Fruits de la vigne – Sylvain Gauthier, Domaine des pierres sèches 2017
Petite exploitation (ré)inventée par Sylvain Gauthier, le domaine des pierres sèches produit notamment des saint-josephs rouge et blanc. En rouge, l’heure est exclusivement à la syrah, dont on attend beaucoup en ces espaces rhodaniens, qui plus est pour une cuvée 2017 saluée par les gourmands du genre. Aujourd’hui, les cuvées 2020 et 2021 sont les plus commercialisées. On les trouve sur Internet entre 20 et 25 € hors frais de port.
La robe est taillée dans un très beau grenat
- foncé,
- lourd,
- féroce,
laissant cependant filer quelques aguichantes lueurs sanguines pour éclairer le philtre.
Le nez hésite entre fruits noirs bruts et fruits rouges confits – on croit déceler de la cerise. Cette hésitation met indubitablement en appétit. D’une façon plus générale, en dépit d’une pointe d’épices, l’ensemble dégage davantage l’impression d’une douceur compotée que le sentiment qu’une puissance tellurique est prête à bondir.
La bouche est
- concentrée,
- équilibrée et
- un rien mystérieuse.
Peut-être l’aspect compoté demeure-t-il après l’olfaction, jusqu’à donner l’illusion d’une saveur prunelée – c’était pas prévu, pourtant, j’aime bien la “saveur prunelée”, c’est quasi frissonnant. L’amertume qui surprend en attaque ne se dissipe pas et semble participer de la singularité du jus. On peinerait à caractériser la proposition par sa rondeur, so what quand cette absence est compensée par une séduisante longueur en bouche ? Bref, un vin intéressant, ce qui, on le doit stipuler, n’est pas un mince compliment sous nos petits doigts.
Le mariage avec une entrecôte gourmande, des patates sautées et des haricots-cinq-fruits-et-légumes, accentue ses trois caractéristiques :
- pas de fight avec le plat, plutôt une convention de douceur entre gens “d’un certain milieu, d’un certain style” selon l’expression de l’anthropologue Jean-Jacques Goldman ;
- présence d’une amertume persistante qui, certes, décevra les amateurs de produit lissé aux entournures pour satisfaire les papilles bien propres sur elles, mais évite toute sensation de miellosité (et hop) au sens où le vin reste rebelle au consensus chmougoudou du “c’est pas mal” ; et
- impression globale d’un vin de qualité qui, en dépit de son appellation prestigieuse et du succès grandissant de son fomenteur,
- se dérobe à la fatalité de la fatuité,
- se refuse à se hausser du col et
- s’enveloppe d’une aura guère facile à cerner à la première gorgée.
Quelle plus belle qualité exiger d’un vin ? On pense à Mallarmé qui écrivait des romances :
Exclus-en si tu commences
Le réel parce que vil
(in : “Hommage”, in : Poésies, Gallimard [1945], “Poésie”, 1970, p. 100).
En œnologie comme en amour, l’érotisme de la découverte toujours incomplète se plaît souvent à fricoter avec la pornographie joyeuse de la consommation aboutie. Pourvu que ça dure – et sans mollir, de grâce, surtout sans mollir !