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Malgré son site Internet suranné, l’affaire se passe autour d’un orgue massif (cinq claviers, soixante-douze jeux – traduction pour les non-oragnopassionnés : soixante-douze sons que l’artiste peut mélanger), « construit à partir de l’orgue personnel de Pierre Cochereau », puis « conçu par son titulaire Jacques Garnier » alors « inspiré par les idées du célèbre organiste (sic) Jean Guillou ». Ainsi se préfigure un programme tripartite comme on aime, associant trois compositions pour percussions et trois improvisations de M. Saint-Eustache, grâce à deux organistes – Jean Guillou et un Jean-Baptiste Monnot d’à peine vingt-six ans – et aux percussionnistes Jean-Baptiste Couturier, Jean-Christophe Garnier et Lionel Le Fournis.
Le Huitième colloque (21’) commence dans l’imprécision du possible – hé-hé, je tente. Sous les baguettes du virevoltant Lionel Le Fournis, le marimba bariole tandis que l’orgue multiplie ses propositions aguichantes, des principaux aux anches. La « Réminiscence », première partie, associe avec une acuité passionnante la puissance de l’orgue, la résonance de Saint-Vincent de Roquevaire et la présence du marimba, peut-être excessivement valorisé par la prise de son – l’orgue est curieusement relégué en fond sonore. Les anches et le plein jeu se frottent activement à la précision tremblante de la percussion – nan mais, attention, j’ai trouvé la solution en relisant ces impressions d’écoute : je préfère penser que c’est hyperpoétique plutôt que très nul, comme formulation. La prise de son de Jean-Claude Bénézech bénéficie alors aux résonances et aux remarquables synchronisations des musiciens. Le compositeur joue avec gourmandise du spectre exigible de son complice (piste 1, 6’25), entre « notes » précises et puissance de la percussion.
La « Résurgence », seconde partie, propose d’aller de l’avant, entre mouvement tonique et réponse organistique. Les effets d’écho et les dynamiques sont moins coruscantes, selon l’adjectif à la mode, que tektonik. Ce nonobstant, il y a de la force, de la vigueur (piste 2, 3’20), de l’énergie et de la ponctuation (5’10). [Je sais, oh, je sais mais, sans me contrevanter, quand j’ai écrit ça, j’étais sûr ça veut dire quelque chose, alors je laisse, peut-être ça veut.] La fougue de l’orgue finit par exploser au mitan du second mouvement, sanctionnée par un marimba peut-être trop présent en termes de captation, ce qui valorise l’excellence de son interprète mais sous-estime malgré lui son précieux et précis complice. Reste l’intérêt de cet enregistrement, incluant des moments magiques (autour de piste 2, 11’) où les deux musiciens se contaminent l’un l’autre avec une fausse spontanéité et une vraie virtuosité. Les gens bien diront : « C’est n’importe quoi. » Comme j’en fais pas vraiment partie et sans feindre l’enthousiasme absolu sous prétexte que ce disque me fut offert par le producteur, je tonnerai donc simplement : bigre, ça impressionne et ça sonne.
Premier interlude, la Première improvisation (6’) s’articule autour d’un thème énoncé par le vibraphone et les cymbales, même si le pékin que je suis peine, comme pour la troisième improvisation, à simuler avoir compris la cohérence entre la partition fixée dans le livret et le rendu. Dès la proposition du percussionniste consommée, l’organiste embraye sur l’opposition entre aigus, anche aiguë et graves. La tension du propos est sensible, quoique difficile à rendre au disque. Jean Guillou, soucieux de construire son discours autant que de saisir son auditeur, propose une succession de phases où les plans sonores s’affrontent puis d’autres où les jeux de détail dessinent une ligne fragmentaire, comme impossible à aboutir. Écho à cette frustration, vient à résonner la colère des accords répétés aux tuyaux graves ou hostiles. En témoigne le finale dont les plus grands tuyaux sortent plutôt piteux que piètres vainqueurs – l’intériorisation des vibrations fait (presque) toujours partie de l’agogique, pof, du maître.
La Chronique pour trio de percussions (14’), rare pièce d’Augure sans Jean Guillou, s’ouvre sur une proposition atmosphérique aux riches harmoniques que ponctuent de brèves esquisses formelles. L’atmosphérisation du monde sonore interroge jusqu’aux intervenants (2’). Tambours et caisses claires s’agitent (4’15) puis s’impuissiantent (hop). Deux vibraphones virtuoses dialoguent contre un percussionniste. Puis au mitan de la pièce, la force du choc l’emporte sur l’autorité de la note. Une tendance atmosphérique puis martelante embrase le dernier tiers de la pièce. Gongs et résonances embrasent l’espace que de petites cloches peinent à investir. Les clochettes et cymbales finales manquent tout autant d’émotivité pour motiver notre wow.
