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Plafond de la salle Érard (Paris 2), le 15 octobre 2022. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Après que nous avons applaudi

  • un trio pour violon, alto et violoncelle,
  • un impromptu pour harpe et
  • cinq mélodies pour soprano,

une “Pièce pour harpe et trio à cordes” de Mel Bonis nous était soumise, interprétée par Françoise de Maubus sur un instrument Érard de 1912. En ouverture, la soliste égrène une lente marche descendante qui va devenir la colonne vertébrale de l’œuvre. La compositrice utilise on quatuor avec une variété plaisante – tantôt comme un ensemble compact, tantôt en éclats offrant des petits soli à chaque musicien muni d’un archet, à charge pour la harpe de donner l’impulsion (parfois prolongée par les pizzicati des collègues) ou de suspendre le discours. Dans une belle unité, les interprètes cisèlent

  • les récurrences de motifs,
  • les subtilités harmoniques et
  • la coordination des nuances.

Ils rendent ainsi justice à une pièce pimpante à souhait qui précède un entracte précieux pour se refaire la cerise et se préparer au gros morceau de la soirée. En effet, après un kaléidoscope chambriste, un sommet s’annonce : le quintette pour piano et cordes en fa mineur de César Franck et ses trois mouvements d’une durée totale d’environ 38′, dont près d’une moitié pour le premier volet.
Le Molto moderato quasi lento liminaire se décapsule sur une pulsation décidée du quatuor. Y répond un piano plus méditatif qu’émotif. Le quintette fait alors joliment monter les tensions que le piano apaise çà avant, là, de se laisser contaminer par elles. Le mouvement est parcouru de

  • crescendi,
  • decrescendi et
  • explosions

que les chambristes exécutent avec le cœur, la finesse ou l’emportement qui sied. On salue dans l’Allegro le goût et le tempérament avec lequel sont interprétés

  • les équilibres multiples,
  • les unissons,
  • les échos et
  • les changements de rythme ou de dynamique

jusqu’au finale tour à tour incandescent et subtilement piano.

 

Saskia Lethiec, le 15 octobre 2022 à la salle Érard (Paris 2). Photo : Bertrand Ferrier.

 

L’incipit apaisé du Lento con molto sentimento est rythmé par le piano. Pour Jérôme Granjon, la fête du contraste est finie ; a sonné l’heure où il faut habiter le temps du développement qui pourrait sembler tenté par le statisme si n’y pulsait pas une certaine inclination pour les sentiments à la fois corsés et nuancés. Saskia Lethiec et Pierre-Olivier Queyras aux violons s’associent à l’altiste Vinciane Béranger et à David Louwerse pour articuler avec le pianiste

  • l’entrelacs des lignes,
  • la passation de relais pour le lead,
  • les nœuds d’unissons partiels qui se font et se défont,
  • les parallélismes,
  • les duos et ensembles variés qui exhalent une impression d’intensité

sans pour autant que les interprètes éprouvent la piètre nécessité de surjouer les couleurs fortes. Inspiration et écoute clarifiante, mais point de pédagogisme bien que la plupart des musiciens à l’ouvrage soient aussi profs. Apparemment indifférent à la difficulté technique, Jérôme Granjon déploie sur l’ensemble des registres la poésie de son piano Érard, entre grondements sourds et teintes délicates, et ce, jusqu’au terme du deuxième mouvement.

 

Jérôme Granjon et Saskia Lethiec, directeurs artistiques du festival Érard, le 15 octobre 2022 à la salle Érard (Paris 2). Photo : Bertrand Ferrier.

 

L’Allegro non troppo, ma con fuoco laisse d’abord infuser le mystère. Ça gonfle en bloblotant, ça menace d’exploser au grand jour, ça reflue, ça déborde d’accents vigoureux, ça couve derechef, etc. Ces systoles et diastoles plus ou moins longues font battre la musique en lui insufflant plus qu’une vie joyeusement inégale : une incarnation. (Non, je ne suis pas sûr de ce que ça veut dire, “insuffler une incarnation” mais, avant, j’avais écrit “dont ils galbent l’arythmie fascinante”, je crois que c’était encore pire alors que, en direct, l’expression me paraissait claire – que le temps du sens est bref, mes frères !) Concrètement, on applaudit

  • les excellents contrastes de dynamique,
  • la maîtrise du volume sonore et des effets dramatiques,
  • le sens de la narration partagée et collective, et
  • l’art de la fougue, si si, par-delà la dextérité.

Le finale étincelle comme une jante sans pneu à 200 sur l’autoroute. À part la nana qui s’est endormie sur l’épaule de sa voisine, les spectateurs font le plein d’art et d’énergie lors de ce moment beau, joyeux, singulier et suivi par un public respectueux des artistes voire des autres spectateurs, n’eussent été les portables qui filment puis tombent au fil des quarante minutes. Programme et soir 3R – riche, rare et réussi.