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Quintettes de Bartók et Catoire (Continuo) – 6/6

Quatrième de couverture

 

Dernière étape de notre parcours en compagnie d’Etsuko Hirose et du quatuor Élysée : le poco a poco più vivace qui conclut l’impressionnant quintette pour piano et cordes en Ut de Béla Bartók. Fondés sur

  • le contretemps,
  • la pulsation du piano et
  • la souplesse du tempo,

le prélude puis l’exposition du thème travaillent avec gourmandise

  • les unissons mouvants,
  • la tension entre rigueur métronomique et agogique, ainsi que
  • le dialogue entre piano et cordes en général – avec le violon de Pablo Schatzman en particulier.

Indispensables pour tisser une filiation entre musique classique et musique d’origine folklorique,

  • la vivacité de l’allure contraste avec le jeu sur les accents lourdauds,
  • la netteté de la ligne s’encanaille avec des glissendi tout à fait coquins,
  • l’évidence entraînante de la ligne se troue de silences brutaux.

La performance des interprètes consiste en grande partie à jouer cette partition tressautante avec une fluidité qui saisit. Point de morcellement, ici, mais

  • des contrastes,
  • des surprises, autrement dit :
  • du groove.

 

 

Tout concourt à la réussite musicale de cette proposition :

  • le piano polymorphe d’Etsuko Hirose, çà tonifiant, là lyrique ;
  • la capacité des cordistes à se fondre dans un ensemble et à en émerger pour quelques mesures de solo ;
  • l’art de trouver ensemble le ton juste pour rendre les différents caractères de la partition sans la transformer en une rhapsodie de fragments caricaturaux.

Pour ajouter un éclat supplémentaire à cette fête, le quintette déploie une palette de nuances d’une variété ébouriffante, auréolant aussi le faux fugato qui

  • pimpe le mitan du mouvement,
  • débouche sur une cavalcade, et
  • dévoile un maestoso fortissimo.

On s’y laisse éclabousser par

  • le swing,
  • les dynamiques et
  • la précision de la mécanique musicale.

Formidables sont

  • la souplesse des ruptures rythmiques et harmoniques,
  • la légèreté qui enrubanne la virtuosité, et
  • l’espèce d’ébriété aussi chic que déboutonnée

qui dynamitent cette section. On entend presque les interprètes se pourlécher les babines devant les mutations tournoyantes

  • de tempo,
  • de couleurs et
  • de dispositifs

 jusqu’au finale à l’unisson (hors basses).

  • La partition redoutable,
  • l’ambition esthétique et
  • l’exécution d’une profonde virtuosité

méritent tous les superlatifs : c’est joyeux.


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Jann Halexander, « Mes plus belles chansons (2003-2021) » – 1/2

Première de la pochette

 

Selon les générations et les snobismes, on appellera ça une compil, un best of ou un florilège. C’est en tout cas une sélection personnelle de chansons semées çà ou là qu’a concoctée pour nous le chanteur Jann Halexander en personne. Originellement prévu pour 2021, retardé par le Covid, désormais habillé d’une pochette qui cache à peine l’influence d’un disque présentant des miscellanées d’Anne Sylvestre avec visage au premier plan et Notre-Dame fondue-enchaînée derrière, ce parcours est disponible ici. Voilà une bonne occasion pour les curieux de picorer quelques titres de celui qui se définit parfois comme « le mouton noir de la chanson française » ; mais voilà aussi une bonne occasion pour les habitués de découvrir un autoportrait singulier, l’artiste ayant

  • choisi quelques piliers de son répertoire,
  • sélectionné des chansons moins souvent présentes dans ses tours de chant, et
  • laissé de côté quelques-unes de ses fredonneries qui électrisent son public (« Le poisson dans mon assiette », pourtant créé en 2016, n’est pas de la partie, par exemple, peut-être parce qu’elle est devenue davantage une chanson de scène que de disque… en attendant peut-être une compil’ live ?).

Le voyage commence en 2003 avec « Pont Verdun ». Au fil de la longue intro, le piano ressasse une série de motifs que la batterie ponctue bientôt. La voix, ensuquée dans une apparente mélancolie, poursuit la chanson danger et d’Angers en prenant à contre-pied ceux qui réduisent Jann Halexander à un chanteur à texte façon rive gauche, et ceux qui aiment à voir en lui un chanteur de cabaret survolté. Dès lors, ce titre liminaire résonne comme une déclaration d’insoumission. Il revendique à la fois son côté pop façon moins Bashung qu’entre Daho et Christophe, avec

  • parophonies vintage,
  • ton traînant, comme défait, et
  • envolées mystiques que l’écriture irrégulière semble, dans un geste oxymorique, vouloir rendre autant claquantes qu’hypnotiques.

Jouant d’un timbre grave, le chanteur évoque, à travers le paysage angevin, la minuscule insaisissabilité des sentiments grandioses. Il raconte l’ambiguïté de la pulsion d’Eros qui peine à masquer, dans « le jour noir », la présence irradiante de Thanatos. Sous l’apparence d’épuisement qu’il arbore parfois comme pour dresser un voile (ou une voile, selon les moments) entre sa barque et le fleuve du monde, il lance son disque sur ce que les habitués pourraient à tort prendre pour une fausse piste. Si l’on est loin de « Papa, Mum », on est dans le dark side of the Halexander’s trip, où le chanteur paraît prendre plaisir à

  • désirer et maudire,
  • idéaliser et agonir de quolibets,
  • piédestaliser (et hop) et clouer au pilori

trois pôles qui le hantent :

  • la lumière,
  • l’amour et
  • la vie.

Pour l’artiste, il y a un plaisir presque ironique à

  • se morfondre,
  • constater la vanité des choses et
  • tâcher de se convaincre qu’il ne faut pas rêver plus haut que le cul – en attendant néanmoins avec impatience le prochain songe.

