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Emmanuel Acurero en l’église Sainte-Claire. Photo : Bertrand Ferrier.

Courageuse, l’initiative de la paroisse Sainte-Claire d’Assise, d’organiser des concerts d’une heure à haute prétention artistique dans un quartier qui n’a, euphémisme, rien de bourgeois – la proximité du CNSMD et de la Philharmonie n’y peut mais. Maligne, son idée de laisser la programmation à son organiste, Esther Assuied, élève d’Olivier Latry et de Michel Bouvard dans le bâtiment décolonialiste tout proche. Fort, le fait que le curé en personne soit présent pour lancer les festivités, même si, tout sympathique qu’il semble, il confond violon et violoncelle dans son speech introductif.
Emmanuel Acurero prend la suite. Sans étaler son pedigree spectaculaire, l’homme qui se perfectionne au CNSMD depuis sept ans (c’est dire s’il approche de la perfection) annonce son programme, avec les maladresses de la jeunesse non formatée à la scène… qui en dit long sur la formation déconnectée de la real life artistique dispensée dans le sacrosaint lieu de l’excellence technique et parfois musicienne. Il va emballer les deux premières suites de Johann Sebastian Bach avant de basculer vers cinq caprices de Giuseppe Maria Dall’Abaco.
L’affaire s’ouvre donc sur la suite en Sol majeur BWV 1007. Concentré dès les préliminaires du Prélude, le zozo oppose aux graves qu’il pose, solennels, des confettis de danse plus proche du pogo que de l’ambiance policée chérie des interprètes poudrés. Sciemment, il n’hésite pas à goûter les accélérations qui rendent la pulsion de vie propre à ce tube. Malin, le musicien pose d’emblée les codes qui lui siéront par la suite : l’acoustique redoutable de ce bloc de béton ouvert sur une demi-grotte profite aux silences qu’il sait ménager pour faire résonner les sons riches et chauds dont son violoncelle siglé Franceso Coquoz rend raison. L’Allemande profite-t-elle moins des conditions ? Le virtuose compense par un jeu très fin sur les nuances. La Courante met en lumière la dextérité requise. Tempo énergique, liberté dans l’art de laisser le son résonner, rondeur du son pour dépasser l’exercice technique propre à toute mise en jeu des Suites de JSB : c’est ferme et personnel.
Dans la Sarabande, la ligne mélodique ressort nettement. C’est souple et articulé grâce à des accords posés sans faiblesse. Les menuets bien connus associent vélocité et sautillement, et le verbe n’est pas choisi au hasard, car Emmanuel Acurero est un homme d’association. Pas juste parce qu’il est en train de s’acoquiner avec un quatuor : son exécution associe, dans un premier temps, la maîtrise sachante, si si, de l’étudiant et l’insouciance de l’artiste qui se construit. La Gigue est prise pied au plancher mais toujours avec ce désir de sautiller que fait pulser, et hop, un jeu d’archet particulièrement varié. Loin d’une exécution routinière pour une église périphérique, le jeune Vénézuélien, scruté par sa sœur de conservatoire suprême, propose  un rendu investi, tant dans l’accentuation des notes que dans les variations de sons (pointus, filés, attaqués, etc.). Le résultat séduit incontestablement et donne gourmandise en vue de la moins fréquentée deuxième suite.

Avant la bataille. Photo : Bertrand Ferrier.

