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François-Xavier Roth et l’Orchestre de Paris. Photo : Rozenn Douerin.

Au programme ce soir, un p’tit Webern, le tube de Strauss et Petrouchka. Pour la seconde date consacrée à ce programme, bonne nouvelle : l’organisateur nous fait grâce des micros qui jonchent désormais tant de représentations symphoniques et entravent le regard. En revanche, rayon “pas très correct”, Camille, “notre” ouvreuse, accepte sans bargouiner les pourboires des ignorants ; et les musiciens de l’Orchestre de Paris viennent s’échauffer sur scène, coutume particulièrement naze et décevante que ne partagent pas toutes les phalanges, heureusement !
François-Xavier Roth, chef du soir, entre en scène pour réclamer une minute de silence à la mémoire de Jessye Norman, qui a interprété les Quatre derniers lieder avec l’Orchestre de Paris 33 ans plus tôt. Quand la Passacaglia d’Anton Webern (11′) commence enfin, Camille-l’ouvreuse se cherche bruyamment une place en faisant claquer ses talons. C’est toujours plaisant d’être ainsi entouré, pensez. La musique, elle, déploie un habile sentiment de tension entre la pérennité d’un leitmotiv mordant, qui coulisse d’un pupitre à l’autre, et l’atmosphère inquiète de la partition, avec ses ruptures et ses dissonances choisies. La direction, onctueuse, semble manquer çà et là de précision pour permettre aux pupitres d’assurer des attaques nettes. Toutefois, un sentiment de liberté paradoxale semble animer l’exécution.

  • Paradoxale, car la forme de la passacaille induit, traditionnellement, un cadre figé (ou presque), dans lequel l’inventivité de l’écriture, la pertinence de l’orchestration et la vitalité des modulations contribuent à subsumer la fixité du genre.
  • Liberté, car François-Xavier Roth n’hésite pas à contraster les tempi et les caractères, entre la partie A (tonique), B (plus lente) et A’ avec ses crescendi-decrescendi éteints par la coda.

Les Quatre derniers lieder de Richard Strauss (24′) enquillent. Même si le programme de salle donne le texte, il est incompréhensible que les sous-titres ne soient pas affichés sur les panneaux prévus à cet effet. Pour servir le texte et la musique, voici la Danoise Lise Davidsen, grande triomphatrice du concours Operalia en 2015 et Sieglinde lors du dernier Festival de Bayreuth. La dame chante par cœur – c’est la coutume, mais elle n’est pas toujours respectée. La voix et le souffle sont évidemment là. Certes, la profération semble plus sage qu’habitée par la passion du Printemps (“ta présence délicieuse fait frémir tous mes membres”, déclame la miss avec une réserve étonnante) ; mais la prise de risque réussie dans les piani, comme quand la saison s’inonde de lumière (“in Gleiss und Zier”), s’associe à un accompagnement soyeux sans être mièvre pour captiver l’oreille. Après que moult malappris ont applaudi, le deuxième mouvement, Septembre, convainc moins : du souffle, oui, mais la conduite paraît moins parfaite – en clair, depuis notre place, on a l’impression qu’il y a des trous sporadiques, peut-être un problème d’acoustique. Ce nonobstant, l’accompagnement maîtrisé induit des nuances et des détentes judicieuses pour ce requiem en mémoire de l’été.
Le troisième mouvement, L’Heure du Sommeil, met en valeur les puissantes contrebasses dès l’ouverture. Au fond du premier balcon face à cour, la voix de Lise Davidsen parvient de façon assez disparate, alors que le cor soliste et Philippe Aïche passent sans souci : sans doute, il faut le croire, un problème d’acoustique lié à la réalisation de cette salle médiocre. On apprécie que la soprano ait le souci de se tourner vers le violon solo pour traduire scéniquement le dialogue entre la voix et l’instrumentiste poursuivant le rêve de “prendre son vol, sans contrainte, les ailes libres, pour vivre dans l’univers magique de la nuit”. Le quatrième mouvement, Au soleil couchant, s’appuie sur une introduction riche et tendue où luttent hédonisme et fatalité du propos macabre. On aurait tort de s’attarder sur des scories propres au concert, tel ce médium peu soutenu ou ces synchronisations orchestrales perfectibles, par ex. juste avant “O weiter, stiller Friede”. Mieux vaut se réjouir que la soprano interprète avec cœur les derniers vers – où l’on se demande si ce serait-y pas déjà la mort, cette errance amoureuse – et que la coda sonne avec vigueur, sans excès de pathos. En somme, une interprétation plus digne qu’éblouissante – cela peut aussi avoir son charme.

Lise Davidsen. Photo : Rozenn Douerin.

Après l’entracte, Petrouchka d’Igor Stravinski (34′) débaroule avec sa cohorte de “scènes burlesques en quatre tableaux” composée entre L’Oiseau de feu et Le Sacre du printemps. L’on s’exaspère d’entendre une fois de plus les musiciens se chauffer avant la reprise, cymbale en tête ; puis, quand la musique s’enclenche, l’on se rassérène devant la volonté patente de rendre les différences des séquences tout en tenant le fil d’une certaine homogénéité. Pas de dénaturation pour autant ! Les tutti sont solennels à souhait ; les facéties scintillent ; les atmosphères inquiétantes sourdent avec art des bassons. Le célèbre solo de flûte, impeccablement exécuté par Vincens Prats, conduit vers un grand crescendo où les percussions prennent du poil de la bête.
Un passage plus posé fait réentendre à découvert le violon solo avant que le piano, brillant, ne vienne pimper le tout – joli dialogue plus loin avec la flûte dans les aigus. Chaque pupitre – ou presque – y va de son éphémère vedettisation, clarinette en Bb et clarinette basse comprises. Privilégiant la continuité et la variété des nuances, François-Xavier Roth refuse de caricaturer les contrastes. Pas d’opposition frontale entre fortissimi et pianissimi, donc, plutôt une myriade d’intensités qui fait merveille dans les crescendi brisés. Le chef et ses ouailles accompagnent le propos narratif de cette musique de ballet jusqu’au crescendo final. L’orchestre de Paris, bien mené, donne sa mesure, breaks compris en respectant, jusqu’au bout, le souci de faire ressortir tant les effets spectaculaires que les passages moins Radio-Classique (trompettes bouchées incluses). En conclusion, cette exécution sérieuse, facilitée par les fréquentes interprétations de l’œuvre par l’orchestre (dont une cette année sous la baguette de Duncan Ward), ne manque pas de charmer l’oreille grâce, d’une part, à une direction qui traque la musique derrière le théâtral, et, d’autre part, grâce à une partition qui fait son miel des richesses de l’orchestre symphonique.
En définitive, une soirée pas aussi pétulante qu’attendue, mais non sans charme pour autant.