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Après une mise en bouche pour piano seul et une première sonate, le florilège de Jean Perrin, version chambriste, envoie deux sonates de quelque 25′ pièce.
La Sonate pour violoncelle et piano op. 11 date de 1956. Au côté du compositeur, elle nous permet de retrouver, dans un enregistrement de 1983, le violoncelliste Jean de Spengler croisé çà et . Son Allegro moderato e ben marcato paraît rendre hommage au César Franck que Jean Perrin admira. Hommage, mais point imitation. L’harmonie semble s’amuser entre la tentation tonale et la présentation dégradée – donc personnalisée – de cette possibilité.

 

 

En dépit d’un incipit gaillard, la pièce se tartine rapidement de tensions, marquées par des flux et reflux, qui interrogent le matériau thématique, paraissant l’autopsier pour examiner ce que masque ce vernis pétillant. Les interprètes, remarquablement coordonnés, donnent à cette analyse médico-musicale un souffle permanent et une inquiète vitalité qui saisissent l’oreille et ne la lâchent plus, portés par une écriture qui associe

  • dialogues,
  • synchronisations,
  • battles où l’énergie de l’un stimule la fureur de l’autre,
  • oppositions et
  • parallélismes.

L’adagio qui suit prend des allures de thrène. Au violoncelle le lyrisme, au piano le ressassement oscillant entre fatalisme et compassion. Point de fight, ici, mais une complémentarité que le compositeur-pianiste parvient à rendre à la fois lisible et surprenante. On croit entendre – voire voir – battre le chagrin, avec

  • ses spasmes et ses abattements,
  • ses enlisements et ses révoltes,
  • son évidence et ses mystères.

Au chant envoûtant des cordes frottées répond l’alacrité polymorphe des cordes frappées. Ainsi se dessine une narration complexe et captivante qui se prolonge dans l’Allegro vivo, placé sous le signe de la tonicité.

 

 

Le propos, lancé à fond de train sur les rails transversaux des triolets, se présente en bataille, avec des enchaînements qui hésitent entre collages, suspensions, breaks, transitions et confrontation d’atmosphères. Jean Perrin n’est pas un compositeur du développement ou du fil rouge. Il laisse l’auditeur forger ses propres repères dans un paysage complexe d’où surnagent néanmoins de précieuses aides tels que

  • des récurrences de formules,
  • des échos entre piano et violoncelle,
  • des parallélismes et
  • des unissons.

Les changements de tempi, les mutations de caractère et l’imprédictibilité de l’agogique construisent et déconstruisent à la fois la narration jusqu’à la fin brutale. À l’arrivée, toute pulsion jargonnante bue, toute, voilà bien une œuvre qui s’écoute avec intérêt et délectation !

 

 

La Sonate pour flûte et piano op. 12 b date de 1955 mais a été révisée en 1976, soit trois ans avant son enregistrement avec Pierre Wavre à la flûte. L’Allegro non troppo commence en embarquant piano et violoncelle dans un même sautillement. L’expressivité du souffleur évite tout effet de lassitude propre aux gentils frétillements guillerets. De belles synchronisations alimentent l’intérêt :

  • breaks,
  • mutations de tempi progressives,
  • accents précis,
  • exactitude des contretemps swings, et
  • respirations communes lors des périodes où la danse de saint-Guy s’apaise

soudent les partenaires sans les réduire l’un à l’autre. L’on goûte aussi la qualité de l’interprétation que manifestent notamment

  • le toucher du pianiste,
  • la variété des attaques flûtées et
  • le travail coordonné sur les nuances.

Le faible nombre de rustines audibles (à part à 4’32, peut-être, lors du dernier segment du mouvement…) contribue à assurer l’indispensable fluidité énergique de ce mouvement qui va presque sans cesse de l’avant. À ce titre, il faut aussi saluer la qualité de la prise de son, donc rassurer tous ceux qui craindraient d’avoir affaire à des pistes vintage, portant mal leurs quarante ans d’âge voire crissant sous l’oreille : la Radio suisse romande savait y faire !
L’Adagio se dépaquette sous forme d’une contemplation lente où les rôles semblent bien distribués entre un soliste et son accompagnateur attentif. Le compositeur tire le meilleur de cette répartition, avec

  • des échos,
  • des doublures et
  • des contradictions qu’animent des ruptures d’atmosphère nourries çà par un piano à découvert.