La BWV 1008 en ré mineur suit le même modèle que sa petite sœur. Après le concert, le musicien se fustigera pour en avoir omis quelques spécificités. Force est de saluer son métier déjà charpenté, laissant penser que tout passe crème. Le Prélude selon Emmanuel substitue le lyrisme au sautillement de la Suite précédente. Cela n’exclut point le rebond opportunément sculpté. Résonance et jeu sur les harmoniques semblent guider l’artiste. L’exploitation de l’étendue des registres permet d’apprécier un violoncelle qui ne néglige aucune aire du registre – graves, médiums et aigus sonnent avec personnalité. L’Allemande exacerbe l’effet d’attente qui n’est ni facilité ni coup de Stabylo mais partie prenante de la phrase musicale. La Courante renoue avec l’indispensable dynamisme, force-qui-va dont l’artiste a l’intelligence de rendre la puissance non en exacerbant la célérité mais bien en jouant avec les multiples possibilités de suspension.
Sans presser le pas, la Sarabande offre un boulevard pour jouir de la rondeur grave de l’instrument. Derechef, on goûte la multiplicité des attaques d’archet, tantôt douces, abrasives ou affirmées. Au même titre, les ornementations ne sont point mignardises mais prolongement, tremblement ou enrichissement inattendu de la ligne mélodique. Peaufineur, le jeune interprète nous laisse admirer son art du decrescendo à l’occasion de la tenue de la dernière note, supérieurement maîtrisée. Les deux Menuets tressent vivacité des doigts et solennité du propos (le menuet, contrairement à la Bourrée ou à la rave party, peu représentée dans les suites du maître, quoique, n’est pas une danse de bourrin). Emmanuel Acurero joue sur le contraste entre les parties ABA. C’est plus groovy que dansant, plus libre que métré, plus interprété que soumis : bref, c’est plus qu’intéressant – disons que c’est séduisant. La danse reprend néanmoins ses droits avec la Gigue conclusive. On apprécie l’indispensable régularité rythmique et le swing permis par des accents vitaux. Séduit l’association, typique de l’artiste, entre légèreté, bondissements et rage dans les basses harmonisant l’ensemble.
En conclusion, une prestation solide et – c’est si important – aussi sincère qu’engagée.
En troisième partie du récital, Emmanuel Acurero propose cinq caprices de Giuseppe Maria Dall’Abaco, dit Jospeh Abaco, qui vécut comme d’aucuns sait, entre 1710 et 1805. Le premier proposé, fondé comme les suivants sur le malaxage de thèmes énoncés d’emblée, souligne l’importance de l’ornementation pour capter l’oreille dans ces séries de marches descendantes façon chaconne. Le musicien sait contraster entre traits techniques et moments de respiration qui permettent d’aérer la musique de la faire respirer. Le deuxième caprice proposé se révèle plus déchiqueté. La pièce semble, du grave à l’aigu, quêter une impossible unité. La variété des nuances aménagées par l’interprète rend cette pulsion fort gouleyante. Le troisième caprice contraste vitesse et attente. Cette miniature à à-coups sied à Emmanuel Acurero qui y valorise sa plus patente qualité, parmi une flopée d’autres : l’association (troisième édition) entre fougue et contraste. Contraste entre les nuances. Contraste entre silences et musique. Contraste entre les sortes d’attaque. Cette variété interne permet aux redites et reprises de ne point desservir la pièce.

Emmanuel Acurero en l’église Sainte-Claire. Photo : Bertrand Ferrier.

Le quatrième caprice est proposé pizzicato. Cette initiative de l’interprète dit assez la finesse d’Emmanuel Acurero, tant l’assemblée ne pouvait supputer que ceci relevait d’une initiative aussi insolente que pertinente du jeune olibrius. Le gamin a donc le sens du spectacle et de la dynamique du récital alors qu’il abandonne le sacrosaint tout-par-cœur. La différence de caractérisation entre aigus et graves aura rassuré les dubitatifs qui n’auront pu ne pas apprécier la liberté de métrique que s’octroie, pertinemment, l’interprète. Le cinquième et dernier caprice fête comme il se doit la vitesse. Pour rythmer cette ivresse, des accents bienvenus associent virtuosité et musicalité, scellant une prestation prometteuse d’un jeune virtuose dont on se réjouit d’attendre, après cette prestation en l’église Sainte-Claire, la prochaine éclosion au niveau encore supérieur.