« L’Inconnue dans ma maison » ne prétend pas contraster avec cette amertume heureuse par une luminosité plus réjouie. Une double intro – spécialité halexanderienne s’il en est – installe un rythme résolument sixties sur lequel l’ACI pose un thème central dans son œuvre : l’identité. Retors, il ne pose pas a priori la question de son identité mais celui d’une « belle inconnue » au sexe changeant, qui semble être à la fois impalpable et assez charnelle pour qu’elle lui « redonne de l’envie ». En laissant une grande part

  • à l’imprécis,
  • aux pointillés et
  • à l’estompe,

l’estampe produite par Jann Halexander place dans le puzzle de son portrait son art de la suggestion et, par-delà les seuls mots, son goût pour la musique dont témoignent les plages instrumentales agrémentant le paysage de cette chanson. En témoigne la coda inquiétante qui reflète la première partie de l’introduction et boucle l’inconnaissance sur elle-même. C’est alors que, respectant le jeu de la compil’, le chanteur dégaine deux titres récurrents dans ses tours de chant, chacun avec un statut particulier. Premier titre iconique, voici « Le mulâtre », une chanson qui prolonge la question de l’identité

  • trouble,
  • floue et
  • profuse.

Avec la collaboration des chants d’oiseaux peu messiaeniques – heureusement – et trop mignons pour être honnêtes (la suite confirmera cette intuition), l’intro richement harmonisée contraste avec l’accompagnement pianistique sciemment étique qui soutient le chant d’humain. Jann Halexander excelle dans l’art de l’autobiographie biaisée, mais son introspection se dérobe à l’égocentrisme. Il l’assume : quand il sourit de lui, il nous invite à sourire de nous. Le mulâtrisme, et hop, n’est pas réservé aux gens « vaguement blancs, vaguement noirs » car nous sommes tous

  • des contradictions,
  • des mélanges,
  • des singularités plurielles

sur pattounettes.

  • Bourgeois et précaires,
  • honnêtes hommes et filous fieffés,
  • gens reconnus des leurs et des voisins – donc inconnus :

l’ambiguïté identitaire se nourrit de nos contradictions. Loin d’une phraséologie woke, le Français d’origine gabonaise métaphorise sa condition. Contre lui, tout contre, on irait jusqu’à dire qu’il la sublime ou qu’il la transcende, au sens où il la dépose aux oreilles du public en la chansonnant, c’est-à-dire en nous permettant de nous l’approprier. Nés à Libreville, « Paris, Bordeaux, Lille, Brest(e) », nous avons à gagner à apprécier la complexité de nos identités. Elle n’est pas forcément

  • richesse,
  • éblouissement ou
  • orgasme intellectuel.

Croire à cette équivalence serait la définition même du fascisme. Non, ce que semble suggérer le chanteur dans cette proposition habilement habillée dans un piano-voix puissamment dénudé, c’est que

  • la dissonance (lui qui aime tant l’harmonie des secondes et des neuvièmes…),
  • la contradiction (lui qui cherche à longueur de textes son identité tout en refusant d’y être assigné), et
  • l’interpolation (lui qui, perdu devant les entrelacs qui constituent l’humain, en est ailleurs réduit à espérer une réponse des statues de l’île de Pâques, elles-mêmes inexpliquées)

sont potentiellement fécondes, mais il nous appartient de leur donner du sens, ce qui n’est point chose aisée. Planent sur ce questionnement ontologique

  • le constat de nos limites humaines,
  • l’anticipation de notre finitude, et la promesse de la mort, cette flamme qui brûle nos vies, nous fait « valser avec le malheur » et à l’aune de laquelle nous n’aurons jamais vraiment la lucidité de jauger nos « villages natals »,
    • réels,
    • reconstruits ou simplement
    • imaginaires.

Le second titre iconique du zozo s’appelle « À table ». C’est un moment-clef de ses concerts, ici rappelé dans sa VO. Les fans redécouvriront un titre présenté en piano-voix, avec l’artiste au piano (alors qu’il délègue souvent cette fonction, sur ce titre, quand il est sur scène). Les autres goûteront la logique narrative de l’album digital car, après avoir fait péter l’idée d’une identité fixe, qu’elle soit sexuelle

  • (l’hétéro,
  • l’homo,
  • le bi)

ou géographique

  • (l’Angevin du Gabon,
  • le Différent qui se fond dans la foule,
  • le Métissé qui se revendique tel tout en affirmant n’être que lui, comme un ornithorynque),

Jann Halexander propose d’expliciter le malaise de l’ambiguïté en affirmant que, malgré qu’on en ait, « il va falloir se dire tout ça à table ». Dans un arrangement sans flonflons superfétatoires, la chanson propose de « bouffer la vérité » au lieu du saumon dégueu et du crumble froid – peine perdue. Le fredonneur évoque

  • les non-dits,
  • les implicites,
  • les connexions imaginaires

qui ravinent les familles – celles du sang ou celles que l’on se choisit. Même en s’appuyant sur les autres, rien ne permet de solidifier son identité ni d’en faire un espace de sérénité.

  • La famille d’où nous venons est un lieu de haine recuite,
  • l’amour ne sert qu’à se sauver au sens de la fuite, sans doute, plus que dans une acception rédemptrice, et
  • la réunion entre proches ou amis est
    • un gouffre,
    • une vacuité,
    • un faux-semblant,

tonne l’artiste, mordant. Moins dandysme que lucidité, cette posture désenchantée du chanteur farmerophile se prolonge dans « J’aimerais, j’aimerais », long récit – toujours en piano-voix – de la révolte d’une « pédale » plouc de vingt ans face à son amant « député et bon catholique ». La confrontation entre le fils de péquenot et le politique au-dessus de tout soupçon n’est qu’une facette d’un double malentendu que narre ici le troubadour franco-gabonais. Nous ne spoilerons pas la suite du drame, qui confirme la conviction de l’artiste : seul le sexe dit vrai, tout le reste est bullshit et personne ne nous comprendra jamais. En dépit de son emphase définitive, une telle affirmation serait rassurante si l’humain n’avait pas tendance à déborder le support, donc à vouloir, en dépit du bon sens,

  • s’attacher,
  • se projeter,
  • espérer.

Dans cette première moitié de compilation, un Jann Halexander très sombre nous le déconseille fermement. Nous vérifierons fort bientôt s’il persiste et signe dans la seconde moitié de son florilège. À suivre !


