Les grands entretiens – La saga Orlando Bass, épisode 6

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Photo : Bertrand Ferrier

Entretien avec Orlando Bass : la saga

Épisode 6 – Comment partagez-vous
votre musique, Orlando ?

Cas d’école ou mauvais élève ? À l’ère du show-off digital, de “l’importance des réseaux sociaux”, du rôle du ranking Google sur une carrière, des sites “obligatoires” et du contrôle de son image 2.0, le jeune virtuose compositeur joue – obstinément et sans forfanterie – le déconnecté. Pas de site, pas de chaîne YouTube à sa gloire, plus de compte Facebook “même privé”. Aujourd’hui, avec sa franchise et son humour désormais coutumiers aux lecteurs de cette saga, il nous explique pourquoi et comment il parvient, placide et serein, à faire rayonner sa musique “à l’ancienne”.

Dans l’épisode précédent, nous évoquions l’autopromo à laquelle doivent se livrer les artistes ; et tu présentais le duo que forment bouche-à-oreille et buzz digital comme une dichotomie, non comme une complémentarité. Disons-le : pour toi, l’outil digital ne vaut rien. Tentons néanmoins d’entrer par effraction dans ton intimité publique : as-tu au moins un compte Facebook perso ?
Non, même pas.

Tu n’as pas de site non plus…
Non. Mais peut-être en aurai-je un bientôt !

Pourquoi n’en as-tu pas un à ce jour ? Parce que tu te fiches comme de colin-tampon de valoriser ton image ou d’attirer un public plus large ?
Il y a de ça. La première raison, clairement, c’est que je déteste l’idolâtrie. Tu vois, quand tu dis que j’ai un fan-club, que des gens m’apprécient… Quelque part, je vois ces spectateurs comme des amis. J’essaye d’échanger avec eux en prenant autant de leurs nouvelles qu’ils prennent des miennes.

« Je travaille à l’ancienne »

Un peu comme Roberto Alagna qui, en dédicace après un opéra, connaît toutes ses groupies par leur nom et attend vraiment une réponse, malgré la cohue, quand il leur demande « comment ça va »…
En tout cas, je déteste l’idée de vendre une simple image, une carapace, une coquille, quelque chose qui ne soit pas vraiment moi-même. Voilà la seconde raison qui explique l’absence de site : c’est assez difficile de réaliser quelque chose à mon image. Il faudrait un site kaléidoscopique. Je ne veux pas me présenter comme, juste, pianiste ou compositeur. Je fais tellement de choses différentes ! Je suis tout aussi excité par de petits projets – que je ne mettrais pas sur un site parce qu’ils ne sont pas « vendeurs » – que par les « gros événements », censés être plus valorisants ; et je rechigne devant la distorsion qu’une représentation digitale de mes activités constituerait entre ce que je suis censé faire – pour la vitrine – et ce que je vis en vrai. Par exemple, sur ton site, j’aime bien que tu parles de ce qui t’intéresse et de ce que tu vois, pas que de toi.



C’est gentil, mais, pour toi, vues ta notoriété et ton aura, le projet d’un orlandobass.com serait plutôt que, en googlisant Orlando Bass, les gens tombent sur quelque chose représentant ta diversité et non sur des miscellanées, façon Bertrand Ferrier, ou sur ta biographie made in Festival de Limoges – bio impressionnante, certes, mais dont on retient surtout, et c’est justice, qu’Orlando est un « très jeune pianiste issu du Limousin ». Or, c’est un brin réducteur pour le curieux…
Oui, je sais qu’un beau site aurait du sens ; et je sais que beaucoup, beaucoup d’artistes comptent sur Internet pour développer leur activité ou optimiser leur image. Moi, je n’utilise pas ce canal, et je me débrouille très bien, en termes d’opportunités de concert.

Grâce à ton agent ?
Je n’ai pas d’agent. Je reçois des coups de fil, des propositions. On me contacte par le bouche-à-oreille. De temps en temps, j’envoie des dossiers à diverses institutions. Je passe des concours, des auditions. Parfois, ça fonctionne ; parfois, non. En gros, je travaille à l’ancienne, comme si l’outil numérique n’existait pas ; et je n’ai pas l’impression d’avoir moins d’occasions de m’exprimer que la majorité de mes collègues.

Pourtant, malgré toi, tu es une créature digitale que l’on retrouve sur YouTube.
Je sais. Régulièrement, je vérifie ce qui est mis en ligne, et je suis stupéfait de découvrir les vidéos qui apparaissent.

« Je suis assez passif, et ça me réussit »

 Comment réagis-tu face à cette (petite) prolifération de vidéogrammes ?
Je trouve ça très bien.

D’autant que ce ne sont pas encore des vidéos pirates : tu sais à l’avance que tu es filmé et que tu vas être « cyberimmortalisé »…
Oui. Et je m’en contrefiche complètement car, pour l’instant, je n’ai pas eu besoin de fabriquer quoi que ce soit.

Dès lors, est-ce que, à l’inverse, faire un site serait, pour toi, non pas valoriser ta polymorphie mais quasiment faire la quête ou mendier des concerts ?
Clairement, j’aurais l’impression d’une forme de prostitution. Dire que l’idée ne me gêne pas serait mentir. Néanmoins, ce n’est pas une question d’humilité. C’est juste que… je n’aime pas être un produit. Or, Internet a le don de transformer des êtres vivants en produits de manière assez rapide et assez caricaturale.

