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Steven Wilson, Salle Pleyel (Paris 8), 26 mai 2025 – 2/2

À la salle Pleyel (Paris 8), le 26 mai 2025. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Après avoir ébaubi la salle Pleyel avec l’interprétation en première partie de The Overview, son dernier album, Steven Wilson et les garçons qui l’accompagnent rembarquent dans le vaisseau spécial de l’imagination avec « The Harmony Codex », qui a donné son titre au disque de 2023. Propulsé par le fantasme astronomique de l’artiste, le morceau – d’une dizaine de minutes – s’ouvre sur une longue méditation aux claviers. Adam Holzman et la vedette nous entraînent « miles above the surface of the earth » à la poursuite d’un but oublié comme tous les rêves, « ultimately forgotten ». Pour embarquer avec eux sans avoir l’impression qu’une voix va nous annoncer que « bientôt, un nouveau journal sur France Info », il faut se laisser

  • hypnotiser par les boucles modulantes,
  • aspirer par une vidéo léchée au storyboard volontairement mécanique, et
  • séduire par une caractéristique rare dans la variété contemporaine : la capacité du compositeur à jouer du temps long.

La basse de Nick Beggs secoue la torpeur en lançant « Luminol » où nous nous retrouvés « nés dans la difficulté pour arriver là mais finir par retourner à la poussière ».

  • Chœurs impeccables,
  • puissance du riff de basse,
  • breaks au cordeau avec un Craig Blundell en feu derrière ses fûts,
  • qualité des soli

offrent au concert une musicalité appréciable d’autant que, même s’il connaît les codes, Steven Wilson s’échappe du carcan

  • du rock,
  • du gros son et
  • de l’ambiançage de la salle

pour creuser

  • la diversité d’atmosphères,
  • la juxtaposition de possibles et
  • le vertige de la précision :

du grand prog’, en somme.

 

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=IVC8Vtev3-Q[/embedyt]

 

« No part of me », chanson de rupture (« Avant que je ne te perde, arrête de faire semblant / Je sais que, pour toi, l’amour n’était que sécurité / Il n’y a rien de moi en toi »), est introduit par un aparté parlé, précisant que la set-list étant modifiée chaque soir, notamment pour complaire les spectateurs ne manquant pas une date, les musiciens pourront connaître des moments oups. Les non-spécialistes les chercheront en vain. Grâce à sa capacité à donner de la texture aux moments planants, Steven Wilson peut développer un art consommé

  • du crescendo,
  • de la rupture et
  • de la caractérisation d’atmosphères.

« Dislocated Day », une chanson de 1995 qui rappelle les années Porcupine Tree de l’artiste, en joue pleinement, associant

  • nappes de clavier,
  • pulsation de la basse,
  • guitares saignantes et
  • synchronisations dynamisantes.

C’est alors que Steven Wilson son tube « Pariah », en duo virtuel avec Ninet Tayeb, pénible caricature de la voix des télécrochets modernes. Sans doute n’est-ce pas le plus passionnant de ses chefs-d’œuvre, mais l’on y salue

  • le savoir-faire du compositeur de ballade,
  • son métier d’arrangeur sachant comment envoyer la sauce pour dissiper la tentation de la mollesse, et
  • son plaisir de mélanger les styles de chansons.

Tiré d’Insurgentes (« un de mes album favoris – je peux pas dire que j’aime pas les autres, mais, celui-là, je l’aime vraiment »), « Abandoner » assume un texte torturé et énigmatique évoquant l’incomplétude du narrateur et sa désorientation comparée à « une peste qui, dans l’obscurité, gémit comme un chien ». Le musicien y sculpte singulièrement

  • le rythme,
  • l’harmonie et
  • l’étagement des sonorités.