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Quintettes de Bartók et Catoire (Continuo) – 5/6

Quatrième de couverture

 

Contrairement aux tristesses, douleurs et autres souffrances,

  • chaque plaisir,
  • chaque joie,
  • chaque ébaubissement

a son envers. Ainsi en est-il de l’écoute du quintette pour piano et cordes de Béla Bartók : ses deux premiers mouvements font saliver pour les deux derniers dont nous allons à présent écouter l’Adagio ; mais la suite et fin, sous les doigts d’Etsuko Hirose et les archers digitaux de Vadim Tchijik, Pablo Schatzman, Andrei Malakhov et Igor Kiritchenko, vont-ils nous éblouir autant que les deux premiers épisodes ?
Le troisième épisode de cette saga sapide s’ouvre sur un motif énoncé à l’unisson par les cordes puis réinventé peu à peu par le piano.

  • Contrastes d’intensités (du pianissimo au double sforzendissimo),
  • déformations rythmiques (contretemps et instabilité de tempo),
  • suspensions du discours (retards, ralentissements, point d’orgue)

donnent au prélude une aura de mystère que pimentent

  • d’inquiétantes secondes,
  • un abondant recours aux triolets – bientôt de quintolets, de septolets voire divers ensembles allant de 10 doubles croches pour 8 à 20, 23, 24, 27 voire 40 triples croches pour 16 – et
  • le ressassement quasi obsessionnel de la même série de quatre notes.

Un dialogue presque confus s’engage entre le quatuor et le piano, puis entre les membres du quatuor. Le compositeur se délecte en secouant

  • la mesure (entre 4/4 et 2/4),
  • la battue (agitato versus retards progressifs) et
  • les caractères liés aux indications de tempo (adagio, adagio molto, maestoso, etc.).

 

 

Amplifié par la large palette expressive des interprètes, le charme naît notamment

  • des effets d’écho entre le quatuor et le piano,
  • de l’inventivité dans les traitements curieusement post-wagnériens infligé au leitmotiv, et
  • du mélange entre la grande précision rythmique de l’écriture et les plages ménagées pour déformer cette structure très exigeante.

Après un vivace foufou, Béla Bartók semble se réapproprier le calme avec une liberté que la mesure traduit bien, entre 4, 5, 6 et 7 temps. Dans ce mouvement a priori moins spectaculaire que le précédent, la prouesse est triple :

  • donner de la fluidité à ce qui, sur le papier, risque d’être conçu dans un morcellement dommageable à la continuité – réelle – du propos ;
  • offrir, en dépit des oppositions entre quatuor et piano, une cohérence de son qui n’aplatisse pas le récit – la prise de son de Bertrand Cazé se refuse astucieusement à tout gonflement acoustique pompeux (hormis l’inutile réverbération ajoutée parfois au dernier accord d’un mouvement) ;
  • enrouler les cinq musiciens dans une même énergie qui tourne autour du piano exceptionnel d’Etsuko Hirose, insaisissable partenaire sachant, sur l’ensemble des registres, être l’accompagnatrice, la provocatrice, la rugissante, la douceur même et la réconciliatrice.

Comme l’eût chanté Georges Brassens grâce aux mots d’Antoine Pol,

  • la dynamique de cette version,
  • la respiration commune du quintette et
  • la créativité de la partition

« fait paraître court le chemin » de près de douze minutes qu’emprunte l’auditeur. On ne peut qu’être emporté par

  • les modulations à la fois logiques et surprenantes,
  • la souplesse du geste interprétatif, et
  • la musicalité profonde couvrant la virtuosité – notamment pianistique – sous le manteau de l’art laissant presque ignorer la technique.

Tout crépite : ondulations se transformant en cahots, traits de harpe basculant dans un agitato où les petites saucisses d’Etsuko Hirose ne chôment point, les nuances orchestrales évoquant une « Mort d’Isolde » avant de se fondre dans le sautillement progressif d’un mouvement final « poco a poco più vivace ». À suivre !


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Quintettes de Bartók et Catoire (Continuo) – 4/6

Quatrième de couverture

Après un premier mouvement bi-goût, le quintette pour piano et cordes de Béla Bartók s’annonce plus unifié. En effet, le deuxième mouvement est intitulé Vivace (scherzando).

  • Ternaire,
  • rythmique,
  • changeant et
  • contrasté,

il s’enroule autour d’un thème chromatique peut-être d’origine folklorique. Deux blocs se distinguent : le piano et les cordes. Pour autant, les rôles s’échangent : le leader d’un segment devient l’accompagnateur de l’autre. On se goberge de la labilité de la partition,

  • passant d’un marcato à un grazioso,
  • risquant un pesante bien martelé,
  • glissant un dolce presque sucré, tout en
  • manipulant le rythme comme d’autres jouent au Rubik’s Cube.

Le dialogue enflammé entre le piano d’Etsuko Hirose et le quatuor Élysée (les deux violonistes ont interverti les pupitres : après Vadim Tchijik dans le quintette de Georges Catoire, c’est à Pablo Schatzman qu’est échu le premier rang) sait être

  • bataille rangée,
  • engrenage qui s’auto-entretient dans de vigoureux crescendi mais aussi
  • apaisement provisoire.

Béla Bartók flatte l’oreille grâce à

  • sa science de l’harmonie,
  • son sens du groove,
  • son art de la narration, et grâce à
  • sa maîtrise de l’instrumentarium dont il prend soin de laisser goûter les très riches possibles.

 

 

Les interprètes caractérisent habilement les différents segments, qu’ils soient

  • rythmiques,
  • élégiaques,
  • tendus ou
  • furibonds.

Le surgissement d’un moderato inattendu aux deux-tiers de la course avive la curiosité qui anime l’auditeur depuis le début et le rend suspendu aux prochains épisodes comme un netflixophile en plein binge drinking de son feuilleton préféré. Le travail sur

  • les registres,
  • la complexité rythmique (ainsi de ces huit croches pour six),
  • l’agogique augmentant le suspense, et
  • les ondulations des tempi

est présenté avec une mâle assurance par les musiciens. La diégèse est

  • riche,
  • profuse,
  • savoureuse.

Le résultat est

  • impressionnant mais jamais m’as-tu-vu,
  • virtuose mais point extravagant,
  • fascinant et pourtant empreint d’un naturel qui ébaubit.

À suivre !


