Réponse au carré

admin

Photo hypersymbolique : Bertrand Ferrier

Après un article plutôt louangeur sur un disque à paraître, je reçus quelques messages courroucés – certains avec une pertinente modération, qui permet le dialogue ; d’autres plus ébouriffés. Voici donc une réponse inspirée d’un courriel authentique suscité par la question : “Vous savez que c’est pas très gentil de dire pas que du bien ?”

1.
L’impact de la critique

Musicien professionnel mais loin d’être un grand virtuose – je m’en suis expliqué dans un livre, L’Homme qui jouait de l’orgue (Max Milo) –, chanteur “à texte” plus habitué à l’indifférence bruyante des bars qu’aux lampions des grandes et belles salles, j’ai pleinement conscience de ce qu’une critique, même modérément critique, peut avoir comme impact sur un interprète. Ainsi, quand je sors d’une célébration où un homme est venu me voir pour me féliciter, les larmes aux yeux, de ce que j’avais joué en solo ; puis quand la dame-qui-me-raccompagne-à-la-gare me dit “Eh bien, aujourd’hui, vous avez joué n’importe comment !”, devinez lequel de ces compliments me travaille le plus.
Pour ne pas parler que de moi, même si j’ai eu l’occasion de réfléchir explicitement à “ce que critiquer veut dire”, surtout quand on compatit avec le sujet de la critique, j’ai eu l’opportunité de discuter longuement de ce sujet de la “critique” avec une cantatrice exceptionnelle – elle relit notre trrrès long entretien depuis plusieurs mois, mais je ne désespère pas qu’elle en valide la publication un jour ! J’ai également eu l’occasion de converser sur ce thème avec Cyprien Katsaris, qui avait vivement réagi à ma présentation de son dernier disque. Notre échange a pris la forme d’un long entretien en trois épisodes… et, preuve que, contrairement à un autre monde, la discussion est parfois possible, l’artiste a même accepté de venir donner un concert orgue et piano dans un p’tit festival que j’organise. En m’entretenant avec Philippe Entremont à l’occasion de la sortie de son dernier disque, j’ai bien noté l’émotion que lui procurait un entrefilet louangeur saluant sa dernière réalisation. Dès lors, une question s’impose : cette conscience du mal – et du bien – que l’on peut faire, même à des artistes très confirmés, n’aggrave-t-elle pas plutôt mon cas ?

2.
La justification de la critique

L’idée générale, fort répandue, est que tout le monde peut baver sur Internet, souvent de façon anonyme. Au bar PMU de la pensée qu’est devenue la Toile, beaucoup de cybergraphomanes ont un avis, ce qui n’est pas si pire à l’ère de cette cochonnerie de Pharaon Ier de la Pensée Complexe ; et la multiplication des moyens de communication donne à tous ou presque la possibilité de s’exprimer sur des sujets qu’il maîtrise plus ou moins. Je fais partie de ces gens qui bavent, parfois sans maîtriser le sujet – je l’avoue alors explicitement – mais je n’écris jamais de façon anonyme, ma “boîte à insultes” étant là pour le rappeler. En conséquence, comment justifier que j’accepte, en connaissance de cause, de susciter, chez un artiste ou un producteur, une émotion, potentiellement triste ou rageuse ou les deux, devant une critique mitigée ?
Le premier argument que je présente, en général, face aux accusations de “dézingage facile qui fait du mal”, est que la première émotion négative n’est pas de ma faute : elle est celle que j’ai ressentie devant un objet culturel. Il ne me paraît pas choquant de reconnaître, en expliquant pourquoi, que tel ou tel aspect d’une oeuvre ne m’a pas ébloui et, si ça intéresse quelqu’un, de le prévenir ou d’avoir une occasion de débat avec lui.
D’autant que le deuxième argument  est le média dont je me sers. En clair, je n’ai aucune idée de la fréquentation de mon site, n’ayant pas installé d’outil statistique et m’en foutant pas mal, mais je ne pense pas avoir l’influence d’un Diapason ou d’un “Télématin”. Cette absence de notoriété ne me donne pas d’excuse pour cracher sur les gens potentiellement pétris de talent et d’ambitions artistiques ; en revanche, elle m’octroie, malgré mon souci de ne pas blesser, une part de liberté plus grande.
Le troisième argument est que je ne dézingue jamais “facilement”. Certaines critiques peuvent, certes, témoigner d’une déception prononcée, mais elles essayent toujours, dans la mesure du possible

  • de rendre raison de ce qui m’a déçu,
  • de valoriser les éléments qui tempèrent, le cas échéant, ma déception,
  • de donner des perspectives et, dès que possible, des éléments concrets pour que le lecteur puisse se faire lui-même une idée de la chose – d’où l’utilisation de nombreux liens vers les sites officiels des artistes et/ou des labels.

