Irakly Avaliani joue Bach, Brahms et Prokofiev, Salle Cortot, 18 mars 2024 – 1/3

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Irakly Avaliani le 18 mars 2024 à la salle Cortot. Photo : Rozenn Douerin.

 

Il se décrit comme un passionné de l’art du toucher. Il ne doit pas avoir complètement tort puisque, le 18 mars 2024, cette promesse d’Irakly Avaliani attire à lui une foule nombreuse à laquelle la salle Cortot n’est pas habituée – en témoignent un personnel en général et un vigile désagréables à force d’être nerveux. Quand le récital peut enfin commencer, coup de théâtre ! Exit la dixième sonate de Wolfgang Amadeus Mozart. Le pianiste explique que, ayant joué le programme tel quel l’avant-veille en Normandie, il s’est rendu compte que l’œuvre ne s’harmonisait pas avec ce qui suivait. Point de sonate solaire, donc, mais les Fantaisie chromatique et fugue BWV 903 de Johann Sebastian Bach.
Le choix est audacieux, car l’œuvre est difficile pour l’exécutant comme pour l’auditeur. La fantaisie est

  • rhapsodique,
  • couturée,
  • volontiers cahotante.

La fugue est

  • aride,
  • brute,
  • bien plus rigoureuse que charmeuse.

Ça tombe bien, Irakly Avaliani n’est pas là pour minauder. En témoigne une fantaisie qui tente de synthétiser l’irréductible. Le pianiste travaille

  • la pédalisation et les traits,
  • la rigueur mesurée et l’agogique permise par les accents remettant d’équerre le discours,
  • la célérité presque liquide et la suspension aérienne de la cavalcade que renforce l’usage d’un large spectre de nuance.

Certains – dont nous sommes – pourront estimer que l’usage abondant du sustain noie quelque peu les contours acérés d’une harmonique aussi crochue que les côtes bretonnes, surtout quand elles voient passer un pétrolier divaguant près du rail d’Ouessant. D’autres se laisseront prendre par une interprétation

  • radicale,
  • personnelle et
  • habitée

où la méditation a autant sa place que les manifestations d’énergie

  • (traits vertigineux,
  • ornements groovy,
  • trilles impeccables).

L’énoncé du sujet de la fugue s’enfonce dans les délicatesses du piano. De même qu’il ne faut plus compter sur l’oncle Archibald pour payer les violons du bal, abandonnez ici toute espérance de voir Irakly Avaliani payer son écot

  • au spectaculaire qui fait fondre les amateurs de cirque,
  • au sentimentalisme qui dévoile l’émotion sous le contrepoint rigoureux, voire
  • à l’aguiche-esgourdes qui offre à l’auditeur des effets faciles à même de soutenir sans effort son attention au long de la douzaine de minutes requise.

Le côté luthérien du compositeur, avec ce que cela comporte de stéréotypes mais d’habitudes d’écriture itou, semble transpirer de cette pièce profane à travers une interprétation qui opte

  • plus pour l’austérité que pour le démonstratif,
  • plus pour le sérieux que pour le brillant, et
  • plus pour la confiance dans le texte que pour le souci de le faire vibrer au-delà de quelques lents crescendi magistraux.

Bref, ce Bach sans

  • fioritures,
  • falbalas et
  • dentelles,

laisse augurer d’un concert dense dont une prochaine notule évoquera le deuxième mouvement : les Huit pièces opus 76 de Johannes Brahms.