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Quintettes de Bartók et Catoire (Continuo) – 3/6

Première du disque

Quarante minutes : c’est la durée du quintette pour piano et cordes en Ut de Béla Bartók, qui fera l’objet de quatre chroniques sur ce site – une par mouvement. L’œuvre a été

  • composée en 1904,
  • créée avec le compositeur au piano,
  • révisée en 1921,
  • perdue puis
  • retrouvée en 1963.

Son premier mouvement est un diptyque associant un andante à un allegro molto. L’andante est d’abord confié aux cordes que rejoint un piano décidé – cette fois un Fazioli concert 280. Les cinq musiciens s’attachent à rendre la versatilité du prélude en faisant miroiter

  • les différentes humeurs,
  • les nombreux changements de tempo, et
  • les modifications de couleurs apportés par la registration (cordes seules, cordes avec piano, duo violon – violoncelle, trio piano – alto – violoncelle, etc.).

Etsuko Hirose impressionne singulièrement dans sa manière magistrale de traiter avec fluidité

  • les traits atypiques de triples croches,
  • les cahots rythmiques, et
  • les ajustements d’intensité en fonction du rôle attribué par le compositeur à son instrument.

Ensemble, les compères excellent dans

  • la création d’atmosphères
    • (sérénité,
    • suspense,
    • électricité,
    • explosivité),
  • le tuilage d’un registre à l’autre, et
  • la capacité à donner une sensation de cohérence à cette étrange donc fascinante succession de vagues hésitant entre
    • le fracas bénin sur la digue,
    • la tension sous-marine dont on redoute à raison les conséquences, et
    • la colère tempétueuse qui débouche sur un allegro de cinq mesures puis sur l’allegro molto attendu.

 

 

La présente version sait associer (c’est-à-dire tantôt

  • opposer,
  • confronter mais aussi, à l’occasion,
  • superposer)

des caractéristiques aussi contradictoires que

  • le brio et et l’intériorité,
  • la tonicité et la douceur,
  • l’expressivité et l’allant.

En ébullition, l’écriture du jeune Bartók multiplie les modifications de cap :

  • ici un agitato,
  • çà un dolce,
  • là un pesante.

On apprécie la manière dont les musiciens donnent une cohérence à cette collection de vignettes bigarrées.

  • L’étagement des voix,
  • le travail de synchronisation, et
  • l’art de contrastes parfois univoques, parfois ambigus,

soutiennent l’attention au long de ce voyage dépassant les douze minutes. La partition n’y est pas pour rien, mais la vaillance spectaculaire des interprètes lui rend joliment justice. À suivre !


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Quintettes de Bartók et Catoire (Continuo) – 2/6

Quatrième de couverture

Vigoureux et inventif, l’allegro moderato du quintette pour piano et cordes de Georges Catoire nous a mis dans de joyeuses dispositions. L’incipit de l’andante en Si ne laisse pas retomber notre enthousiasme en persistant dans l’envie de faire dialoguer battues binaire et ternaire. Binaire pour les cordes dont l’alto d’Andrei Malakhov prend la tête et pour les ploum-ploums à la main gauche du piano ; ternaire pour les flonflons de la main droite. L’effet de bancalité, et hop, est parfait.

    • L’oscillation entre les pôles,
    • la richesse de la partie de piano avec ses quintolets de doubles (mais pas que) posés sur des triolets de croches,
    • la netteté du quatuor qui n’obère pas sa capacité à respirer de concert

happent l’auditeur dans cette nouvelle aventure.

  • L’étrangeté de la modulation en Mi bémol « con intimo sentimente » confiée aux cordes seules,
  • le travail sur les contretemps et les rythmes pointés,
  • l’élégance de la partie pianistique et
  • l’instabilité de la mesure et du tempo

font, comme la dépanneuse Simoun selon Tintin Ternet, boum. Ils

  • surprennent,
  • bousculent l’évidence et
  • avivent l’écoute.

Le retour de la tonalité de Si, au mitan du mouvement, confirme la capacité de Georges Catoire à explorer sans cesse de nouvelles combinaisons sonores avec, notamment,

  • des traits parallèles pour les deux violons et l’alto,
  • des unissons vibrants pour les mêmes compères,
  • des porosités laissant circuler le thème de pupitre en pupitre, et
  • un polyusage du piano entre
    • enrichissement harmonique,
    • battement rythmique et
    • écho mélodique.

Les interprètes rendent raison d’une partition

  • complexe,
  • palpitante et
  • habile

en jouant d’une grande variété

  • de nuances,
  • de sentiments et
  • de vibrations

sans avoir peur – et c’est appréciable – ni du tumulte ni du murmure.

 

 

Le dernier mouvement se cabre en Mi bémol et promet d’être « allegro con spirito e capricioso ». On salive. Pourtant, contrairement au titre aguicheur, le début est presque calme : les cordes sont sourdinées et portées sur le pizzicato. Rien de furibond a priori. Au contraire !

  • Un piano aérien,
  • une métrique libre,
  • un registre exclusivement aigu, même pour le violoncelle :

une ambiance féérique et butinante (j’essaye), quasi Maya l’abeille avant le retour des néonicotinoïdes pour que cette merde qu’est la FNSEA écoule ses produits nocifs. Or, le retour a tempo remet grave du grave dans la machine.

  • À-coups,
  • retours en arrière,
  • changements de direction thymique

font frissonner le frichti. Dès lors, dans le faitout bouillonnant de Georges Catoire,

  • la tonalité de Mi bémol devient Mi (on passe un demi-ton au-dessus),
  • les quatre doubles croches deviennent quintolet (on rajoute une note dans la fougue du piano),
  • le tempo est sans cesse boosté par des stéroïdes comme ces indications
    • « con moto » (« avec une Yamaha de circuit », traduirait-on aujourd’hui),
    • « molto animato »,
    • « agitato » ou
    • « con inpeto ».

Jamais à court d’inventivité, Georges Catoire ajoute

  • modulations,
  • échos et
  • rythmes-contrerythmes

que les interprètes embellissent, quitte à estomper certaines notes pour stimuler l’imagination des auditeurs (le la du piano à 2’50).

  • Le mesurage démesuré,
  • la substitution de la tension 2 contre 3 par 4 contre 5,
  • les modulations impétueuses

contribuent à dynamiter et à dynamiser une musique qui refuse de se cantonner au bon aloi.

