« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 7

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Première de couverture (best of)

 

Étalon-mètre du wokocompatible, l’intérêt culturel de M le magazine du Monde se focalisait le 17 mai 2025 sur trois objets – deux livres et une exposition. Leur contenu n’étonnera pas ceux qui ont feuilleté les six précédents épisodes de la présente chronique. Le premier encense Promesse de Rachel Eliza Griffiths, compagne de Salman Rushdie, un peu pour sa dimension people, beaucoup parce que ce livre est une « évocation de la condition noire aux États-Unis », une « Histoire ponctuée de violences » :

  • victimisation,
  • communautarisation et
  • sous-jacent accusateur anti-Blancs

sont au programme. Le second livre évoqué est Intérieur nuit de Nicolas Demorand, vedette de France Inter donc très wokocompatible par profession, qui « a permis de libérer la parole autour d’un mal stigmatisé », en clair de « déstigmatiser la maladie mentale ». Les termes-clefs sont sans ambiguïté : « déstigmatiser » et « libérer la parole » sont les fonctions woke par excellence à l’aune desquelles les critiques ont légitimité à jauger un objet culturel. Le troisième coup de projecteur artistique salue le travail de Maria Abranches, qui a photographié Ana Maria Jeremias, une « immigrée congolaise » à travers l’histoire de laquelle est narré le « destin de milliers de femmes rendues invisibles dans une société encore marquée par son passé colonial » dont l’Histoire s’arrête il y a soixante-cinq ans. Là encore, les étoiles des hashtags sont alignés :

  • femmes invisibilisées,
  • immigrés victime de la colonisation, et
  • exemplum permettant de cerner une communauté.

Deux remarques sur ces éléments. D’une part, on aura noté la pulsion communautarisante, c’est-à-dire la nécessité très woke de fomenter des communautés de victimes, en l’espèce

  • les Noirs américains,
  • les malades mentaux,
  • les immigrées qui, paradoxalement, souffrent d’une colonisation – sans l’avoir connue – tout en venant s’installer chez d’ex-colons.

D’autre part, on aura compris que ces objets culturels ont toute légitimité à aborder de tels sujets ; mais la question qui se pose est liée à l’exclusivité du prisme culturel choisi par l’hebdomadaire. Or, voilà bien le sujet de Face à l’obscurantisme woke, ouvrage collectif dirigé par Emmanuelle Hénin et alii, moins « qu’est-ce que le wokisme ? » que « comment penser – et se positionner face à – l’obscurantisme qu’est ce prisme exclusif du wokisme ? ». « Sciences sans conscience », la deuxième partie du recueil, observe que le wokisme conduit certains savants à tenter de « substituer à l’étude

  • de la nature,
  • de l’anatomie et
  • de l’évolution,

une série de dogmes aberrants », du type « le sexe n’existe pas ». L’étonnement est grand de constater que « ce mouvement, issu des sciences humaines [qui,n’ont souvent de scientifique que le nom pompeux] a atteint les sciences dures ». Avec une rigueur appréciable, Samuel Fitoussi est le premier à s’avancer sur ces terrains minés pour examiner le « biais du supporteur » et le « risque d’institutionnalisation du mensonge ».
Le biais du supporteur, que nous avons évoqué tantôt, conduit le fan à interpréter le déroulement d’un match – par exemple – selon ses convictions. À chaque décision, des millions de Français peuvent juger que l’arbitre est hostile aux Bleus, peut-être parce qu’ils sont noirs, alors que d’autres millions de zozos jugeront que leur équipe est désavantagée par l’arbitrage, peut-être parce qu’ils sont blancs. Le principe est simple : ceux qui adhèrent à une cause ne voient pas les mêmes images que ceux qui n’y adhèrent pas.
À ce biais s’ajoute la facilité du syllogisme. Samuel Fitoussi en donne l’exemple suivant : « Tous les insectes ont besoin d’oxygène. Or, j’ai besoin d’oxygène. Donc je suis un insecte. » En d’autres termes, les a priori idéologiques impactent tant l’objectivité que la logique. C’est ce que l’auteur rassemble sous le syntagme de « raisonnement motivé », où « le raisonnement est le produit de la conclusion » et non l’inverse.
Sans évoquer explicitement le wokisme, Samuel Fitoussi tente de déterminer comment ces biais peuvent amener à une « polarisation toujours croissante », c’est-à-dire à une objectivité de plus en plus subjective qui me rapproche de ceux qui pensent comme moi, donc m’éloigne de plus en plus de la réalité. Portés par notre conviction, « nous pouvons rationnellement adhérer à des idées de plus en plus fausses ». Ce qui ressortissait de « légères différences d’opinion » se retrouve « décuplé avec le temps ». Sots d’emblée ou aveuglés à mesure de leur engagement (puis découragés de virer leur cuti de peur de reconnaître des erreurs), « les gens investissent leur QI dans la défense acharnée de leur propre cause, pas dans l’exploration complète et impartiale d’un problème ». C’est d’autant plus grave que, « plus on est intelligent, plus on est persuadé d’être immunisé contre les biais cognitifs ». Disons-le tout rond : plus on est intelligent, plus on a de chances d’être con.
Néanmoins, l’affirmation peut être modulée « selon qu’il s’agit d’une croyance ou d’une conviction ». Les croyances sont vérifiables (je crois que les roses sont forcément roses, vu leur nom, mais je peux constater que non) ; les convictions ne le sont pas (si j’affirme que « tous les hommes naissent libres et égaux », je pourrai bien constater que, ben nan, carrément pas, ce constat aura peu de chance d’affaiblir ma conviction). Quel rapport avec les sciences sociales, sujet officiel de l’article ? On entre ici dans la partie la moins convaincante du papier. Sans clairement étayer son propos, Samuel Fitoussi affirme que, à l’université, « on encourage de plus en plus les étudiants à lier leurs opinions à leur identité » notamment pour forger « une nouvelle identité sociale, celle de victime d’une société systémiquement raciste ». De la sorte, la fac transforme des opinions en savoir.
Pour évaluer la pertinence de cette affirmation corrosive, on aurait d’abord aimé que l’auteur creusât davantage cette question, au-delà de l’exemple non sourcé des fat studies. On aurait ensuite aimé des exemples précis et réels permettant de vérifier si et jusqu’à quel point l’université est ce que décrit le « consultant », id est une terre de wokistes prêchant des convaincus et obligeant les étudiants réticents à adopter cette posture idéologique pour obtenir leurs diplômes, en espérant qu’ils conserveront leur nouveau biais une fois le précieux sésame obtenu. Enfin, on aurait aimé que les deux tiers du chapitre consacrés à des observations psychologiques stimulantes fussent davantage soucieux de s’appliquer à l’analyse du triangle que forment

  • wokisme,
  • sciences sociales et
  • université,

ici à peine esquissé à grands traits. Espérons que Nicolas Weill-Parot se dépatouillera autrement avec ce sujet complexe – c’est ce que nous examinerons dans une prochaine notule.