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Première du disque

 

Été 1854. Johannes Brahms est sous le charme de Clara Schumann, nous glisse-t-on. Pourtant, d’autres storytellings accompagnent les Ballades opus 10, composées à cette époque. Ainsi, elles seraient le fruit d’un compositeur en ébullition après avoir traversé l’Italie. Plus singulièrement et sans contre-indication avec les contextualisations précédentes, elles illustreraient un recueil (Stimmen der Worker in Liedern, autrement dit Voix des travailleurs en chanson, bien que la traduction pudique habituelle évoque la « Voix des peuples ») de Johann Gottfried von Herder, accessoirement frère de loge de Johann Wolfgang von Goethe. C’est une tradition dans la ballade romantique que d’associer une pièce à un texte. Alors,

  • sentiments difficilement bridés pour la femme du protecteur ?
  • surcroît d’énergie accumulé dans une Italie qui ne peut que nous faire fantasmer ?
  • musique programmatique issue d’un recueil de 1779 et particulièrement d’“Edward », un poème déjà musiqué par Franz Schubert, où un fils explique à sa mère qu’il a tué son géniteur à cause d’elle ?

Dans un livret singulier et stimulant qui n’est donc pas fourni avec le disque mais disponible ici, Catherine David affirme qu’on s’en tampiponne le bibobéchon. Pour cette gourmande,

 

si la preuve du pudding, c’est qu’on le mange, la preuve de la musique, c’est qu’on l’aime

 

pas qu’on la

  • comprend,
  • sous-titre ou
  • décrypte.

À titre personnel, je ne suis pas certain d’aimer le pudding ni la musique en général ; néanmoins, ce disque, enregistré en 2007 et publié en 2011 est une joyeuse occasion de fissurer un peu notre méconnaissance d’Irakly Avaliani, croisé à la salle Cortot et découvert via ses années soviétiques – hyperliens ci-dessous. Le Steinway est accordé par Jean-Michel Daudon, le son est signé Sébastien et Anne-Cécile Noly, et la pochette offre un détail d’une œuvre de Masha S., épouse du pianiste croisée ici. Certes, ces noms semblent ne rien apporter à la connaissance et à l’appréciation de Brahms ou de son interprète. Toutefois, ils se réfèrent à des individus sans qui pas de disque ; donc, comme les présentes notules ne sont pas limitées en signes, citer les collaborateurs de la star ne nous paraît pas indigne. Les monomaniaques de Brahms qui s’impatientent, et c’est leur droit, n’auront qu’à sauter à pieds joints jusqu’au prochain paragraphe, d’autant que celui-ci est terminé – hop, c’est parti.
La Première ballade en ré mineur, floquée « andante », commence sur un swing presque schubertien, avec

  • groove des appogiatures,
  • tempo clairement marqué, ce qui permet au compositeur de le suspendre (noires ou blanches pointées créant manière de suspense) et
  • stabilité des unissons à trois ou quatre octaves qui posent et, en quelque sorte, incarnent le rythme.

Cette assise solide laisse néanmoins entrevoir un trouble qui, au-delà du mode mineur donc sombre, se trouble de nuances presque inquiétantes, bien qu’Irakly Avaliani ne soit pas

  • un ripolineur de contrastes,
  • un amoureux du sursaut,
  • un combattant du changement flashy,

quand l’intensité s’engonce dans le murmure du pianissimo ou le fade-out de la résonance. En effet, derrière la gravité du propos que transcrit l’interprète, le mystère ne va pas tarder à s’épaissir en déchiquetant à la fois la régularité du tempo, brisé par deux « Poco più mosso » puis un « Allegro ma non troppo », mais aussi la stabilité du mode, qui bascule presque brusquement vers la relative majeure. Sans perdre sa métrique, la partition s’éclaire

  • de triolets répétitifs,
  • de la confrontation entre binaire de la mélodie dans les graves et ternaire des triolets martiaux,
  • de modulations étonnantes,
  • de nuances dopées par un ample crescendo et
  • d’un élargissement des registres convoqués par le compositeur.

Le retour en ré mineur fusionne les deux sections en utilisant la première tonalité tout en conservant, de la section en majeur,

  • le tempo,
  • le ternaire et
  • les nuances fortissimi .

Irakly Avaliani démontre sa maîtrise instrumentale dans le decrescendo qui conduit à une nouvelle synthèse : cette fois,

  • on garde
    • le ré mineur et
    • les triolets, mais
  • on revient
    • à la mélodie liminaire et
    • aux nuances douces qui ouvraient la ballade.

Grâce à son mix’n’match à la fois complexe dans sa composition et simple dans sa compréhension, l’œuvre est, jusqu’à sa fin suspendue, une leçon de développement habile qui exige, plus qu’une virtuosité digitale, une hauteur de vue qui ne fait certes pas défaut à l’interprète. Et, certes, j’envisageais d’enchaîner dès à présent avec la deuxième ballade mais, baste, la notule est déjà assez longue. Gardons donc le suce-pince grandiose pour le prochain billet, et souhaitons-nous à bientôt !


Pour écouter Brahms par Avaliani en vrac mais gratuitement, c’est par exemple ici.
Pour écouter les quatre ballades spécifiquement ET gratuitement, c’est par exemple .
Pour acheter le disque, difficile, sauf si l’on est prêt à dépenser 70 € hors frais de port sur Amazon.