  • La virtuosité sans affectation des interprètes,
  • la multiplicité des colorations (pour quelques secondes, Wagner arrive énormément vers 4’51),
  • le sublime et étrangement consensuel apaisement final en Sol

mettent en lumière une partition fulgurante. Les musiciens réussissent à lui éviter la taxinomie de « pièce rare » : c’est une grande œuvre,

  • redoutable pour les interprètes,
  • passionnante pour les auditeurs et
  • grisante pour les âmes sensibles,

ici magnifiquement exécutée. Vivement la prochaine piste – que nous explorerons dans une chronique à venir !

 

 


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Quintettes de Bartók et Catoire (Continuo) – 1/6

Première du disque

Derrière le nom bien français de Georges Catoire se cache en réalité Georgi Lvovitch Catoire, wagnérophile de la première heure et mathématicien devenu professeur de composition au conservatoire de Moscou. Plus chanceux que Béla Bartók sur ce disque, puisque le label Continuo n’a pas eu l’inélégance de souiller son patronyme (le quatuor Élysée devient itou le quatuor Elysée, dans un étonnant laisser-aller éditorial, comme si apposer un accent coûtait trop cher…), il ne bénéficie cependant pas d’une gloire posthume à la mesure du compositeur avec lequel il partage la set-list de ce disque où le quatuor Élysée convie Estuko Hirose pour coupler deux imposants quintettes pour piano et cordes. Comme il a été dit : « Il avait un défaut, celui de ne pas savoir se mettre en avant. » Et pourtant…
C’est en 1921 que Georges Catoire a terminé son quintette op. 28 en sol mineur, lequel s’ouvre par un allegro moderato en 3/4 officiellement, mais plutôt en 9/8 puisqu’au ternaire de la mesure s’ajoute celui de la main droite qui égrène trois croches par temps. D’emblée, le compositeur crée une tension entre l’énoncé à trois triolets par mesure et un accompagnement binaire privilégiant le contretemps.
Abstrait, ce galimatias ? Au contraire, très concret car c’est de ces frictions que jaillissent les escarbilles animant cet incipit jusqu’à un grand crescendo qui se résorbe peu à peu, passant du plein souffle des cinq instruments à un dialogue entre le violoncelle d’Igor Kiritchenko (croisé tantôt avec Jasmina Kulaglich) et le piano d’Etsuko Hirose.

  • Des harmonies changeantes,
  • des rôles qui s’interpolent, et
  • des changements de mesure

caractérisent une musique où l’élégance n’est jamais éloignée du mystère. Georges Catoire joue avec les miroitements de son quintette.

  • Différenciation des pupitres,
  • éviction du piano,
  • piano solo,

point de doute : d’emblée, Georges Catoire marque sa maîtrise de l’instrumentarium. L’écriture est assez habile pour faire du piano d’Etsuko Hirose le pivot de la narration. Sa rythmique

  • sensible,
  • labile et
  • rigoureuse

galvanise le propos.

 

 

Des effets

  • d’écho,
  • de contamination et
  • de contraste

entre pupitres font circuler le propos autour d’un motif familier que le piano semble expliciter en le rapprochant du « Dies irae » (4’15). Les cinq compères excellent à faire gonfler puis dégonfler les bulles d’émotion. Grâce à leur aisance technique

  • (confondants suraigus de Vadim Tchijik,
  • précision rythmique de Pablo Schatzman,
  • ampleur et chaleur de l’alto d’Andrei Malakhov,
  • vigueur et caractérisation des registres du violoncelle d’Igor Kiritchenko,
  • capacité à être lead et à accompagner avec la même rigueur imaginative d’Etsuko Hirose sur son Steinway D)

et leur évident désir de jouer avec expression et dans une belle cohérence de son et d’intentions,

  • les emportements emportent,
  • les decrescendi sont subtilement agencés,
  • les fortissimi savent sonner sans jamais confondre puissance et bruit.

Ainsi les interprètes offrent-ils une vision très animée de la partition tout en donnant une sensation d’intensité et de cohérence libre, sinon de logique, dans l’agencement des humeurs.

  • La richesse rythmique sait s’abstraire de la confusion ;
  • la richesse harmonique sait aguicher sans virer au clinquant ;
  • la richesse des nuances (superbe finale pianissimo) sait capter l’attention sans verser dans l’histrionisme.

Bref, on se régale et l’on s’ébaubit. À suivre !


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Michel Tirabosco, « Méditation [et ?] flûte de Pan » (Bayard)

Première du disque

C’est assez rare pour être souligné : nous entamons l’écoute de ce disque, une réédition de 2012 tirée du catalogue VDE-Gallo, avec un mélange de doute et d’appréhension. D’ordinaire, nous guident plutôt

  • la confiance dans le répertoire,
  • l’envie d’être ébaubi par des artistes,
  • la joie de découvrir ou de redécouvrir des œuvres mettant en appétit pour des raisons diverses.

Cette fois, nous devons à l’honnêteté de douter de la capacité à nous envoler du produit repackagé pour se conformer à collection « Méditation » de Bayard. En effet, nous ne sommes pas

  • familier de la méditation,
  • enclin à allumer une jolie bougie en écoutant sur YouTube une heure de pluie pour nous aider à accéder à la slow life,
  • féru de vieux idiolectes new wave associant
    • pleine conscience,
    • reconnexion à son vrai soi en tant que tel, et autres
    • cheminements intérieurs à suivre
      • chez soi,
      • dans le métro grâce aux podcasts prévus à cet effet (n’oubliez pas de vous abonner, ça fait toujours plaisir), ou
      • en retraite collective avec pratique du jeûne chamanique moyennant un virement de 250 € au gourou à la petite semaine autoproclamé
        • psychopraticien,
        • coach de bien-être ou
        • guide spirituel.

Voilà pour les clichés. Néanmoins, en dépit d’une première de couverture où l’absence d’accent circonflexe sur la flûte (voulue puisque répétée pour les autres disques avec flûte de la collection) nous excite autant que l’aurait fait une punchline en écriture inclusive, le disque nous a été envoyé avec le livre du flûtiste, chroniqué ce 10 octobre 2025, et nous imaginons que si l’attaché de presse – qui nous connaît un peu – nous l’a envoyé, c’est que la galette fait résonner le témoignage de l’artiste. Aussi avons-nous choisi de nous secouer les puces et de remiser un temps les histoires

  • de toucher,
  • d’attaque et
  • de petits marteaux

pour nous risquer dans un concept annonçant des miscellanées pour le moins variées… et malheureusement dépourvus de toute précision

  • (idée directrice du disque,
  • raison des choix ayant conduit à substituer la flûte de Pan aux instruments originellement prévus,
  • nom des arrangeurs,
  • dates et lieux des captations,
  • détail de la composition de l’orgue incriminé dans trois adaptations, etc.).

