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Le Paradis et la Péri, Philharmonie de Paris, 20 décembre 2016. De gauche à droite : Daniel Harding, hilare ; Matthias Goerne ; Kate Royal faisant la moue ; Gerhild Romberger, saluant ; Andrew Staples, tête tournée pour facétier ; et Christiane Karg. Photo : Bertrand Ferrier.

“Le Paradis et la Péri”, Philharmonie de Paris, 20 décembre 2016. De gauche à droite : Daniel Harding, hilare ; Matthias Goerne ; Kate Royal faisant la moue ; Gerhild Romberger, saluant ; Andrew Staples, tête tournée pour facétier ; et Christiane Karg. Photo : Bertrand Ferrier.

Bien qu’elle soit régulièrement donnée sur scène, Le Paradis et la Péri demeure une œuvre méconnue de Robert Schumann. Certes, le synopsis de ce simili-oratorio est un brin full niaiseux, mais quelle musique !
L’histoire : la Péri (croisement entre une fée et un ange, si l’on a bien compris) a fauté car son ascendance est souillée. Pour regagner le Paradis, elle doit offrir un gage très, très pur. Le dernier souffle d’un héros ? Insuffisant. L’amour d’une princesse se laissant contaminer par son fiancé pour mourir de la peste avec lui ? Peut mieux faire. C’est finalement le repentir d’un méchant qui ouvrira à la Péri les portes du lieu parfait.
Le concert : avec un bel effectif (gros orchestre, chœur au complet, une dizaine de solistes), l’œuvre se structure en trois parties. La première est la plus saisissante, sertie de contrastes et de mélodies accrocheuses ; la deuxième maintient l’intérêt par sa dynamique plus narrative, où le texte prend le dessus sur la musique ; la troisième inverse la tendance en mimant la nécessité du repentir par une certaine monochromie lente et empesée des cordes, signe de l’attente de la salvation qui sombre, bon an mal an, dans la désespérance, avant que la coda ne conclue fièrement cette « tâche achevée » qui permet le retour de la Péri au milieu des anges.
D’emblée, ce qui marque la générale est l’implication de l’ensemble des forces en présence. L’orchestre est au taquet, sous la houlette d’un Philippe Aïche très présent. Daniel Harding, le chef, tient moins à donner les départs qu’à impulser une énergie – chantant même souvent le texte du chœur – quitte à rattraper les décalages dangereux, comme lors du dernier air de Matthias Goerne, où l’on frôla le chavirage. Les solistes lyriques, qui ne semblent pas ménager leur outil de travail, peut-être parce que la générale est elle aussi captée, sont un brin mis en espace (en première ligne, mouvante, ce qui est proche de la terre ; au milieu de l’orchestre, ceux qui vivent déjà au paradis). Certains défauts de justesse sont ponctuellement patents lors d’unissons aux cordes et chez les cors. Peccadille qui sera, c’est certain, aisément corrigée pour la première. En l’état, l’ensemble est très prenant – même si, d’où nous sommes, il nous est impossible de jauger l’équilibre des plans sonores.
À cette solide base orchestrale s’ajoute un chœur survolté. Quoi qu’il soit scandaleux que cet ensemble de très haut niveau, dirigé par Lionel Sow, sévisse gratuitement, on apprécie son investissement à tout point de vue : souci des attaques, regards constants vers le chef, admirables variations de nuances et sens du forte non lourd, le rendu est très impressionnant. L’avouera-t-on (laveur) ? Certaines individualités du groupe, mises en avant en tant que « péris », lors des soli de la troisième partie, ne nous ont pas autant séduit. Sans doute leur prestation, qui nous a paru à la fois surjouée pour certaines et peut-être à la limite de la justesse sporadiquement, sera-t-elle ajustée après cette première face public (un raccord du chœur a eu lieu après la générale – avantage des « amateurs »…)

Christiane Karg et l'Orchestre de Paris. PHilharmonie de Paris, 21 décembre 2016. Photo : Bertrand Ferrier.

Christiane Karg et l’Orchestre de Paris. Philharmonie de Paris, 21 décembre 2016. Photo : Bertrand Ferrier.

Côté solistes, on ne peut que déplorer l’absence totale de Français au générique. Daniel Harding, Christiane Karg, Kate Royal, Gerhild Romberger, Allan Clayton, Andrew Staples, Matthias Goerne y figurent – pas un autochtone. Pourquoi l’État finance-t-il systématiquement des étrangers ? À quand des quotas protégeant la professionnalisation des artistes et chanteurs hexagonaux ? Cela leur permettrait à tout le moinsss de se frotter au plateau superlatif rassemblé pour cette production. En vedette, la délicieuse Christiane Karg est la Péri. Capable de piano d’une difficulté mais d’une sûreté remarquables, elle tient les quatre-vingt-dix minutes comme si elle vivait intimement les contradictions de son personnage : dignité, inquiétude, tristesse, fragilité, volonté, tout passe à la fois par la précision vocale, le souffle et le maintien sur scène, posture et regards inclus.
Pour l’accompagner dans son rêve de septième ciel, elle compte sur deux mâles et deux chanteuses. Côté mâle, Andrew Staples a repris au pied levé les deux rôles de ténor, Allan Clayton s’étant fait porter pâle. Semble-t-il hésiter çà sur certains départs, ce qui est bien compréhensible, partition ou pas ? Arrive-t-il là un peu trop tard, forcé qu’il est de crapahuter entre ses deux lignes de front ? Broutille. Encouragé par la bonhomie de son confrère baryton, il mène à bien sa tâche d’autant plus lourde que les graves ne sont pas sa spécialité, alors que les rôles à sa charge en regorgent. Son souci de narration et son sens de la continuité dramatique séduisent grâce à un médium et un aigu aussi fluides que maîtrisés. Matthias Goerne semble, comme le double ténor, tiraillé entre des graves difficiles qu’il doit savonner (sa première intervention ne doit pas être sa préférée, car il lui manque la tessiture alla Alberich qui paraît ici requise) et le reste d’un registre où sa science lyrique fait merveille. La très chic Kate Royal joue ici plutôt le rôle du surcompétent faire-valoir au sein même du quatuor soliste, mais cela ne l’empêche pas de faire apprécier, au fil de l’œuvre, un nuancier de couleurs et une pureté de ligne à la hauteur de ses précédents faits d’arme.
Pourtant, une artiste s’impose, ce soir-là, comme l’évidence de la production : Gerhild Romberger, intermédiaire entre les décisions célestes et la Péri (donc mezzo pour l’humanité, et soprano pour la pureté éthérée du paradis), séduit de bout en bout. Habile techniquement, précise musicalement, constante dramatiquement, elle est la non-star du plateau, mais elle n’en ébaubit pas moins les oreilles des spectateurs. Une cerise griotte parfaite sur un gâteau savoureux à tout point de vue !