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Ambitieux disque d’hommage familial, cette réalisation endossée par VDE-Gallo a permis, en 2018, à Gabriel Fumet de saluer Dynam-Victor et Raphaël du-même-nom, pour lesquels il a bâti une discographie variée et un site admiratif. D’emblée, saluons cette parution intéressante, diverse et précieuse pour valoriser, à travers un panel varié, deux compositeurs dont la renommée n’égale certes pas le talent.
Cela étant stipulé, balayons les sursauts des monomaniaques de notre acabit, amateurs traumatisés par l’orthotypo : oui, il faut passer outre la pochette qui saccage le prénom pourtant étrange de Dynam-Victor ; et les minutieux ne se doivent point choquer si la première de couverture proposée par l’éditeur sur son site oublie d’intégrer son logo ainsi qu’il apparaît sur le disque en vrai – pipi de sansonnet dans cette mer de musique excellente. De même, les curieux de musique enjamberont titre et sous-titre moins utiles qu’ampoulés (sérieux, « Quintessence ou la musique de l’âme », on dirait un livre des éditions du Panthéon), même si le remplacement de “florilège » ou de “miscellanées » – ne parlons pas de “best of » ou “golden hits » – par « quintessence » divertira le kiffeur de raretés. Le projet d’une promenade protéiforme dans l’œuvre du père et du fils Fumet mérite largement que ces remarques dérisoires soient passées par pertes et profits, comme les bémols qu’appelle un livret joyeusement corrosif mais dont la clarté, grevée par un souci polémique amusant, n’est pas toujours le point fort. Bref, ou presque, laissons parler la musique, riche et rare, des deux musiciens.

Dynam-Victor (1867-1949) ouvre le bal avec Le Sabbat rustique (1904, 12′), diptyque orchestral enregistré en concert lors de sa création pour le moins tardive à Saint-Pierre de Chaillot en 2010 – le livret précise rarement les dates et lieux de prise, et encore plus rarement le nom des capteurs de musique. Le Lento moderato s’ouvre dans une atmosphère sombre. La forte réverbération de l’église valorise contrebasses et cuivres de l’Orchestre du palais de Tauride de Saint-Pétersbourg dirigé par Mikhail Golikov. Flûtes et violons apportent un prolongement lyrique, sans que cors et contrebasses n’abandonnent l’égrenage de la tierce fondatrice, plus-que-très-wagnérienne – on pense à la mort de Tristan.
Par contraste, le langage enlevé du Molto allegro con brio paraît beaucoup plus classique. Versant moins associé à Dynam-Victor Fumet, cette énergie presque joyeuse s’appuie sur une solide science de l’orchestration où même le triangle a sa place récurrente. Une brusque mutation (3’16) semble revenir vers plus de rugosité – twist provisoire. La rpulsation sabbatique reprend avec fièvre. En prenant de l’ampleur, la musique évoque par moments une hybridation wagnéro-verdienne. Le résultat est tout à fait charmant et interprété avec la fougue qui s’impose… jusqu’à la fin en accalmie désamorçant le brio, repris juste par un pouët-pouët final trop vite coupé pour éviter les applaudissements.

Mikhail Golikov est de nouveau mis à contribution pour Automne (1930, 6′), extrait des Quatre saisons fumettiques. Cette fois, c’est le Chœur des nouvelles voix de Saint-Pétersbourg qui s’y colle – ah, cet art des Russes ou de leurs promoteurs pour inventer des appellations ronflantes ! Dommage qu’aucun effort ne soit fait pour faire semblant de chanter en français : le texte est imbittable. Quasi aucune consonne ni voyelle ne colle avec le poème dévoilé par le livret, alors que la chute mérite d’être entendue : “Pour mériter la vie, il faut savoir mourir”, à l’instar de ce grain de blé biblique qui, s’il ne meurt, reste seul, ce qui ne me paraît pas être une grande punition (mais je ne connais pas trop la psychologie du grain de blé, il est vrai, peut-être il préfère la mort à la solitude, pourquoi pas). Oui, dommage que le français soit aussi inintelligible, car l’écriture est remarquable et l’ensemble vocal digne, avec de beaux timbres et une cohérence certaine.



Au piano, Akiko Ebi affronte Le Rouet de la Vierge (1938, 4’30), cet instrument cosmique “où se meuvent des myriades d’étoiles” selon la taxinomie officielle. Des myriades de notes filent en effet avec élégance sous les quenottes de la pianiste japonaise. Techniquement, on apprécie la capacité de l’artiste à rendre lisible cette fulgurance toujours en éveil. Notes répétées, trilles, mélodies subtilement harmonisées, utilisation optimale du clavier entre percussion et douceur : une partition aussi joliment écrite qu’interprétée.



Le remarquable Jean-Paul Imbert endosse Les Chariots d’Israël (1917, 8′) aux grandes orgues de Saint-Eustache. Facialement, le tempo s’annonce modéré – la piste cote 34 % de temps de plus que, par exemple, Frédéric Denis lors de son enregistrement 100% Dynam-Victor Fumet à Notre-Dame de Laon, en 1999, pour Wergo, j’adore les règles de trois même si pas sûr que je les maîtrise. En réalité, cette modération est elle-même très modérée. Elle n’ôte rien à la vivacité des doigts et éclaire avec intelligence cette pièce fort difficile. Ainsi, l’organiste affronte avec brio – et sans oublier de laisser sa place à la résonance – la marche du peuple confiée aux claviers, tandis que la puissance péremptoire de la pédale guide fermement les grouillots. Dextérité impressionnante, musicalité époustouflante et registration intelligente rendent parfaitement les différentes atmosphères de la pièce.