C’est curieux, surtout pour un jeune artiste ! Tu pourrais estimer le contraire.
Pourquoi ?

Tu pourrais dire : « Internet me transforme en produit. Sur mon site, je vais prouver que je n’en suis pas un ; et les gens qui vont googliser Orlando Bass vont découvrir qui je suis presque vraiment ! »
Oui, dans ce sens, si je crée un site à mon image, je voudrais que ce soit un fouillis.

Ce que, en bon Anglais et fidèle Limougeaud, tu n’es pas.
Pas du tout ! Mais, dans l’attitude, oui. Si, en plus, ça pouvait emmerder ceux qui veulent réduire les gens à une identité policée – oui, ça, ce serait un geste artistique et une vraie posture. L’outil informatique…

Dio mio, « l’outil informatique » ! on croirait entendre parler une dame-moustachue-du-CDI, pas un gamin de vingt-cinq ans !
… peut être utile pour stocker CV, faits d’armes, vidéos. Ça te réduit, mais ça t’identifie, mais ça te réduit, mais ça t’identifie, etc. J’ai conscience que les programmateurs en sont friands.

Les fans aussi !
C’est pourquoi je suis très reconnaissant envers ceux qui mettent des vidéos à mon insu sur YouTube ; et je ne vais pas leur demander de les enlever, même si je peux, à l’occasion, mieux jouer que sur l’extrait proposé…


Tu es meilleur fouineur que moi : j’ai vu des vidéos de concours ou de festivals, mais des vidéos sauvages prises à ton insu, je n’en ai pas trouvé. Si elles existent, elles sont difficiles à dénicher, les vidéos de toi prises à la barbare avec son iPhone dernier cri, soit par admiration, soit pour s’occuper, soit pour escagasser les voisins de concert, soit pour crâner avec son device à plusieurs centaines d’euros, soit…
Non, des vidéos à l’arrache, ça, il n’y en a pas. Quand je parle de vidéos « à mon insu », je parle de concerts où je savais que c’était filmé, mais pas que ce serait balancé sur YouTube. Je le découvre souvent après, et tant mieux : c’est très agréable. Voilà une autre raison pour laquelle je ne ressens pas le besoin de m’investir dans la création d’un outil de promotion personnel, avec des choses très travaillées : dans ce domaine, je suis assez passif et ça ne me réussit pas trop mal.

« Acheter un disque,
c’est comme donner un pourboire »

Dès lors, ton existence digitale t’intéresse, puisque tu t’en enquiers régulièrement, mais elle ne te motive pas.
Je suis aussi un artiste digital ! Pour preuve, les disques que j’enregistre sont sur les plateformes numériques puisque, aujourd’hui, c’est l’un des très bons moyens pour écouter les disques – sinon par rapport à la qualité, du moins par rapport à la quantité.

Est-ce aussi une bonne manière d’obtenir une rémunération complémentaire pour les artistes ?
Ha-ha ! Non, je ne touche rien dessus, et ce n’est pas grave.

Si, c’est grave, mais j’en profite ! Tu sais combien, moi qui ne pratique point le streaming, j’ai acheté ton disque physique sur Amazon ? 1,5 €.
C’est vrai ?

Les frais de port étaient en sus, mais c’était intéressant, in a way, de constater que les frais de port étaient plus chers que ton disque. Tu l’aurais vendu en direct sur ton site, étant un tout p’tit peu fair-play avec les artistes que j’interviouve, je l’aurais acheté dix fois plus cher…
De toute manière, aucun artiste ne gagne d’argent avec le disque. Non, je mens : on en gagne quand on en vend beaucoup à la fin d’un concert. D’ailleurs, les gens le savent. Ils achètent le disque comme on donne un pourboire. C’est notre merchandising. Que l’on vende un T-shirt ou un disque, franchement, c’est pareil. À une différence près : le disque est un peu plus intéressant que le T-shirt… et un peu plus cher à faire, même s’il est moins cher à la vente ! Et puis, à la fin d’un concert classique, si ça c’est bien passé, on a envie de prolonger l’expérience avec un disque plutôt qu’avec une casquette ou un autre produit dérivé.

Concluons que…
… c’est clair, le monde du disque est une grosse arnaque pour les musiciens. Dans le classique, c’est un scandale absolu. Sur beaucoup de disques, les conditions sont très louches. La plupart des petites maisons de disques profite de vous. Elles vous convainquent que tirer de l’argent de ce genre de produit, c’est pas le but ; et vous finissez par trouver ça normal. Peut-être cela l’est-il : mon métier, c’est d’être sur scène.

Mais ton label touche des sous sur le disque…
On ne peut vraiment pas résumer les choses ainsi. La situation est très compliquée ; et, comme souvent, la vérité n’est ni toute blanche, ni toute noire.

Face à ces difficultés discographiques, je te propose d’explorer, dans la dernière partie de notre entretien, les autres stratégies que tu as adoptées pour promouvoir la musique que tu pratiques, aimes voire prodigues aux fans et aux curieux.


To be continued
Pour retrouver les précédents épisodes : 1, 2, 3, 4 et 5.
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