Le mouvement offre un déploiement de segments distincts dont l’unité ne s’esquisse qu’avec l’aide de l’auditeur. À lui de donner sens aux collages en inventant une narration tenant compte des quelques leitmotivs et des nombreuses oscillations thymiques dont témoigne une coda que l’on peut presque aussi bien imaginer en Fa# (ce qu’elle est à cause du la dièse glissé par le piano juste avant)  qu’en fa # mineur (ce qu’elle est itou puisque le la dièse a disparu).

 

 

L’Allegro vivo exige du pianiste des doigts plus que toniques. Il s’agit d’accompagner le premier élan de la flûte par des rebonds, des minicourses et des sforzendi opportuns. Cependant, une première rupture calme le jeu, évitant la surenchère. Puis la boue d’énergie se remet en mouvement, en dépit de la tentation du repos qui laisse de ci de là traîner quelque tentacule.

  • Une harmonisation inventive,
  • une ligne de flûte jouant sur le souffle mélodique comme sur les attaques dynamisantes,
  • une complicité d’intention enlevant les partenaires dans un même geste, et
  • une virtuosité discrète

habillent cette dernière partie d’une lumière dont les charmes, en dépit de l’apparente sagesse formelle d’une sonate aux trois parties vif – lent – vif, ne se démentent point.
Symétrie oblige, après l’apéritif qui précédait les trois sonates, vient le temps du digestif – une commande du Conservatoire de Lausanne créée en 1986 pour ténor, clarinette, violoncelle et piano. Le livrettiste Jean-François Antonioli ajoute au mystère de cette forme brève en expliquant qu’elle témoigne d’un compositeur “tourmenté toute sa vie”, dont

la foi n’était pas seulement protestante, sa confession d’origine.

 

 

C’est toutefois la version luthérienne de l’épître de Paul aux Romains qu’il choisit pour affirmer que, bien que nous soyons des brebis menées à l’abattoir, “rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus, notre Seigneur” (VIII, 35-39). Sur une base élégiaque portée par le violoncelle d’Emmanuelle Goffart et le piano du compositeur, plane la pédale aiguë tenue par la clarinette de Curzio Petraglio. Le beau ténor de Hans-Peter Graf s’insère en similitude avec le violoncelle avant de s’en dissocier – souvent, Jean Perrin apprécie de faire coïncider deux intervenants avant de les autonomiser, ce qui renforce l’écoute en duo des protagonistes.
Les instrumentistes commentent les interrogations du chanteur, dont le lyrisme emporté trouve écho chez le violoncelle. Le piano martèle le son, puis la clarinette surgit sur un registre large allant du grave à l’aigu. C’est dans l’aigu céleste que piano et ténor expriment leur certitude que nulle créature ou machin assimilé ne les séparera de l’amour de Dieu. Manière d’apaisement final traduit la confiance affirmée par le texte, dont le compositeur a néanmoins montré qu’elle n’excluait pas angoisse ni tourments.
Ainsi Secundum Paulum conclut-elle avec force un parcours esquissant trente ans de musique de chambre dont on retient

  • l’expressivité,
  • la justesse dans le traitement instrumental, et
  • la capacité du compositeur à ne pas celer sa personnalité puissante sous le boisseau du savoir-faire ou l’extraversion que pourrait justifier sa maîtrise instrumentale.

Bref, encore une belle réalisation qui rend hommage au patrimoine suisse… auquel nous reviendrons tantôt tant les Helvètes semblent moins honteux de cultiver leur richesse que nous autres, Français souvent atteints d’une modestie aux consternants relents woke.


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