Orlando Bass, “Préludes et fugues”, Indésens – 2/8

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Orlando Bass en juin 2019, devant la gare Saint-Lazare (Paris 8). Photo : Bertrand Ferrier.

 

Nous avons tantôt entamé la découverte des préludes-et-fugues sélectionnés par Orlando Bass pour son disque inscrit dans la série “Piano modern recital” d’Indésens, dirigée par Dimitri Tchesnokov et réservée aux vainqueurs du Concours-festival afférent. Après un superbe diptyque d’Amy Beach, l’artiste propose un triptyque de Yuriy Shamo, le fils d’Igor grâce auquel nous avions découvert l’artiste en compagnie de… Dimitri Tchesnokov, deux ans après la publication du présent disque, à une époque qui nous paraît lointaine où permettre à un Franco-Ukrainien d’origine russe de jouer un compositeur ukrainien au centre Chostakovitch ne poussait aucun crétin pseudo cultureux à pousser des cris d’orfraie.
Avec ce disque, l’interprète signe ainsi le premier enregistrement de la Troisième sonate, composée en 1969.

 

 

Le Prélude s’ouvre sur un motif motorique de trois notes auquel répond une main droite plus qu’énergique, guidée par une vibration ouvertement jazzy

  • (contretemps,
  • accents,
  • pistes harmoniques…).

Les ingrédients pianistiques utilisés par le compositeur

  • (accords puissants,
  • unissons ascendants,
  • percussivité,
  • suspensions…)

sont puissamment mis en valeur par l’interprète qui déploie

  • une virtuosité assez patente pour n’avoir point besoin de s’autosurligner,
  • une aisance rendant évident ce qui est complexe (capacité, en dépit de la redoutable exigence technique, à
    • nuancer,
    • contraster et
    • organiser un propos éruptif) et
  • une musicalité qui charme – or, si l’on est tout ouïe, c’est aussi pour passer un beau moment, pas juste pour admirer un extraterrestre (art
    • de hiérarchiser les sons,
    • de créer du liant entre les segments sans écraser les effets de surprise, et
    • de travailler les sons davantage comme des couleurs que comme des fatalités posées dans les oreilles de l’auditeur sans
      • intention,
      • direction ni
      • perspective).

L’aspect rhapsodique du mouvement affiche un langage qui paraît inspiré de l’improvisation (genre pratiqué largement par Orlando Bass, dans la lignée d’un Cyprien Katsaris), avec

  • ses flux et ses reflux,
  • ses explosions organisées et ses moments de répit où le piano semble chercher l’idée suivante,
  • ses grands geysers spontanés et l’apaisement où se devine presque le bouillonnement prêt, instamment, à déborder.

 

 

Yuriy Shamo travaille avec gourmandise

  • les différents registres,
  • l’harmonisation cyclique,
  • les multiples formes de toucher
    • (notes uniques,
    • notes répétées,
    • accords,
    • sforzendi,
    • glissendo…),
  • les résonances
    • (temps bref du staccato,
    • prolongements des tenues,
    • extension permise par la pédalisation…) et
  • la tension entre apparence dégingandée et construction fermement tenue dont témoigne la forme ABA (en presque clair, la fin ressemble au début).

Le récitatif est lui aussi suscité par une formule de la main gauche. Lamento, thrène, plainte : peu importe le qualificatif, reste le fait que, après l’énergie du premier mouvement, le compositeur explore l’émotion du temps

  • diffracté,
  • posé,
  • interrogatif,

qui n’exclut pas, heureusement pour les mélomanes dont la contemplation n’est pas la première qualité,

  • la percussivité,
  • le mystère des unissons,
  • les curiosités harmoniques et
  • cette convaincante complicité entre relâchement apparent de l’écriture suspendue et vue d’ensemble entortillant la sonate autour de la colonne vertébrale qu’est le deuxième thème du prélude, sur lequel brode le récitatif.

 

 

La Fugue se lance sur un groove de gigue où se mêlent

  • ivresse du contrepoint,
  • joie du rythme et du contrerythme ternaire,
  • plaisir du ressassement (la main gauche travaillant bientôt le système initial des trois notes motoriques),
  • jubilation de la percussion explosive,
  • sapidité de l’exploration de l’ensemble des registres de l’instrument – que cette exploration soit
    • exclusive (uniquement sur un registre),
    • complémentaire (l’aigu accompagnant le grave, le grave assurant la rythmique sous un aigu en solo, etc.) ou
    • en confrontation (chaque main tentant d’emporter le morceau, aux sens propre et figuré), et
  • vertige de la virtuosité mobilisée en permanence.

Le motif central du premier mouvement, qui était aussi le seul motif du récitatif, apparaît dans un épisode central où la course folle semble s’éteindre avant que la forme CBC ne reprenne ses droits, renvoyant du bois pour préparer le plaquage tonique des deux accords finaux.

  • Rare,
  • palpitant et
  • brillamment envoyé.

Vivement la prochaine notule où Karol Szymanowski sera sur la sellette !


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