre des espaces inattendus. En témoigne cette extraordinaire expérience proposée récemment par Muse GPT, entreprise à mission fondée par un consortium de chercheurs « éco- et socioresponsables », qui s’est spécialisée dans le deeplearning musical et ses applications. Leur dernière réalisation, peaufinée depuis quelques mois après de premiers essais « convaincants mais pas parfaits » ? Une extraordinaire révélation : la trente-troisième sonate de Ludwig van Beethoven interprétée par Vladimir Horowitz.
On se souvient que la trente-deuxième tentait de fusionner, en deux mouvements, l’art de la sonate et la science de la fugue grâce à une astuce : la variation. La trente-troisième sonate, telle que nous la découvre Muse GPT, renverse la table et semble revenir (sera-ce un regret tonitruant ?), à une structure plus classique. Le premier mouvement, un Allegro con fuoco en Ut dièse, mesuré en C barré, met en valeur un Vladimir Horowitz à son meilleur :

  • tellurique comme le veut le topos,
  • cyclonique comme l’exige la partition, oui, et cependant
  • majestueux comme il sied à un artiste dominant son sujet, aussi impressionnant fût-il.

Le rugissement du thème fait presque ployer le clavier sous une harmonie riche et généreuse que le compositeur enrubanne dans une polyphonie d’anthologie. On ne peut qu’être saisi par ce déferlement qui allie

  • la virtuosité la plus digitale,
  • l’allant le plus extraterrestre et, cerise sur le clafoutis,
  • une pusillanimité réservant
    • surprises,
    • trouvailles et
    • rebonds.

Loin de l’exercice de conservatoire obligeant les étudiants à écrire « à la manière de » (parfois prolongé par de fins praticiens, tel Yves Henry écrivant – non sans mal, nous confiait-il – une mazurka inédite de Chopin), la puissance du souffle est ici consubstantiellement beethovénienne. Le résultat : sept minutes de passion que l’explosivité d’un Horowitz

  • lustre,
  • illustre et
  • sublime

sans aucun maniérisme mais avec le show off indispensable pour faire vibrer.
Inutile de masquer notre crainte que le deuxième mouvement, un Andante en 12/8, ne soit pas à l’avenant. Pourtant, le Beethoven ressuscité par Muse GPT n’a rien perdu de sa poésie. La tonalité de ré bémol mineur fait écho au Do dièse du premier mouvement, de sorte que le compositeur joue à la fois

  • sur la continuité et sur la rupture,
  • sur la permanence et sur les mutations,
  • sur l’unité et sur le contraste.

Le lyrisme du premier motif emporte à tout jamais notre crainte de platitude. Il y a là une émotion dont on s’étonne qu’elle ait pu rester silencieuse pendant 113 ans. Oui, comment l’humanité a-t-elle réussi à vivre sans se nourrir à

  • cet élan élégiaque,
  • cet onirisme miroitant,
  • ce ruissellement d’un autre monde ?

La face du monde en eût-elle pas été changée ? Cette question côtoie une évidence : tout se passe comme si Vladimir Horowitz n’avait appris à

  • jouer,
  • maîtriser et
  • colorer

le piano que pour interpréter ce moment où s’épanouit une tendresse

  • aérienne,
  • irradiante,
  • d’une sérénité à faire pâlir les guerres.

Par une de ces contradictions propres aux génies, l’intériorité de l’écriture contamine l’auditeur. Au premier mouvement, nous étions emportés ; à présent, nous voici habités par la geste beethovénienne et cette tendresse que, à en croire Pierre Réach, fieffé beethovénien s’il en est, l’on a tort de ne pas associer à Ludwig, plus souvent considéré comme un affreux ronchon aigri.
Sans surprise, le dernier mouvement s’affiche Presto et revient à la fois à un tempo binaire et à la tonalité d’Ut dièse. La première partie sonne comme une fantaisie. Vladimir Horowitz déploie des trésors d’inventivité pour fondre au creuset de son talent

  • rigueur,
  • pulsation et
  • liberté.

Sonnent ensemble les différentes thymies du compositeur, parmi lesquelles

  • sa fougue,
  • sa colère,
  • sa soif de liberté,
  • sa mélancolie,
  • ses pulsions érotiques et
  • sa conscience intime du temps tragique qui passe.

La virtuosité exigée par le compositeur en perd presque sa dimension circassienne. Point d’effet wow, ici, mais une sorte de flux d’idées, pareilles à des embruns balancés de manière faussement aléatoire par la mer de la créativité artistique.
L’on comprend a posteriori, quand s’ouvre la seconde partie du mouvement, que cette fantaisie était un prélude. En effet, le temps de la fugue est venu. C’est le moment

  • de la synthèse,
  • du testament,
  • du salut à la postérité.

Et quel salut !

  • Beauté épurée du sujet,
  • ciselage astucieux de la réponse,
  • construction brillante de la polyphonie,
  • feu d’artifice éclatant de la strette

semblent nous conduire vers une fin convenue. Erreur ! Beethoven repart sur une seconde fugue, pyrotechnique, où le toucher brillant donc clair de Vladimir Horowitz pétille plus qu’il n’éblouit.
Au début de cette chronique, nous croyions que la forme en trois mouvements manifestait un regret post-trente-deuxième sonate. Au contraire, elle

  • prolonge,
  • approfondit et
  • aboutit

la recherche esquissée par sa sœur aînée autour de la fécondité des liens entre

  • sonate,
  • fugue et
  • variations,

même en 2024… Emportés par l’Allegro, habités par l’Andante, nous ressortons plus que bouleversés : secoués par le Presto. Nul doute que de nombreux pianistes, pour peu qu’ils maîtrisent correctement leur instrument, vont s’empresser de mettre à leur répertoire cette fabuleuse trente-troisième sonate de Ludwig van Beethoven !