Le Sorelle Macaluso d’Emma Dante, Théâtre du Rond-Point, 21 janvier 2015

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LSMY a-t-il une limite entre la vie et la mort ? En faisant tournoyer sur scène les sœurs Macaluso, leurs parents et le fils de l’une d’elles, sans distinction entre défunts et survivants, Emma Dante, vedette du théâtre palermitain, postule que non. Et pourquoi pas ?
L’histoire : une flopée de frangines se retrouve alignée sur scène. On distingue la petite chouchoute qui pirouette et chante avec papounet, celle qui s’use la vie à s’occuper de la simplette, donc la simplette qui mord au besoin, l’aînée qui aurait tant aimé apprendre à danser, celle qui est morte dès son premier bain dans la mer pour avoir voulu rester la dernière sous l’eau (du coup, c’est réussi, comme disait le squelette qui fut un enfant jouant à cache-cache dans une huche à pain), la grosse qui enrage peut-être parce qu’elle fut envoyée en pension, celle qui a eu un enfant cardiaque et l’a peut-être laissé mourir en rêvant qu’il soit Maradona (au moins pour qu’il lui foot la paix le temps qu’elle regarde la télé)… Il y a aussi l’enfant cardiaque, dont les convulsions vont envahir la scène, le père qui débouchait les chiottes des discothèques pour vingt euros, et la mère, rassurante et positive, peut-être parce que morte “trop tôt” pour s’occuper des gamines, mais qui valsera avec le père jusqu’à extinction de la pièce – pour rien, comme dans la très belle chanson d’Allain Leprest. Jusqu’à ce que l’aînée-qui-rêvait de-danser comprenne que, si vivants et morts sont tous là, c’est pour son enterrement. Alors, se dénudant, elle revêt un tutu et danse ; et meurt la pièce.
Le spectacle : réunissant les trois clichés inévitables – apparemment – du théâtre BCBG contemporain (homme habillé en femme, actrice à poil, pas de décor), Le Sorelle Macaluso tente de raconter une histoire trouée en s’offrant la liberté de la ressouvenance – rires de gamines, disputes d’adultes disparus, invocations de morts dont l’habit final signale le trépas, bousculades, passages sans paroles, retours au réel, secousses dans la logique analeptique, etc. Entre mouvements chorégraphiques, silences, bruits, jacassements pénibles car trop longtemps trop sonores, Emma Dante joue avec le rythme, le distendant dans de longs surplaces avant de repartir vers un nouvel épisode plus ou moins clairement rattaché au précédent, puis s’attardant sur des scènes d’agonie ou de suffocation. Curieusement, la salle – pleine, en partie de scolaires – rit souvent très fort à des passages qui n’ont, en apparence, rien de drôle. Façon – un brin surprenante – sans doute d’appréhender la narration sciemment disjointe par une réaction censée masquer une manière d’incompréhension. Pourtant, c’est dans ces moments de saute, de merveilleux, de distension, autrement dit d’incompréhensible, que le show protéiforme touche le spectateur. Grâce à certaines trouvailles des comédiens, en dépit de tunnels décevants ou de facilités farcesques qui font plus cordage que ficelle, la pièce parvient presque à faire oublier une musique emphatique, redondante, lourde, avant que cette pénible onde sonore en forme de Stabylo-Boss grandiloquent finisse par asphyxier la tension dramatique – ce ratage regrettable ne semble pas signé dans le programme remis aux spectateurs, tu m’étonnes.
En conclusion : richement doté par la Commission européenne, coproduit par moult scènes européennes et diffusé un peu partout en dépit de sa langue associant italien et palermitain (sous-titres perclus d’un nombre impressionnant de fautes d’orthographes – rappelons qu’il n’y a pas d’espace après l’apostrophe, par ex.), ce spectacle est assez bref (1h10′) pour ne pas harasser le spectateur. On se laisse donc séduire, sporadiquement, par l’astucieuse manière qu’a Emma Dante de mêler narration et béance explicative, logique et poésie, théâtre et danse, soli et mouvements d’ensemble, etc. On apprécie particulièrement sa façon de substituer au récit verbal le corps dramatique (danse, costume, jeu avec la lumière). Mais on ne peut qu’être déçu par l’incapacité de l’auteur à subvertir des topoi surannés (obscénité, croix, travestissement, bande-son au premier degré), ou à en tirer une substance moelleuse, à défaut de substantifique moelle, dont on puisse percevoir la saveur. Sortir de ce spectacle original avec un avis mitigé paraît alors une posture raisonnée ; partant, quoique ni Normand, ni toujours raisonnable, c’est celle que nous avons adoptée.