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Albert Edelfelt, “Pêcheurs finlandais” (1898, détail). Photo : Rozenn Douerin.

 

Et si la peinture posait moins la question de la représentation que celle de l’expression ? Telle est la question que semble nous poser l’exposition Albert Edelfelt, inscrite dans la folie nordique qui a agité les musées parisiens ces derniers mois.
Pour caractériser le style et l’évolution du peintre finlandais, les spécialistes ont leurs outils. Ils évoquent notamment son naturalisme, sa tentation d’impressionnisme et son pleinarisme, autant d’isthmes joignant des peintures finalement pas si éloignées les unes des autres. Par-delà la chapellisation de l’artiste, entendue comme l’insertion de chaque œuvre dans des chapelles répondant aux dogmes plus ou moins précis de tel ou tel mouvement artistique,

  • la précision du trait,
  • le travail de la matière et
  • l’art de saisir la lumière

participent d’une quête de l’expressivité portée par des visages et des paysages autour de trois thématiques :

  • les portraits en général et celui des familiers en particulier,
  • les scènes historiques et
  • les scènes patriotiques – qu’elles tâchent de mettre en scène le folklore ou d’évoquer la nature.

Le portrait a longtemps été le fond de sauce de la peinture. On représente soi-même-en-personne, des proches, des modèles, des personnalités et des collègues qui, à leur tour, vous représentent ou représentent les modèles que vous engagez également. L’exposition s’ouvre donc censément sur des tableaux ressortissant de cette catégorie, proposant un aller-retour – oscillant entre richesse et risque de confusion – entre le travail d’Albert Endefelt et celui de ses pairs tels que Pascal Dagnan-Bouveret et Hugo Birger. Le cadrage, la mise en scène, le costume, le lieu, l’attitude, l’éclairage contribuent à croquer à la fois

  • une personne,
  • un archétype social et
  • un microcosme clairement définissable.

 

Albert Edelfelt, “Autoportrait au bureau” (1903). Photo : Rozenn Douerin.

 

Le portrait associe l’exercice de définition graphique d’une personne à l’obligation de définition sociale du personnage. L’expressivité du tableau réside moins dans le regard de la personne croquée que dans sa capacité à évoquer le cadre dans lequel s’insère le personnage, comme un tableau. Chez Edelfelt, la rigueur du trait accompagne la solennité des modèles choisis. En témoignent

  • la raideur posturale,
  • la verticalité serrée des costumes,
  • la simplicité apparente des rapports de couleur entre Ellen et le fond sombre, rappelée par
    • son médaillon,
    • le ruban qui l’attache, et
    • les liserés renforçant le dialogue entre verticalité et horizontalité du tissu.

La peinture est aussi boutonnée que la robe de la sœur de l’artiste, assumant le paradoxe qui se tend entre maîtrise de l’art pictural et refus d’un embellissement esthétisant. Cette tension est fondée sur le rayonnement social que cherche à capter ce type de portrait : la dignité du modèle est proportionnelle à sa capacité à renvoyer une idée de sa maîtrise et de sa soumission aux codes en vigueur.

 

Albert Edelfelt, “Portrait d’Ellen Edelfelt” (1876). Photo : Rozenn Douerin.

 

Mère et sœurs de l’artiste (Berta, plus jeune, ayant droit à un chapeau coloré et à de superbes volutes dentelées) sont fixées dans une iconographie stricte, que l’on pourrait juger corsetée si ce terme n’était péjoratif. En effet, l’expressivité de la peinture sourd de la corrélation entre l’individu et le groupe dans lequel il s’intègre. En quelque sorte, Albert Edelfelt paraît moins peindre un modèle familier que le régime de conventions auquel ledit modèle est soumis. De même qu’ils aspireront plus tard à une portée folklorique, cherchant à fixer des traditions en les reconstituant pour l’occasion, les portraits d’Albert Edelfelt brossent avec vivacité la socialisation des individus, assignés à leurs tâches, à leurs rôles et à leurs obligation d’incarner un topos.
Le portrait d’Erik Edelfelt dans un landau en est une saisissante illustration : une grande partie du tableau est blanche. Robe blanche, tulle blanc, draps blancs, bonnet blanc sont encadrés par un landau à la fois sommaire et strict, ainsi que par un fond mouvant. La contrainte sociale est moindre pour le bébé ; les limites pesant sur lui restent à écrire ; le spectre des couleurs en témoigne. C’est aussi cela ce que paraissent raconter les portraits de familiers exécutés par Albert Edelfelt. Ils montrent que la pression sociale, à l’évidence, contraint et limite, mais, de l’autre côté, peut aussi donner l’impression de protéger ceux qui s’y soumettent en leur assurant d’être entouré de toute part par un garde-fou.

 

Albert Edelfelt, “Erik dans un landau” (1889, détail). Photo : Rozenn Douerin.

 

Dans le prochain épisode, nous confronterons ces portraits de familiers à trois autres catégories de portraits :

  • le portrait officiel (personnalité posant),
  • le portrait d’archétype (personne incarnant un personnage) et
  • le portrait de modèle hors cercle familial.

 

À suivre !