Nicolas Horvath joue Hélène de Montgeroult (Grand Piano, 2/3)

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En découvrant le nouveau double disque de Nicolas Horvath, une question paraissait s’imposer : 2 h 30 de sonates publiées entre 1795 et 1811, sera-ce une découverte stupéfiante ou, posons l’hypothèse en ces termes, une gave lénifiante ? Le premier des trois recueils de sonates « pour le forte piano » puis « pour le piano forte », paru en 1795, nous avait paru tout à fait pimpant ; mais voici déjà que se profile le deuxième opus, pressé vers 1800.
En ouverture, la Sonate en sol mineur (12’) se décapsule sur un Allegro con moto e espressione qui hésite entre délicatesse et fermeté itérative. Nicolas Horvath a la bonne idée de ne pas traîner en chemin, fût-ce pour exécuter les triolets exigés. Égrener avec allant ces sons permet de ne pas s’attarder sur les grains de notes en soi pour mieux profiter du ronronnement du chapelet. De cette prière autostimulée émerge alors une sorte d’émulsion qui rend appétissant le gâteau. Appogiatures et ornements épicent un plat qui fricote davantage avec le Si bémol qu’avec le sol mineur, jusqu’à ce que l’irritation, bien rendue par l’interprète, n’emporte le morceau.

 

 

Le Presto ternaire se défera-t-il de cette inclination pour les formules répétitives ? Au contraire, il semble se nourrir des récurrences et des unissons chers à la compositrice. Quelques dialogues entre main gauche et main droite zèbrent ce second mouvement, ponctué par

  • des contretemps d’accompagnement,
  • des octaves en reprises et
  • des modulations éphémères.

Derrière les bariolages et le bavardage (le clavardage, en quelque sorte), prédomine un flux de notes roboratif dont l’énergique pianiste se fait un plein ventre, valorisant l’œuvre par le bon bout : non point en la tartinant d’une feinte délicatesse mais en lui offrant sa belle capacité à encolérer le clavier.

 

 

La Sonate en Do (20’) ose un plan en trois parties. Toutefois, l’Allegro moderato liminaire constitue la moitié de la pièce. Comme la sonate précédente, celle-ci s’avance avec délicatesse puis laisse la rugosité

  • des unissons,
  • des notes répétées,
  • des accents et
  • des forte (premiers temps puissants de la main gauche)

remettre en cause çà et là la joliesse du propos.

  • Trilles,
  • accords arpégés,
  • suspensions du discours et
  • passages toniques

plantent un décor ambivalent entre préciosité et irritabilité, ce qui pourrait bien avoir quelque chose d’autobiographique pour la compositrice. En effet, Hélène de Montgeroult semble tiraillée entre,

  • d’une part, une certaine tradition aristocratique confite dans l’entre-soi et la fréquente réification de la jeune femme (ainsi, Hélène accepta d’épouser un barbon auquel elle rendait près de trente ans) et,
  • d’autre part, les foucades d’un caractère bien trempé (la dame fut capable de divorcer de son deuxième époux – elle en eut trois – et d’envoyer bouler le Conservatoire – bien qu’il l’ait sauvée de la guillotine et lui ait accordé le salaire le plus haut – car, nous révèle le livret, « elle n’était pas en phase avec les objectifs populaires de l’établissement »).

La partition paraît aussi obstinée que couturée, marquée tant par ses soubresauts que par des insistances jamais lasses d’elles-mêmes. Pour autant, jamais Nicolas Horvath et son jeu très sûr ne perdent le fil d’un discours dont les cahots, ainsi boostés, maintiennent l’intérêt au long des 9’30.

 

 

En regard de cette entrée en matière, l’Andantino quasi allegretto qui enquille paraît curieusement sage. Le contraste est donc savoureux, éclairant d’une lumière plus vive ce qui pourrait passer une bluette mignonnette, avec

  • ses arabesques,
  • sa modulation en mineur et
  • sa répartition entre mélodie et accompagnement.

La grâce de l’interprète est de prendre soin de chaque sonate comme d’une précieuse promenade, donc de caractériser les différentes atmosphères en veillant à ne point unifier la balade sous un même vernis passe-partout. En l’espèce, il ne tire le mouvement lent ni vers le gnangnan

  • (les nuances,
  • le phrasé,
  • la mise en place et
  • les respirations

évitent l’écueil) ni vers le tourmenté-à-tout-crin qui chercherait à rappeler l’esprit du premier mouvement.
Surgit alors, guilleret, le dernier mouvement partagé entre Allegro con brio et Vivace. Dans cette proposition lumineuse, on se repaît des nuances

  • d’intensité,
  • d’attaque et même
  • de rythme (avec
    • a tempo,
    • détentes de clarification agogique – en clair, on respire un peu avant de repartir sur un nouveau segment musical pour que l’auditeur suive mieux la logique de la pièce et l’agencement des différentes phases – et
    • tensions).

La jolie modulation qui arrive à mi-course et marque le début de la seconde partie est centrée sur l’aigu et le médium. Elle charme l’esgourde en diversifiant le langage sous ses airs convenus. Curieuse conclusion, en somme, pour cette sonate composite donc prenante !

 

 

La Sonate en la mineur (17′) travaille, sur trois mouvements, un langage plus mélodique qui, dès l’Agitato initial, peine à se développer d’un point de vue thématique… comme de coutume ! La compositrice creuse donc la veine de variations, de modulations et de répétitions dont Nicolas Horvath profite pour faire miroiter les couleurs de son piano, réglé avec pertinence par Bruce Savine. En effet, l’instrument, très sollicité, sonne juste mais pas léché, ce qui pourrait être curieux pour un Steinway D n’eût été la spécificité des pièces destinées au pianoforte. À la beauté mélodique s’oppose le penchant presque pré-schumannien pour la jouissance martelante de la percussivité, sortant le piano de l’aire bienséante des salons compassés pour le faire entrer dans l’aire biensonnante des concerts engagés. L’interprète excelle à faire sonner ce qui semble, à ce stade, la force d’Hélène de Montgeroult : l’inventivité entêtée et inconditionnelle, fondée sur un matériau thématique étique. Tout ou (et non toutou, évidemment) presque se passe comme si, selon les possibilités des instruments à son époque, la créatrice faisait le lien entre deux pôles anachroniques qui ont attiré Nicolas Horvath, cet interprète oxymorique – la virtuosité et le minimalisme.
L’Adagio qui suit n’a pas honte de sa belle lenteur ; et c’est parfaitement séduisant. L’emballement surgissant à 1’48 n’ôte rien à la solennité joliment harmonisée qui sévissait jusque-là. Le musicien l’habille d’une palette d’attaques, de nuances et de résonances qui happent, sans flatterie, l’écoute, et préparent le surgissement du bref Vivace con expressione ternaire, fête au détaché virevoltant.

  • Précipitation stimulante,
  • oscillation entre mineur et majeur,
  • rôle ambigu de la main gauche, gardienne tant du rythme que du contretemps,

construisent un étrange mouvement dont Nicolas Horvath rend les oscillations en arche avec l’engagement expressif exigé par l’énoncé. Soit, admettons-le, on a hâte d’ouïr ce que produisit Hélène de Montgeroult dans son dernier recueil de sonates, mais on garde ça pour une prochaine notule. Un brin de suspense nuit rarement…

 


À suivre.
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