En clair, rien pour les mélomanes curieux. Le disque est pensé par Bayard comme un truc pour regarder fumer un bâtonnet d’encens encore plus cancérigène qu’un voyage dans le tunnel horripilant conduisant de La Chapelle à gare du Nord – ce qui n’est pas une mince performance, si l’on en croit les indicateurs qui existaient avant que, vu leurs résultats, plus d’indicateurs. Cela change la manière d’écouter le travail d’un musicien qui ne manque pourtant pas de références académiques et concertantes. Le disque promet

  • de la douceur avec des instruments pas trop bruyants
    • (harpe,
    • guitare,
    • orgue pour des mouvements lents) mais aussi
  • un passage orchestral, placé en ouverture de bal et
  • un trio dont l’instrumentarium est tacet – ô suce-pince ! quand tu nous tiens !

La « Vocalise » de Sergueï Rachmaninov ouvre la liste des tubes ou des scies, selon le point de lassitude. Michel Tirabosco la joue droit, avec la précision et la retenue de vibrato qui signalent un musicien de goût, ce qui n’empêche pas les deguelendi peut-être inévitables mais assez cuisants comme à 1’28 ou à 3’15. Le Volgograd Philharmonic Orchestra dirigé par Emmanuel Siffert fait le travail sans excès

  • de poésie,
  • de précision ni
  • de justesse parmi les pupitres graves.

Timing presque similaire : en 1879, quarante ans avant la vocalise sans parole, Gabriel Fauré draguait sur une barcarolle en si bémol mineur Alice Boissonnet avec la musication d’un poème de Sully Prudhomme où le monde se distingue en deux masses : les femmes qui pleurent et les hommes que les horizons leurrent. La flûte octavie la ligne de la soprano. Attentive, Nathalie Chatelain accompagne avec justesse et sensibilité un soliste qui

  • a du souffle et sait l’éteindre (2’10),
  • joue juste mais sait glisser (2’23),
  • n’est pas voix mais raconte.

L’arrangement de « La Romanesca », air hérité du quinzième siècle, formalisé par Fernando Sor et réarrangé par on ne sait qui dans une tonalité convenant au grave de la flûte de Pan, fait entrer l’excellent Antonio Dominguez à la guitare. On note notamment

  • un effort de nuance (un truc qui doit être foufou pour le soliste),
  • de respiration commune,
  • de caractérisation des sonorités de chaque instrument (chaleur de la guitare, évanescence de la flûte), ainsi que
  • des contrastes
    • d’intensité,
    • de couleur et
    • de registres pour le soliste.

« Aqua e Vinho » (curieusement orthographié avec un « y » au lieu du « e ») rappelle l’album éponyme du guitariste brésilien Egberto Gismonti, publié en 1972. L’arrangement non signé pour

  • flûte,
  • piano,
  • violoncelle et (l’arrangeur n’y est pour rien)
  • surmix lourdissime de la basse du piano façon contrebasse superfétatoire quand il accompagne

traîne un spleen qui n’hésite pas à se détremper pour se diffracter. Le trop bref solo du pianiste libère le propos avant que la convention ne reprenne le lead. Du travail d’ascenseur bien fait mais sans guère d’intérêt.
L’accompagnement guitaristique de la « mélodie traditionnelle écossaise » intitulée « Annie Laurie » est confié à Sophie Blanchart. Ce duo met en valeur

  • la réverbération détestable ajoutée par le mastering de François Terrazoni,
  • la capacité de Michel Tirabosco à jouer en autoduo avec lui-même, et
  • le plaisir que l’on peut goûter malgré tout à la nostalgie.

André Luy prend l’orgue pour le largo d’une Sonate en Fa de Georg Friedrich Telemann. Extrait de son contexte, le mouvement souffre d’une flûte hyperréverbérée. Certes, il est

  • joué avec sérieux,
  • joliment ornementé (exclusivement par le soliste) et
  • mené à bon port sans trop de ralenti à la fin,

mais il nous oblige à constater que nous risquons de décrocher car, de cette succession de propositions de bon aloi, nous ne percevons ni la cohérence, ni la dynamique.
Avant d’abandonner, risquons-nous au moins dans la cinquième des sept Chansons populaires de Manuel de Falla, dont la partie de piano est confiée à la guitare immédiatement reconnaissable et saisissante d’Antonio Dominguez. Michel Tirabosco donne des airs presque mauresques à la berceuse avec

  • ses ornements,
  • ses glissements,
  • ses mutations d’intensité dans les tenues, et
  • ses libertés pour placer les notes selon un profond feeling, par opposition à la rigueur presque métronomique de l’accompagnement.

C’est malin.
Le finale en harmoniques nous séduit assez pour que nous poussions jusqu’à la « Méditation » du deuxième acte de Thaïs de Jules Massenet, accompagnée par la harpiste Nathalie Chatelain. Le flûtiste y trouve une sobriété bienvenue en dépit de quelques glissements dont l’appréciation sera laissée à chacun (0’44, reprise du thème, par ex.). La partition a été çà et là aménagée (réécriture et octaviation à 1’16, par ex.) car, même large, la tessiture d’une flûte de Pan reste moindre que celle d’un violon.
En soi, rien de choquant, mais il est certain que le passage « animé » perd beaucoup de la passion progressive dont l’injection est demandée par le compositeur quand, à mi-course, la phrase doit redescendre à la cave en pleine émotion. De même, le choix de prendre l’avant-dernière note à l’octave inférieur permet certes de donner l’impression d’un aboutissement sur l’ultime ré, mais fait perdre en partie l’idée de calme retrouvé que Jules Massenet suggérait en proposant une dernière note plus grave que l’avant-dernière. Ces réserves étant posées, l’on se doit aussi de ne pas vétiller (et hop) plus que de raison, afin de gûter

  • le souffle,
  • le phrasé, et
  • la sonorité

de la flûte que Nathalie Chatelain suit avec

  • attention,
  • précision et
  • énergie

pour ne pas faire de cet extrait, indispensable au vu du titre dont est affublé le disque, une scie soporifique. Popularisé par Gheorghe Zamfir, la « Cintec din Ardeal » (« chanson de Transylvanie ») est ici présenyée en version guitare-flûte. Sur un accompagnement au temps qui s’enrichit d’un contrechant à la reprise, Michel Tirabosco évoque une jolie nostalgie à travers

  • un legato confortable,
  • des ornements bien troussés, et
  • un calme communicatif.