La Seconde improvisation (8’) rebondit d’abord, jboïng jboïng, sur la fin du thème du marimba. Ce faisant, discutent flûtes et anches en crescendo. Les flux et reflux d’intensité procèdent pour partie par duos, accompagnés du penchant guilloutique pour les mélanges creux et les tremblants à quasi tout-va. Des courses-poursuites vers l’aigu s’appuient sur une pédale solide qui gronde son énergie face aux accents répétés et aux arabesques ternaires. Alors, l’orgue juxtapose de brefs tutti à des écharpes de notes explorant tant les jeux aigus que les lamentations en decrescendo qui sanctionnent l’improvisation sans l’achever.


Le Sixième colloque pour orgue à quatre mains et percussions (16’) associe Jean-Baptiste Monnot à Jean Guillou, tandis que Jean-Baptiste Couturier et Jean-Christophe Garnier percussionnent. Amorcé sur des motifs flûtés mystérieux (et tremblants), le colloque prend vite le virage de la puissance. L’arrivée des cloches accentue l’étrangeté des flûtes, dont les nappes renient toute mélodie pour privilégier un travail d’atmosphère. Entre gong et tam-tams, un orgue rythmique trace sa voie face au marimba. C’est une flûte qui prend la parole et s’impose (vers 4’) sans effacer les interventions qui l’enveloppent. L’ambiance planante vole en éclats à chaque sursaut digital du double soliste à la console, mais la flûte et le marimba ne se découragent pas. S’installe manière de capharnaüm où se faufilent des cymbales au gré de tenues obstinées que font scintiller les percussions métalliques. Des blocs chinois enrichissent le paysage où la caisse claire ne s’en laisse pas conter. Les interventions éclatées de l’orgue, entre accords, cantilène fragmentaire et fumerolles de notes, osent s’appuyer sur l’ensemble du spectre disponible – tantôt discret, détaillé ou massif.
Le panel de percussions se mélange, alors qu’un dialogue tente de s’articuler entre l’orgue et le marimba (vers 10’20). Audiblement, les deux interlocuteurs ne parviennent pas à s’accorder. L’orgue s’enfurie, et bam ; les toms tonnent. Un nouveau crescendo déflagre à grands traits virtuoses ou à coups d’accords répétés. Puis la flûte tremblante reprend le lead en duo avec le vibraphone. Une forme de paix s’étale, marquée par des roulements de cymbales, des tenues de l’orgue et des motifs de vibraphone. Wind chimes et fermeture de la boîte expressive concluent la pièce sur une tenue tremblante qui lutte pour ne se point dissoudre trop tôt. En somme, une œuvre sans doute plus impressionnante en live qu’au disque car, présentement, la dissociation des plans sonores entre les percussions en avant et l’orgue au fond ne rend pas justice aux effets de résonance, de suspension et de mélange sur lesquels, suppute-t-on, repose l’association entre un instrument soufflant et des collègues frappés. Néanmoins, en l’état, elle pourra séduire les amateurs de musique mystérieuse habitée par des sonorités variées et attirantes.
La Troisième improvisation (10’) repose sur une intervention brève, riche et insaisissable des percussionnistes. Avec métier, Jean Guillou se positionne sur un rythme reconnaissable plus que sur la prolongation déformée d’une imitation. Le motif répété permet d’explorer les cinq claviers de l’orgue. Aucune retenue en vue : rugosité des pleins jeux, agressivité des anches, sévérité des échos, récurrence des trémolos guilloutiques, sautes digitales surplombées par les chamades… Tout est bon pour amplifier le motif de sept notes répétées servant de cautérisateur entre les différentes blessures du moignon thématique. Une évidente recherche de vitalité se fait jour à travers la répétition des notes, la registration mutante, les retours de motifs, les contrastes d’intensité ou la virtuosité des saucisses. Dernière impro oblige, la puissance de la Bête n’est plus cachée. Mieux : elle s’étale dans ses multiples dimensions spatiales, rythmiques et chromatiques. Toutefois, le déchaînement de tuyaux finit par se contracter au profit d’un cromorne et de son tremblant. Cette accalmie prélude au retour de la flûte trémoloïque et de la pédale rythmique, selon la coutume de Jean Guillou consistant à ne (presque) jamais finir sur un tutti. Le tout forme une promenade intéressante sur les ailes des larges possibles de l’orgue local.
En conclusion, un disque original et vigoureux, à conseiller en première intention aux auditeurs ayant goût pour les musiques excitant l’imagination plus que le headbanguing capillaire. Pas forcément mauvais signe pour le témoignage exceptionnel d’un répertoire aussi rare !


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