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Première du disque

 

Passons outre une première de livret dont les errements typographiques (Nadège aurait mérité son accent…) et la mise en page à peine digne d’un atelier découverte d’école primaire n’incitent guère à l’achat ou à l’écoute d’impulsion, ce qui est quand même ballot ; et lançons-nous dans l’exploration de ce mélange saluant la mémoire d’Yvon Bourrel, prof de musique et comppositeur de plus d’une centaine d’œuvres, dont Vingt-quatre préludes pour piano ainsi que les quatre œuvres de musique de chambre rassemblées sur ce disque après leur captation en direct.
Dédié à Daniel Propper, ici au piano avec Laurent Causse au violon, Sylvain Durantel à l’alto et Jean de Spengler au violoncelle, le Quatuor pour piano et cordes op. 134 a été composé en 2016 et enregistré en mai 2023 par Philippe André (c’est la « première mondiale » que documente aussi la vidéo ci-dessous). L’allegro liminaire s’ouvre à l’unisson, motif qui rythmera le mouvement, et revendique d’emblée un classicisme tonal aux charmes délicieusement surannés :

  • souci de la ligne mélodique,
  • plaisir d’harmonisations simples et de modulations efficaces,
  • élégance d’un développement fluide,
  • distribution polie des rôles mouvants de chaque acteur voire des deux pôles (cordes / piano) et
  • variété du jeu confié au pianiste (guirlandes de notes, arpèges, accords…).

Une reprise permet de mieux profiter

  • du lyrisme,
  • du balancement ternaire et
  • du souci d’équilibre que manifeste le compositeur.

Yvon Bourrel n’hésite pas à poser la discussion au mitan du mouvement. Les interprètes y confirment

  • leurs qualité de précision et d’écoute mutuelle,
  • leur travail sur la communauté de respiration appuyée par un travail commun structurel des trois cordistes, et
  • leur engagement (nuances, phrasés, agogique collective toujours inspirée)

jusqu’au retour au calme qui clôt la seconde partie.

 

 

Le vivo garde le swing du ternaire en faisant dialoguer piano et trio à cordes et appuyant l’inclination d’Yvon Bourrel pour l’unisson et la monodie.

  • Une série de questions-réponses insiste sur la polarisation du débat ;
  • un joyeux souci d’organiser le propos éveille l’intérêt (nuances, phrasés, accents, contrastes de couleurs) ; et
  • l’efficacité de la forme ABA témoigne du désir du compositeur de ne jamais lasser,

les pizzicati finaux ouvrant de souriants autres possibles. L’andante vibre des couleurs sombres de l’alto de Sylvain Durantel (lequel conclura aussi le mouvement) que prolonge le piano. C’est l’une des qualités d’Yvon Bourrel que de prendre le quatuor comme un potentiel et non comme un tout compact qui devrait obligatoirement jouer ensemble en permanence. Le compositeur semble plutôt voir son dispositif comme un éventail qu’il ouvre ou replie de multiples façons selon son inspiration. L’atmosphère introspective offerte par le mode mineur s’éclaire d’une partie centrale majeure et de modulations joliment trouvées. Les compères de la salle Poirel savent tisser

  • un suspense,
  • une tension,
  • une émotion (comme lorsque le violoncelle de Jean de Spengler prend le lead).

L’allegretto final envoie un piano mozartien scintiller entre bariolage et mélodie pétillante, entraînant dans son sillage ses acolytes cordistes. Saisit le goût d’Yvon Bourrel pour

  • la modulation plutôt que la stagnation,
  • la mutation plutôt que le développement linéaire,
  • le cahot plutôt que le convenu (la brève coda du quatuor illustrera cette tendance…).

Tout se passe comme si le compositeur souhaitait associer

  • l’évidence tonale et la surprise,
  • la clarté mélodique et les éclairs de l’inattendu,
  • la solidité d’une construction d’ensemble et le plaisir de l’à-coup,

mettant ainsi en évidence que, pour une fois dans l’histoire de l’humanité, les opposés sont en fait des alliés, l’évidence, la clarté et la solidité permettant à la surprise, à l’inattendu et à l’à-coup de pimenter un récit dont Yvon Bourrel veut toujours privilégier la cohérence, l’intérêt donc l’intelligibilité. Posture sépia, peut-être, pour les mélomanes monomaniaques d’une écriture contemporanéiste dont le génie serait proportionnel à la pénibilité de l’écoute et à l’insaisissabilité du projet ; posture fondée pour qui pense, avec Claude Debussy, que la musique – quel que soit son style – est d’abord là pour réjouir l’auditeur. Comme l’exprimait Muriel Robin avec les mots de Pierre Palmade, une musique qui réjouit,

 

ce s’rait un p’tit peu commun, un p’tit peu cliché, un p’tit peu attendu, mais pas forcément désagréable.

 

En tout cas, cela nourrit notre hâte de chroniquer la suite de cet hommage funèbre dont le premier épisode ouvre l’appétit – c’est pas si fréquent, pour un hommage funèbre !


Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.