Changement de projet avec les cinq pièces de Raphaël Fumet (1898-1979), le fils Fumet, donc, au programme. Premier épisode, le premier mouvement du Quatuor pour bois (1958, 5′) enregistré par la fine fleur du National (songez : Philippe Pierlot à la flûte, Pascal Saumon au hautbois, l’incroyable Patrick Messina à la clarinette et Philippe Hanon au basson). D’abord, reconnaissons que cela correspond presque à notre quatuor de rêve, beaucoup plus que les trucs à seize cordes, pour lesquels on préfère le ring.  L’entrelardement des voix, la qualité de l’interprétation, la vitalité des intentions, la beauté des sonorités que symbolise le basson sur la fin, tout cela contribue à séduire l’oreille de l’auditeur.

Le premier mouvement du Quatuor à cordes (1960, 12′) est dévolu au Nouveau quatuor de Saint-Pétersbourg, feat. Pavel Papov, Yuri Uschaposky, Alexeï Bogorad et Taras Trepel. Contrairement à notre crainte, cet extrait nous emballe de bout en bout. On s’incline devant la fougue des interprètes de ce vaste Allegretto en La majeur, qui ose le lyrisme quand, à 2’30, un passage lent se faufile. La vivacité des échanges et leur subtilité relancent sans cesse l’intérêt. L’utilisation de pizzicati, la profondeur des attaques, la subtilité de la composition (puissance des basses à différentes hauteurs, accords obsessionnels, friabilité des harmonies, mutations thématiques, variations dynamiques…) donnent assurément envie d’en connaître plus sur la musique de chambre de l’artiste.

Reprise d’un disque Bayard, le Lacrimosa, adapté pour flûte et orgue, remet en selle Jean-Paul Imbert en compagnie du directeur artistique du disque, en l’espèce Gabriel Fumet. Si l’appréciation du vibrato parfois généreux sera affaire de goût, on applaudira à raison le dialogue presque indépendant entre l’orgue à trois voix et le soliste à la belle sonorité. Tout se passe comme si la musique cherchait à habiter une tonalité insatisfaite, malgré les couinements du direct (3’19, toujours essentiel de montrer que, certes, on n’a pas de diplôme, mais on attentionne, et hop). La résolution optimiste pousse à ravaler les larmes précédemment évoquées… et met en appétit l’auditeur curieux de la musique d’orgue du compositeur, déjà enregistrée en intégrale sous la direction artistique dudit Gabriel Fumet.

Ienissei Ramic prend au piano l’Impovisation sur un thème donné (1955, 7′), selon une transcription des deux Thibault, Perrine et Lepri. La liberté y dialogue avec les citations chopiniennes. La vivacité exige plus que beaucoup du réinterprète, qui ne manque ni d’une technique éblouissante ni d’un évident souci – et hop, un chiasme en cadeau pour tous ceux qui ont atteint le présent (humour) paragraphe, même si ceux qui ont profité de notre passionnante analyse vocale en ont déjà goûté un – de convaincre dans les passages les plus pyrotechniques, signant ainsi une remarquable prouesse et technique et musicale, autour d’une reconstitution très intéressante.

Étonnamment étriquée sonne la Toccata (1950, 5′), pourtant interprétée par Jean Galard sur l’orgue de la cathédrale de Chartres. C’est décevant car, dans cette partition ambitieuse et agitée, tricotent avec habileté les doigts d’un musicien qui joue fort bien – ce septuagénaire semble ainsi plus habile en interprétation qu’en expertise : la Francilie de l’orgue rit encore jaune de ce document lui faisant qualifier un instrument à bout de souffle, doté d’un clavier et demi, d’« orgue symphonique remarquable” (on serait curieux de l’entendre jouer quelque œuvre symphonique sur cette pauvre Bête !). Aussi le sentiment est-il partagé : les saucisses s’agitent, les quatre membres démontrent indépendance et vivacité, la respiration est musicale, mais la volonté de clarté renforce, autant que notre système de restitution le laisse ouïr, l’artificialité de niveau sous-Hauptwerk que l’on aimerait n’attribuer qu’à notre piètre système audio. Petit à petit (2’33), la partition déploie le O filii avec vigueur. Si la dernière minute et demie prend son temps et, disons-le, paraît moins solennelle que superfétatoire, l’énergie de la composition et la bonne volonté de l’interprète ne manquent pas de conclure avec pompe et roucoulements le disque.
En conclusion, ce disque est un catalogue joliment agencé rappelant l’intérêt formidable de ces deux compositeurs. Soyons pédant : les Fumet Père et fils ne sont ni des découvertes (de nombreux disques les honorent), ni des curiosités anecdotiques perdues dans la grande Histoire de l’art. Peu connue, leur musique ? Si fait. Ce nonobstant, vissée sur un socle technique très sûr, elle est à la fois singulière et profonde, et les extraits ici choisis en illustrent la densité et la variété. Partant, en découvrir des pans passionnants par le biais de cet album tout récent est un conseil que l’on peut et veut proférer avec enthousiasme.


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