 

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=Ap0RsLk26ao[/embedyt]

 

Avec les dix minutes de « Remainder the black dog », Steven Wilson évoque

  • les secousses psychiques qui nous hantent,
  • les pilules qui peuvent nous assommer, et
  • la perspective, faute de solutions, d’une dissolution (« si tu osais franchir le pas, / tu atteindrais l’état / auquel tu aspires depuis tellement longtemps »).

Il y travaille le groove de la boucle – ici dévolue au clavier – associant

  • régularité obsessionnelle,
  • durée bancale (le riff est réparti sur 15/8 en 8/8 + 7/8, ce qui lui donne une apparence de banalité et une claudication magnifique), et
  • arythmie des accents qui, paradoxalement, équilibrent le déséquilibre.

Accompagné par une vidéo comme souvent inquiétante, le morceau se déploie ensuite avec l’arsenal habituel dont on ne se lasse pas :

  • breaks,
  • synchro,
  • variation d’intensités et de sonorités,
  • solo de Randy McStine,
  • twists,
  • trouvailles harmoniques et
  • temps long qui, grâce à ce qui précède, paraît court.

Au fil du concert, on savoure avec une force grandissante

  • le plaisir du dark,
  • de la guirlande hypnotisante et
  • du groove
    • sale,
    • menaçant et
    • ensuquant.

 

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=BClzBQmZZBc[/embedyt]

 

Augmenté d’une vidéo apocalyptique, « Harmony Korine », titre de 2008, fonctionne lui aussi sur un riff ternaire, cette fois investi par la guitare. Et nous voici à nouveau happé par

  • les contrastes de décibels,
  • l’efficacité de l’hypnotisation perpétuelle,
  • la concentration des paroles dans quelques syllabes percutantes, ainsi que par
  • le spectre vocal entre timbre fatigué de rocker pop anglais et falsetto polnarévien

Après les monosyllabes de l’avant-dernier titre, la voix se tait complètement pour « Vermillioncore », titre énigmatique qui peut suggérer un sulfate rouge de mercure encore plus rouge que rouge. La basse de Nick Beggs lance cette dernière salve avec une cellule double qui servira de grille pour la suite de l’instrumental. Avec ce matériau a priori étique, le groupe éblouit à nouveau grâce, notamment, à

  • la large palette de sonorités et à leur habile confrontation,
  • la chorégraphie de Steven Wilson,
  • la jubilation de l’itération miroitante (on garde la même structure mais on modifie les couleurs de ce qui l’habille), et grâce à
  • l’agencement bien pensé de registres très caractérisés
    • (mystères du grave,
    • immédiateté du médium,
    • insaisissabilité des aigus).

 

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=qFwcahcDzP4[/embedyt]

 

Publié en 2015, « Ancestral » et son petit quart d’heure ouvrent la séquence des encore, toujours fondé sur la conviction que rien n’est pérenne mais tout continue d’advenir « quand nous fermons les yeux ». Sur un mid-tempo, la batterie de Craig Blundell assume son triple rôle :

  • beat,
  • percussion dynamisante, et
  • musicalité variant les sons.

On regrette un énième solo de guitare de Randy McStine, quoique valeureux, mais on eût préféré ouïr le chorus de basse ou de batterie qui n’arrivera jamais. Faute de quoi, l’on se goberge de

  • loops étranges,
  • beats profonds et
  • breaks d’apparence parfois biscornus – sans prétendre atteindre la folie vertigineuse d’un Spock’s Beard.

La glaçante vidéo de dix minutes réalisée pour accompagner « The Raven that refused to sing » rappelle que l’univers de Steven Wilson n’est ni rayonnant ni pupute. En revanche, il est

  • d’une richesse impressionnante,
  • d’une musicalité passionnante, et
  • d’une singularité vibrante.

Joie d’avoir partagé cette dernière date parisienne du zozo, en dépit de prix oscillant entre une soixantaine d’euros et cent quarante bouboules ce qui, pour une salle devenue aussi horrible que la salle Pleyel, est quelque peu outrecuidant, olé !

 

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