À ce stade, impossible de ne pas pousser jusqu’à la transcription de la cavatine « Casta diva », qui décapsule l’acte premier de Norma de Vincenzo Bellini. En effet, le disque se répartit entre

  • mélodies,
  • chants traditionnels,
  • musique instrumentale et, donc,
  • grandes arias.

« Casta diva » est idoine pour le projet méditatif car il s’agit de prier la « chaste déesse » du titre afin qu’elle répande sur Terre la paix qu’elle fait régner au ciel. Nathalie Chatelain reprend sa harpe pour l’occasion, offrant une lecture

  • claire,
  • incisive,
  • nette,

qui sait se colorer de douceur quand son instrument accompagne. En dépit de stridences qu’une soprano rendrait sans doute plus étincelante qu’une flûte de Pan (4’49), le plaisir d’écouter un tube joliment soufflé n’évacue pas tout à fait la question du « pourquoi diable ? » qu’un livret aurait peut-être contribué à rendre inopérante. Nous nous permettons donc de filer directement à la Cinquième danse hongroise de Johannes Brahms, laquelle conclut la set-list.
En lieu et place de deux pianistes, nous retrouvons Michel Tirabosco à la double flûte avec la guitariste Sophie Blanchart. En dépit de la qualité des musiciens, on imagine le grand effet que produirait cette version dans une salle des fêtes pour un repas de fin d’année offert aux personnes âgées à la veille d’une année électorale. C’est

  • dansant,
  • connu,
  • simple,

avec

  • des glissendi,
  • des déguelendi et
  • des breaks

aussi cocasses que réussis… et inattendus dans le genre « méditatif » ! En conclusion, un beau travail que les mélomanes pourront néanmoins éviter : ils ne sont pas le public ciblé par cette mosaïque plus divertissante que

  • troublante,
  • poignante ou
  • galvanisante

pour l’oreille et le cœur. Mais, après tout, Claude Debussy en personne ne disait-il pas que la musique est là, avant tout, pour faire plaisir à celui qui l’écoute ?


Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.

Irakly Avaliani joue Domenico Scarlatti (Sonogramme) – 4/4

Quatrième de couverture

Quadruple finale en Ut, pour ce disque de sonates de Domenico Scarlatti, le majeur l’emportant sur le mineur par le score sans appel de 3-1. La première sonate majeure, dite K.159, se lance dans un vivacissimo ternaire qui a déjà commencé quand la première mesure apparaît. La fanfare qui éclate n’est point qu’ultravivace, ce qui serait déjà pas mal. Elle est aussi

  • bondissante (les staccati),
  • vibrante (les trilles),
  • dynamique (les appogiatures) et
  • modulante (Sol puis Ut mineur).

Irakly Avaliani, habile utilisateur de l’agogique, s’en tient ici à une exigence délicieusement métronomique – et un oxymoron, un ! Cela ôte toute précipitation et renforce l’énergie de l’ensemble par cette impression de joyeuse fatalité entraînante qui en émerge. Domenico Scarlatti garde quelques atouts pour la seconde partie, dont

  • des mordants qui multiplient les pétillements (l’interprète avait sans doute snobé celui que proposent certaines éditions dans la première partie afin de doper l’effet de la seconde partie),
  • les notes tenues en surplomb de la ligne mélodique, et
  • le quasi rubato en accélérant

qui débouche sur la suspension du discours avant que le premier motif ne s’impose à nouveau.

 

 

Pour faire sursauter l’auditeur, le pianiste aurait pu choisir une sonate mineure un peu molle du genou. Fidèle à sa ligne de conduite, il opte pour la continuité en assumant une tonalité guère éloignée (do mineur au lieu de Do majeur) et un tempo allant (allegro contre vivacissimo).

  • Vigueur martiale,
  • continuité entre doubles des deux mains,
  • charme
    • de la walking-bass,
    • des cahots des deux-en-deux et
    • des notes rebondissantes :

le clavier

  • miroite,
  • étincelle et
  • virevolte

avec une efficacité évidente. Ainsi Irakly Avaliani déploie-t-il une virtuosité étonnamment discrète.

  • La mise en doigts du texte,
  • le rythme,
  • l’incarnation par
    • les phrasés,
    • les accents,
    • le toucher qui donne de l’élan

sont si aboutis que la fluidité du morceau confine

  • au naturel,
  • à l’évident, et
  • à l’hypothèse que, en 2013, loin des monospécialistes, la sonate scarlattienne a peut-être trouvé son nouveau champion.

La seconde partie, tout aussi saignante, s’enrichit

  • d’unissons octaviés furibonds,
  • d’une synthèse des différentes formes croisées, ainsi que
  • d’hésitations modulatoires et de jeux chromatiques que Johann Sebastian Bach – quasi exact contemporain de DS – n’aurait pas reniées.

 

 

Retour au majeur pour la sonate K.49, mais pas de mollesse en vue – ce qui n’aurait pas été absurde pour préparer une dernière sonate encore plus étincelante après une miniature gnangnan :

  • la mesure est à deux temps,
  • l’affaire se joue presto, et
  • le compositeur n’hésite pas à booster son discours avec des triolets et des doubles croches.

Cependant, l’interprète souligne une autre qualité – triple – de la vitesse : c’est

  • la vibration de l’élégance,
  • la qualité du frôlement, et
  • la délicatesse de la sensation.

À feuilleter diverses éditions, on comprend que, parmi de nombreuses sources, Irakly Avaliani est allé chercher ce qui lui paraissait le plus juste, le moins fanfreluche et peut-être le plus historique. Les accents qu’il place permettent de swinguer la complémentarité entre

  • binaire et ternaire,
  • régularité et musicalité,
  • littéralité et inspiration.