En clair, je ne cherche pas à me venger de mon statut de musicien médiocre en crachant sur les excellents virtuoses. Je garde le cap qui préside à ce site dont l’objectif est doublement égoïste : proposer manière d’actualité quotidienne pour animer le site de l’auteur que je suis ou fus, selon les jours, via des anecdotes et des chroniques ; préserver des traces de spectacles vus, de disques entendus, de livres lus.
Le quatrième argument est que les critiques mitigées que je publie parfois, si elles ne sont pas, virtuellement, les plus plaisantes pour les artistes, sont aussi des gages d’honnêteté qui peuvent davantage inciter le lecteur à les découvrir qu’une critique uniformément laudative. Cela fonctionne à l’échelle du site (s’il n’y avait que des critiques pour dire “c’est toujours génial et j’adore tout ce que l’on m’envoie en SP”, la crédibilité de ces louanges serait amoindrie), mais cela fonctionne aussi, crois-je, à l’échelle d’une critique : il est rare que j’aime tout uniment un objet d ‘art. Le dire n’est pas le dévaloriser ou le souiller ; c’est, me semble-t-il, le respecter en tâchant de motiver ce qui, en lui, nous éblouit et ce qui, en lui, nous époustoufle un peu moins.
Le cinquième argument est que les critiques négatives de Bertrand Ferrier peuvent inciter bien plus à la découverte que ses critiques positives : ceux qui ne supportent pas le ton employé – pseudo léger et, en vérité, bouffi d’orgueil putréfié, suintant la haine et la frustration -, peuvent tout à fait traduire en positif ce que je peins en gris. Pour ma part, j’ai souvent cette attitude en feuilletant les recensions des autres : j’ai bien compris que, hormis Connesson, certains critiques détestent la musique contemporaine plus aisément intelligible que des produits conceptuels ircamiens ; aussi les phrases du type “une écriture confortable qui évoque un néo-romantisme paresseux et suranné” – peuvent-elles me mettre en appétit (même si les trucs ircamistes m’intéressent itou) !

3.
La relativisation de la critique

En péroraison de cette plaidoirie déjà trrrès longue, je ne saurai écrire mes petits billets qu’avec honnêteté. Je peux modérer les critiques, soit parce qu’elles me paraissent devoir l’être, soit parce qu’elles visent des amis (je me suis pourtant brouillé avec un ami comédien alors que je louai son jeu mais déplorai l’effroyable nullité du moyen-métrage où il dispensait en vain son talent), soit parce qu’il faut avouer que recevoir – parfois – gratuitement des disques, c’est chouette et ça mérite considération sans pour autant valoir un faux enthousiasme. Je garde mes invectives sur les “immondes mises en scène” pour des spectacles très installés qui m’ont fortement déçu, et pas que parce que j’ai payé des glandus qui m’ont pris pour une tanche… même si ça joue, ce qui me semble justice.
Tous les éléments pointés dans une critique mitigée sont précisément étayés, appuyés sur des citations spécifiques. Dès que possible, des hyperliens permettent de se faire une idée du biais critique employé, consciemment ou non. Il est logique que les proches d’un artiste soient susceptibles de retenir avec fureur les relativisations d’une satisfaction, mais il n’est pas malsain qu’ils comprennent aussi l’ire de ceux qui ont payé pour entendre une merveille et se retrouvent avec un bruit de mob dans les noreilles – par exemple, hein.

En conclusion

Aucune recension sur ce site n’est payée ou gratuite. Dès lors, nous pouvons être maladroit, imparfait, çà et là inexact, mais nous essayons d’être honnête, autrement dit de ne pas mépriser les artistes mais de ne pas, non plus, berner le curieux en feignant l’enthousiasme afin de pécho un CD de plus ou un courriel furibond de moins. Ce petit point est donc l’occasion de remercier les labels qui nous font confiance, les artistes qui acceptent de dialoguer avec nous, et les lecteurs qui furètent sur ce site. C’est aussi l’occasion de conseiller aux autres de lire plutôt, je sais pas, moi, Télérama. (Et là, si Télérama veut m’envoyer un chèque pour cette publi-suggestion, je redis : merci. Ben quoi ? J’ai dit que j’essayais d’être honnête, mais absolument pas que j’escomptais rester toute ma vie un connard d’incorruptible, ça va, quoi. Peut-être que si je m’améliore, je serai une grosse merde de ministre de l’enculture ou un salopard de président de l’Assemblée nationale, qui sait ?