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Jann Halexander, le 5 novembre 2022 lors du spectacle “Juste Catherine Ribeiro” au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Photo : Rozenn Douerin.

 

À l’occasion de la première du concert “Juste Catherine Ribeiro”, nous avons posé à Jann Halexander quelques rafales de questions. Voici la troisième salve, articulée autour de la chanson “Racines”.


Juste Catherine Ribeiro est un spectacle au cours duquel tu t’appuies sur trois accompagnateurs. Pourquoi, à l’occasion de la chanson « Racines », as-tu choisi de prendre possession du piano ? Est-ce pour partie afin de te replonger dans tes racines de musicien, quand ta mère t’enseignait comment jouer Ravel ?
Il y avait plusieurs projets dans cette configuration a priori anodine. D’abord, toujours proposer de la variété dans le spectacle. Ensuite, faire un clin d’oeil à mes débuts, en 2003, quand je n’avais ni musicien ni choriste, bref, que j’étais seul au piano où que je chante, que ce soit à Angers où j’ai démarré, au Magique de Marc Havet, au Sentier des Halles… Pendant très longtemps, au moins jusqu’à 2012, j’ai été le chanteur-au-piano du début à la fin ! Enfin, effectivement, c’est une façon de remercier ma mère qui m’a appris à jouer de cet instrument.

Après avoir débuté l’instrument, tu t’es vite confronté à des compositions plutôt moins attendues que “La lettre à Élise”, “La marche turque” ou le premier mouvement de la so called Sonate au clair de lune
Oui, j’ai rapidement voulu jouer du Satie, du Poulenc et du Ravel, ce qui n’était pas commun. La plupart de mes camarades, à l’école de musique de Libreville, où ma mère enseignait le piano (tout en enseignant la philo à côté !), jouaient du Mozart. J’ai tendance à dire que ça donnait déjà le ton.

Sur ce tour de chant, on a l’impression que tu as pensé la set-list à la fois en agençant les chansons mais aussi en agençant ton instrumentarium. Tantôt, tu chantes avec deux guitaristes ; puis le pianiste s’y associe ; puis un guitariste t’accompagne seul ; puis il se saisit d’un autre instrument que nous ne nommerons pas pour ne pas spoiler l’affaire, etc. Cette volonté de « variété », mot honni aujourd’hui (on lui préfère le fourre-tout de « diversité », même en musique !) semble être un terreau où plongent tes racines artistiques : variété des arrangements, mais aussi variété des types de spectacles que tu proposes…
J’aime l’idée d’un spectacle complet. Dedans, il y a le côté : tiens, je suis avec les musiciens et, hop, d’un coup, c’est moi qui me mets seul au piano. Et pourquoi pas ? Ma mère m’a appris à en jouer, après tout ! Dans la même école de musique, j’ai aussi eu d’autres professeurs de piano. Eh bien, j’utilise mon savoir-faire. Ce serait dommage que les spectateurs n’en profitent pas.

Derrière la variété qui se voit sur scène, il y a une sorte de générosité consubstantielle qui habite ton personnage de chanteur (et peut-être pas que le personnage). Comme Catherine Ribeiro, tu sembles toujours émerveillé que des gens viennent te voir, se déplacent pour ça, payent pour ça et en plus te remercient pour ton travail – car c’en est un. En donner plus est-il l’une des racines de ta saine envie de scène ?
Ha ! Je ne sais jamais comment répondre à cette question. Je dirais que, oui, j’essaye d’être généreux sur scène avec les spectateurs. Les gens ne sont jamais obligés de venir voir un artiste sur scène. L’artiste a presque tous les droits, le public aussi, y compris celui de ne pas venir. Les gens sont même libres de partir en cours de route. Tout est possible.

 

 

Y compris l’alchimie que tu cherches…
Oui, une fois que les spectateurs sont installés, tout peut arriver. Donc, effectivement, je suis émerveillé de les voir. J’ai du mal à comprendre les artistes qui sont blasés en pensant que c’est un dû, que c’est normal si les gens viennent les voir. J’ai de l’ego, mais pas cet ego-là.

« Racines », extrait de l’album Fenêtre ardente (1993), n’est pas une chanson neutre. D’une part, elle réunit deux artistes dont tu te sens proche, Catherine Ribeiro et Anne Sylvestre (qui a écrit la musique). D’autre part, tu l’as déjà investie dans une de tes chansons, « J’ai pas la foi », où tu la cites. J’imagine que, quand tu as conçu ton tour de chant, certains titres étaient sur la sellette au moment de la sélection, mais celui-ci était une évidence tant il semble enraciné en toi !
En effet, c’était prévu que j’intègre cette chanson à Juste Catherine Ribeiro dès mes premières réflexions sur le spectacle.

Pourquoi ?
Elle correspond à mon état d’esprit. Je ne suis pas du tout croyant. Je me considère comme agnostique. Et je suis touché par la force du texte, dont j’aurais pu écrire certaines parties… d’où le clin d’œil dans « J’ai pas la foi » !

La tragédie de « Racines » (pas pu m’en empêcher) interroge la place de la religion, des « mystères », des « chemins de la croix » et de « la foi qu’il nous faut retrouver ». Finalement, chanter Catherine Ribeiro t’aide-t-il à aborder frontalement « des grands sujets, des grands machins » comme chantait Anne Sylvestre, que tu n’abordes d’ordinaire qu’avec parcimonie ?
Hum, ça dépend des grands sujets. Un grand sujet comme la religion, dans mes chansons, je crois que je ne l’ai abordé qu’une fois dans “San Damiano” parce que, en 2012, j’ai eu l’occasion d’accompagner un ami qui faisait un pèlerinage dans un petit village italien, celui de Mamma Rosa. Je n’ai pas assez d’empathie pour aimer l’humanité, mais je veux croire en elle, je veux croire en nous. Nous sommes capables du pire mais, je le pense, du meilleur. Et c’est ce que dit Catherine : je ne crois pas en Dieu mais en l’homme et à son vol en suspens. Étrangement, je me demande si “Racines” n’est pas la chanson la plus religieuse que j’ai entendue à ce jour. Elle est beaucoup plus efficace que les cantiques de Jo Akepsimas et Mannick, qui ressortissaient de la variété religieuse assumée, avec des refrains assez efficaces. Là, il y a quelque chose que la version originale, avec l’orgue, et le clip, très troublant (Catherine est dans une église dont on voit le clocher), renforcent. Cette chanson dit quelque chose.

Et en plus, y a du Anne Sylvestre dedans…
C’est vrai que, pour moi qui ai toujours été plus sensible aux musiques d’Anne qu’à ses textes, je trouve formidable qu’elle, qui était croyante et s’agaçait de l’anticléricalisme bébête, ait signé une aussi belle mélodie pour ce texte. Donc tout ça a un sens pour qui apprécie les symboles… et c’est mon cas !

Alors voyons en musique en quoi consistent ces racines de Catherine Ribeiro et Anne Sylvestre by Jann Halexander…