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Le 4 janvier 2024, au théâtre de Passy. Photo : Rozenn Douerin.

 

La première mi-temps contée ici s’achevait sur une bonne nouvelle : si, depuis Guy Béart en général et la mort de l’aimée en particulier, il n’y a définitivement plus d’après à Saint-Germain des Prés, il y fait beau temps comme à Saint-Raphaël. Se poursuivait ainsi la déclaration posthume d’amour à Françoise Mallet-Joris, racontée par ailleurs – précise la chanteuse avec son humour consubstantiel, rien que ça – dans “un livre sorti huit jours avant la fermeture des librairies pour le confinement, donc qui a connu un immense succès”. Marie-Paule Belle y met une belle énergie, avec talon qui claque et modulations qui passent bien. C’est que son récital revendique de raconter son histoire à sa façon. Histoires d’amours humaines, donc, d’amitiés artistiques et d’influences, l’artiste se revendiquant de Jacques Brel et Barbara.
L’illustre “Une petite cantate” rappelant son excellent spectacle autour de la dame Soulages. La pédale est généreuse, comme pour garder un zeste de prudence dans les mutations harmoniques de la chanson, mais l’on apprécie la fragilité assumée de la voix, qui sonne juste et vrai. Subtilement, la chanteuse embraye sur “La petite écriture grise”, pilier de son répertoire évoquant l’effacement donc le souvenir – on pense à l’autre effacement (lui, dans un bel archipel, sûr’ment)  évoqué dans le “Duvet gris” d’Isabelle Mayereau, dont elle a raconté l’origine dans un entretien wow. Mais assez d’émotion contenue, il est temps de rire ou presque.
Pour cela, Marie-Paule Belle propose de concilier la mode du slam et son amour de la chanson réaliste “à la Berthe Sylva”. Inspirée par une conversation téléphonique un soir de grande fatigue, Isabelle Mayereau lui a donc cousu un texte expliquant que l’on fait comme on peut, tant pis si “on peut peu”. Pas de “Nous nous plûmes” pour embrayer, bien qu’on n’s’y plût plus, mais “Les p’tits patelins”, cavalcade rendant hommage aux chefs-lieux de canton et à ce qu’il s’y passe quand on s’y amuse, ce qui ne doit pas être si fréquent, surtout à – ne nous brouillons avec personne, les invitations à chanter en province (pardon, dans les territoires) sont si rares de nos jours !
En miroir, se dresse un extrait géographique et mental du dernier disque, “Pays natal” où “le mot maison, là-bas, rime avec prison / et les voisins en sont les gardiens”, issu d’un texte inédit de Françoise Mallet-Joris.

 

 

As de l’agencement d’une set-list, la chanteuse revient à la chanson réaliste drôle dont elle a su faire une partie de son succès avec, dévastatrice “La biaiseuse”. Cette fois, pas d’interaction dans la salle avec l’ouvrier plisseur de passage qui va s’établir bien vite avec elle : une version plus sobre et très réussie cependant. C’est l’occasion pour l’artiste de se souvenir de tous ces endroits où, comme Serge Lama qu’elle invoque, elle est allée biaiser pendant que d’autres plissaient debout, avec une spéciale dédicace pour Longwy, une ville où, lors des galas, “les vieilles amenaient leur tricot” car “elles pensaient que c’était une veillée”.
Après avoir partagé sa vision du public, Marie-Paule Belle expose ce temps où elle était public, contrainte, avec Françoise Mallet-Joris, à assister à des démonstrations circassiennes aussi gênantes que pitoyables, voire “très pathétiques et très touchantes”. Françoise Mallet-Joris “répondant à toutes les questions que je me pose”, ainsi qu’elle expliquait jadis pour lancer “Mais où est-ce qu’on les enterre ?”, ces souvenirs affligés ont révélé que “ces gens-là” (bisou à toi, Jacques) vivent “d’un peu amour et de café” même les soirs où “on applaudit à peine”. Histoire de secouer l’affliction habitant cette chanson devant la nullité honnête et ravageuse de certains, et devant l’absence sans appel de FMJ, MPB enquille avec “Les amis de monsieur”, un tube de Harry Fragson.

 

 

Après une chanson quasi féministe dont Barbara floutait le plus joli mot de la chanson, une chanson carrément pas féministe sur une femme au foyer. “Les petits dieux de la maison” travaillent la veine intimiste qui est aussi un champ d’exploration prisée par la musicienne. On y goûte notamment un piano à la fois

  • maîtrisé,
  • sans fioriture et
  • juste.

