Jean-Nicolas Diatkine, Salle Gaveau, 4 décembre 2023 – 1 – Beethoven

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Jean-Nicolas Diatkine à la salle Gaveau, le 4 décembre 2023. Photo : Rozenn Douerin.

 

Hénaurme programme proposé par Jean-Nicolas Diatkine ce début décembre, pour son récital annuel à la salle Gaveau – rendez-vous des mélomanes attirés par

  • un interprète profond,
  • un musicien exigeant et
  • un personnage qui masque son charisme sous un voile de discrétion.

L’affaire est articulée autour de trois demi-heures :

  • une avec Beethoven,
  • une avec Liszt et
  • une avec Chopin.

Un programme en béton doré, qui nous permet d’oublier l’accueil traditionnellement réservé aux spectateurs salle Gaveau (placeuse à rémunérer alors que tu as déjà payé ton billet ET d’exorbitants “frais de réservation”, programme indisponible au deuxième balcon puisque pas de placeuse chez les ploucs – sauf peut-être pour les récitals complets à l’avance ?).
Pour embrayer, le pianiste dégaine la Quatorzième sonate op. 27 dite “Clair de Lune” de Ludwig van Beethoven, qu’il envisage “plus funèbre que romantique”. À côté de nous, dans une salle beaucoup trop chauffée, nos voisins se préparent à leur façon :

  • la dame au gros manteau s’agrippe à son portable et se connecte à WhatsApp ;
  • un monsieur aux ongles démesurés sort sa tablette pour
    • suivre la partition,
    • donner le tempo à l’artiste et
    • noter des indications d’interprétation sur son écran ;
  • d’autres spectateurs se promènent bruyamment en se demandant visiblement si on voit mieux à jardin ou à cour.

Jean-Nicolas Diatkine, lui, a déjà engagé l’un des Adagio sostenuto les plus connus du monde. Point de mollesse, ici, point d’agogique pleurnicharde, mais plutôt un sentiment de fatalité qui advient. Profitant de la troublante régularité du texte, l’artiste trace sa voie avec l’élégance des modestes, celle qui

  • saupoudre le beau plutôt que de le faire rutiler,
  • suggère une vision plutôt que de la ripoliner,
  • admet intérieurement que choisir comment interpréter une sonate de Beethoven dans le climat délétère environnant, ce n’est pas grave – mieux : c’est important.

Tout se joue donc sur

  • les touchers,
  • les respirations et
  • les phrasés.

Le bref Allegretto qui suit contraste joliment avec ce qui précède. Le choix d’un tempo modéré participe des options d’interprétation, privilégiant ici la subjectivité du sentiment allègre à l’objectivité d’une quantité de notes par seconde. C’est une astuce convaincante pour rendre à la musique ce que les notes préemptent souvent chez certains interprètes, par le truchement maîtrisé de l’attention à ces détails qui n’en sont pas.

  • Les accents,
  • les nuances et
  • la clarté des lignes

sont ici autant d’outils qui actualisent, entretiennent et célèbrent la mécanique beethovénienne. Le redoutable Presto agitato ne rechigne pas, lui, devant l’ivresse de la célérité. Néanmoins, vitesse n’est pas précipitation. Bien qu’il esquive tout effet scénique dramatisant l’enjeu technique, Jean-Nicolas Diatkine est assez à l’aise avec ces tombereaux de notes pour groover l’histoire.

  • L’accompagnement groove,
  • les attaques groovent,
  • les récurrences groovent,

comme si le musicien avait pelé la peau technique du mouvement pour n’en garder que la chair tonique et savoureuse. Changement d’ambiance avec les Six bagatelles op. 126, qui n’ont pas eu la chance d’être tubifiées comme la Clair de Lune ou la Neuvième symphonie qu’elle suit de peu. L’Andante con moto en Sol permet de goûter, sur un registre longtemps concentré dans le médium,

  • des nuances très ajustées,
  • des ornements taillés au microscope,
  • des rubato qui sonnent vrai et
  • des aigus cristallins signalant à la fois un toucher affuté et un piano fort bien réglé.

L’Allegro en sol mineur a le bon goût de surprendre en associant

  • surgissement monodique,
  • équilibre de l’harmonie et
  • tension captivante entre
    • régularité du débit et
    • sursauts saisissants.

L’Andante en Mi bémol est pris sur un tempo posé très pertinent pour apprécier

  • l’indépendance des voix,
  • la précision de l’articulation et
  • la luminosité d’une interprétation éclairant spécifiquement chaque registre.

Le Presto en si mineur est plus rugueux, et c’est fort agréable. Sous les doigts de Jean-Nicolas Diatkine, il ne confond pas

  • tonicité et agitation,
  • accentuation et bruitisme,
  • cohérence et uniformisation d’un propos sciemment décousu.

Le Quasi allegretto en Sol balance délicieusement entre

  • entrain et méditation,
  • allant et retenue,
  • fluidité et mesure.

Sans épuiser le mystère Diatkine, ces interstices, tensions et frictions participent du charme hypnotisant d’une interprétation où l’intériorité perceptible l’emporte toujours sur l’exubérance de l’excès. Le Presto – Andante amabile en Mi bémol ne trahit pas le projet inscrit dans son concept. Sous les doigts du pianiste,

  • les caractères contrastent,
  • la palette de couleurs s’élargit et
  • la richesse des registres est explorée avec la gourmandise de rigueur.

Une première demi-heure ni bruyante, ni brillante, mais puissante. Et dire que Franz Liszt se profile déjà…


À suivre !