
C’est à un coquetèle rare que Diane Dufresne invitait son public. Le « concert causerie » qu’elle a concocté mêle
- chansons,
- récit lu et
- échange avec les spectateurs.
Ce dernier exercice n’est évident ni pour elle, ni pour les spectateurs. L’artiste s’en rend compte en constatant : « C’est la première fois qu’j’mets ma main dans la poche sur scène depuis cinquante ans que j’fais c’métier ! » Faute de questions (réservées à l’orchestre, les micros ne s’aventurant pas dans les balcons), elle se retrouve à interroger son public : « Pourquoi vous v’nez m’vouère ? » Face à une fan qui lui annonce l’avoir vue pour la première fois en 1972 (« j’avais vingt-cinq ans »), elle reconnaît que le temps passe et ajoute : « Mais j’ai pas peur de la mort. D’ailleurs, une fois, j’ai exposé mon cercueil. C’était un cercueil balançoire, les enfants adoraient monter dedans ! »
L’intervenant suivant, caractérisé par un enthousiasme très maniéré, lui déclare qu’il est amoureux d’elle depuis qu’il l’a découverte. Elle s’enquiert : « Et alors, ça fait quoi d’être amoureux de Diane Dufresne ? / – J’ai dû changer deux fois de sous-vêtement, confesse l’aficionado. » Et l’artiste, sans se démonter, de demander : « Lesquels ? » Un « Canadien de Winnipeg », fou d’elle depuis quarante ans, lui apprend qu’il est venu spécialement à Paris pour la voir et, en lui tendant un cadeau, ajoute : « Pis j’vous préviens que j’s’rai là tous les soirs ! / – D’accord. On va appeler la sécurité, je crois. »
Après des débuts poussifs, l’échange est donc souriant et fonctionne comme une respiration qui, heureusement, ouvre sur une chanson, « Partager les anges », extrait d’Effusions (2007), une fredonnerie écrite par Roger Tabrha Bouaziss et composée par Sylvain Michel. Sur un texte volontiers emphatique qui raconte le plaisir d’aimer « l’autre de toi », la première qualité de l’artiste – sa capacité d’incarnation – ébaubit. Si le vibrato fait partie du jeu, il s’efface presque devant
- l’attention portée à la prononciation,
- la capacité à mettre en lumière telle consonne signifiante (ha ! les sifflantes !) et, malgré les années,
- l’utilisation musicale d’un large spectre vocal.
Échange, chanson et lecture : voici venu la deuxième partie de la causerie, évoquant la multiplicité de la créativité. « Tout le monde peut s’en emparer, insiste la chanteuse. La créativité n’est pas réservée aux génies. » Diane Dufresne évoque son goût pour la peinture, développé par son apprentissage auprès de feu Joseph Ulric-Aimé Paradis, dit frère Jérôme, selon lequel « pour peindre, il ne faut pas penser, il faut suivre son pinceau ». La chanteuse insiste : « Créer, c’est suivre l’inspiration jusqu’à ses défauts. Ce n’est pas de la fantaisie, c’est de la survie. »
La voici qui se lève pour demander à la salle sa vision de la créativité. Les spectateurs lui renvoient l’image de sa propre créativité touche-à-tout, ses audaces, ses costumes… Elle hoche la tête : « Touche-à-tout, je n’sais pas. Par exemple, en amour, faut être créatif, aussi, mais c’est pas toujours évident de savoir quel pinceau suivre ! » Un spectateur lui annonce : « On va parler de Starmania, si ça ne vous dérange pas. / – Ça m’dérange, mais allez-y. / – Pourquoi êtes-vous partie ? / – J’ai été engagée trois semaines, j’ai fait trois semaines. Je ne suis pas partie, je n’ai pas prolongé, nuance ! »
Quand revient le moment de chanter, elle hésite et reconnaît : « Chais pu oùchu rendue, moé ! » Puis elle dégaine « Mais vivre », extraite de Meilleur après, paru en 2018. La chanson de Cyril Mokaiesh constate : « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans [mais] on n’est pas tellement plus heureux avec nos cheveux blancs. » Reste à vivre pour ce qu’il demeure « de jolies promesses » et « parce qu’il y a demain qui fait son malin avec sa réserve de printemps ». Une chanson autobiographique écrite par un autre, comme tant de chansons de Diane Dufresne qui sont devenues autobiographiques pour une ribambelle d’humains worldwide… À suivre !