Marie-Paule Belle joue (toujours) bien, d’autant qu’elle évite l’extravagance, fixant le piano dans un rôle de partenaire précieux qui n’est pas là pour mettre en valeur celle qui chante et s’accompagne. Les gourmands de performances plus virtuoses pourront toujours écouter Dans mon piano noir de Romain Didier et singulièrement son arrangement extravagant de “Et maintenant”.

 

 

Versant souriant de la disparition, “Mais où est-ce qu’on les enterre ?” claque alors comme la juste question qu’elle est. Si depuis tonton Georges, est définitivement admis que les morts sont tous de braves types, n’oublions pas tous les trépassés qui étaient, eux, des sales types ou juste ces gens que l’on pourrait appeler des “ha, nan !”, comme ce que l’on pense quand on les aperçoit, fût-ce quand nous nous regardons dans notre miroir. Le nouveau retournement d’ambiance intervient avec le toujours bouleversant tube de Barbara, “Dis, quand reviendras-tu ?”. Comme l’on s’approche hélas sensiblement de la fin du spectacle, Marie-Paule Belle incite le public à prendre toute sa place au refrain – pas forcément ce que nous préférons : chanter ensemble est une joie que nous revendiquons, mais quand il y a Marie-Paule au piano, c’est pas le même saucisson, on préfère écouter Marie-Paule, quitte à fredonner en arrière-fond, évidemment.
Voici venu le temps des remerciements en forme de générique (on apprend à cette occasion que Jacques Rouveyrollis, complice coutumier de la chanteuse, est l’auteur des éclairages qui l’ont accompagnée – fonctionnels, mais, probablement contraints par un budget spécifique limité, pas à la hauteur de cette légende des théâtres). Certes, ils peuvent paraître un peu plus qu’un peu trop généreux. Par exemple, que des célébrités soient remerciées pour avoir radiné leur fraise me chiffonne : les p’tites gens qui ont payé leur place n’ont, euphémisme, pas moins d’importance pour le spectacle que ces privilégiés. Reste que la longueur de l’action de grâces témoigne de l’émotion de l’artiste, et exprimer ainsi sa vibration en se tournant vers les autres est une manière émouvante de parler de ce dont on ne parle pas :

  • le temps qui passe et ne se rattrape pas,
  • la maladie qui grommelle,
  • la mort qui gratte à la porte et
  • l’idée taboue que c’est peut-être une dernière fois que nous partageons en direct ce qu’Anne Sylvestre aurait presque appelé “la tendresse effarante qui va de nous à l’artiste”.

 

 

Pour se remettre du balabala, rien de mieux que la chanson pour toujours précédée d’un : “Alors, pour ceux qui ne sont venus que pour celle-là…” Donc, près d’un demi-siècle après l’avoir créée, Marie-Paule Belle n’est toujours pas et ne sera jamais “La Parisienne”, bien qu’elle le soit pour l’éternité et, probablement, un chouïa au-delà. En tout cas, elle ne l’est pas ce “soir entre mille” qu’évoque la chanson-titre du dernier disque (désormais disponible en vinyle, trait d’union bobo entre modernité et tradition s’il en est), sur des paroles de Françoise Mallet-Joris. L’émotion est trop forte pour l’artiste, cette fois, qui mélange un peu les crayons de cette nouvelle trousse avant d’annoncer : “Je vais reprendre.” Malgré l’antisèche ou à cause d’elle, la peinture de “Vive le sport” est elle aussi un peu fraîche, mais qu’importe ? On est heureux que l’artiste décide de ne pas terminer sur du golden hit afin de privilégier

  • le récent,
  • le vivant,
  • le fringant.

Oui, l’on aurait parfois aimé être bousculé par la découverte de titres rarement voire jamais chantés sur scène. Difficile de ne pas comprendre qu’entre

  • les titres obligatoires,
  • ceux du dernier disque un rien obligés aussi et
  • ceux qui résonnent à l’oreille de l’artiste,

impossible de glisser des surprises ! Après tout, retrouver cette légende de la chanson intelligente, drôle, persistante, diverse, joliment dénudée dans l’option piano-voix, ce n’est pas une surprise, non, c’est pire : de la joie que l’on se promettait et qui est néanmoins advenue.