L’association entre

  • séries de triolets,
  • fulgurances en doubles,
  • traits de gammes descendantes

scintille grâce à un jeu toujours très clair sans jamais s’engoncer dans la cristallisation de l’insensibilité. Il y a

  • de la finesse,
  • de la malice et
  • de la hauteur de vue dans cette façon très personnelle donc très convaincante
    • de s’emparer de la partition,
    • de la comprendre et
    • de la restituer avec art.

 

 

Irakly Avaliani choisit de boucler son hommage à Domenico Scarlatti, financé par le groupe Balas, avec la sonate K.420. C’est

  • furibond,
  • rugueux,
  • militaire,

mais c’est aussi

  • imprévisible,
  • insaisissable et
  • réversible.

Tel est l’effet de la virtuosité avalinienne à son climax : susciter une orgie

  • d’épithètes,
  • d’impressions et
  • de questionnements.

La seconde partie de la sonate n’innove guère mais permet à l’auditeur de se goberger de l’aisance digitale de l’interprète. In fine, un compositeur qui anticipe sur le zozo qui l’incarnera trois siècles après, même si l’on peine à le considérer comme un maître tant lui-même peine à nous inspirer une émotion, critère iconique de notre époque, mérite un coup de chapeau, et nous le lui accordons bien volontiers.

 

 

Par

  • sa science de la bestofisation,
  • sa force intérieure et
  • sa capacité de l’artiste à communiquer un sentiment de nécessité artistique à l’auditeur,

le disque d’Irakly Avaliani est un boost dont l’humanité urgente que nous fréquentons puisque nous en sommes membres aurait tort de feindre de l’ignorer. Parce que, sans ce disque, vivre est complètement possible mais peut-être complètement moins bien.


Pour écouter le disque en intégralité, c’est ici.

Irakly Avaliani joue Domenico Scarlatti (Sonogramme) – 3/4

Première de couverture

 

La sonate K.5 en ré mineur de Domenico Scarlatti est un allegretto ternaire qui ressemble à une conversation insouciante entre deux dames – dont une beaucoup plus pipelette que l’autre – tâchant moins d’échanger des nouvelles que de faire société poliment devant leur pavillon moche mais fonctionnel, situé dans une zone périurbaine qui pourrait se trouver n’importe où mais a le malheur de se situer dans les tréfonds d’un département ingrat, le 78 ou le 91, par exemple. Au programme,

  • trilles chargées de dissiper l’ennui,
  • triples croches tentant de relancer la discussion,
  • gammes égrenées benoîtement comme on enfile les poncifs pour éviter le silence,
  • notes répétées et descentes vers le grave parce que, malgré tous les efforts, il n’est pas si simple de meubler.

Irakly Avaliani donne un charme certain à ce babillage sciemment insipide en valorisant

  • la légèreté des staccati rebondissants,
  • la frivolité des ornements incisifs,
  • l’équilibre des deux voix complémentaires,
  • la précision réglée du swing à trois temps, et
  • la netteté enchanteresse des phrasés.

Au centre du programme, cette sonate dispensable peut paraître indispensable pour offrir à l’auditeur une respiration en forme d’entracte.

 

 

Tel n’est pas le cas de la sonate en Ré majeur dite K.145. Cette sonate est apparemment proche de la précédente :

  • quoique majeure, elle reste en ré ;
  • c’est un allegretto, donc sur un tempo similaire ; et
  • la mesure est identique avec trois croches entre deux barres.

On reconnaît là l’un des partis pris implicites d’Irakly Avaliani, qui consiste à piocher dans le vaste corpus de Scarlatti des pièces sans doute favorites mais, surtout, dont l’agencement est à la fois cohérent et soucieux d’une variété… laquelle est d’autant plus délectable qu’elle se fonde sur un récit fluide où les contrastes sont plus intérieurs et délicats que surexposés. L’interprète ne cherche pas à démontrer l’intérêt d’écouter seize miniatures de rang : il en est assez convaincu pour les assembler de manière musicale et non pédagogique. Là, on est dans

  • le décidé autoritaire,
  • le contre-temps groovy,
  • le 9/16 expansif.

Le pianiste est notamment aux prises avec le croisement de mimines, l’exigence du legato, les mutations harmoniques. On y goûte

  • énergie,
  • virtuosité et
  • efficience.

Par honnêteté envers les personnes fragiles du boum-boum, on doit aussi saluer

  • la répartition des ornements,
  • l’allant euphorisant, et
  • le contraste entre tranquillité du jeu et la furibonderie du résultat suspendu.

 

 

La sonate en ré mineur dite K.9 prolonge l’histoire en persistant

  • en ré,
  • en 6/8 (six croches par mesure) et
  • dans un tempo allant… mais pimpé (on passe du vague allegretto au vague allegro).

L’Irakly est facétieux et malin. Et, en dépit de sa stature de Géorgien d’origine, élégant  Il sait jouer

  • la proposition,
  • l’aguichage,
  • le possible du clin d’œil.

La précision

  • des appogiatures,
  • des trilles et
  • des traits

séduit sans convaincre que l’on a affaire à un compositeur mastodonte du clavier. Lucide et pertinent, l’artiste propose de moduler un ton plus haut, donc en mi avec la sonate K.394.

 

 

L’allegretto à deux temps s’ouvre sur manière de toccata que le pianiste exécute avec la liberté d’ornementation et d’agogique requise.

  • Mordants,
  • gammes ascendantes en écho,
  • accents donnant du rebond,
  • modulation en si mineur

animent un discours volontiers indécis en dépit d’un tempo allant. De grands arpèges entrecoupés électrisent le début de la seconde partie avant que des modulations dynamiques et un jeu de questions-réponses n’animent le propos. La capacité du pianiste à

  • colorer diversement les redites,
  • rendre raison des diverses humeurs qui secouent la partition,
  • oser la liberté dans
    • l’énoncé,
    • l’ornementation et
    • les effets d’attente (tel le retard sur le dernier mi de la main droite)

contribue à l’intérêt de l’écoute, qui basculera dès la prochaine notule sur la tétralogie final en Ut majeur et mineur.

 

 


Pour écouter le disque en intégralité, c’est ici.