“Paris 1850”, Le Palais Royal, Salle Gaveau, 6 février 2024 – 3/3

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Jean-Philippe Sarcos à la salle Gaveau le 6 février 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Dernier épisode de notre séjour à Gaveau du 6 février en compagnie de Jean-Philippe Sarcos dans un long prélude parlé, Orlando Bass pour un Quatrième concerto de Camille Saint-Saëns intense, et l’orchestre du Palais royal qui conclut la soirée en mode symphonique.
Le fil rouge de ces trois derniers quarts d’heure ? Sic transit gloria mundi. En témoigne Émile Paladilhe, premier grand prix de Rome à seize ans dont le chef tresse les lauriers et les titres de fierté… ce qui ne l’empêche pas aujourd’hui d’être méconnu. Astucieux, Jean-Philippe Sarcos, qui dirigera la seconde partie du concert par cœur, en profite pour signaler à ses sponsors qu’il aimerait bien une rallonge pour enregistrer ce compositeur… Ce jour, il a choisi un mouvement des Saintes Maries de la mère intitulé “En pleine mer” où les suppliciés sont envoyés périr de soif – à moins d’un miracle, ça va de soi.

L’extrait programmatique débute sur un crescendo joliment fluctuant. Le savoir-faire de l’orchestrateur est patent. Au jeu des comparaisons, les références oscillent entre un debussysme clair et un wagnérisme tempéré. En dépit de quelques départs un rien flous et de quelques justesses qui ne semble pas toujours très justes, on se laisse prendre par le flow du flot, héhé. Nous voici alors emporté notamment par

  • l’usage du registre grave des clarinettes,
  • le travail sur le leitmotiv partagé entre le premier cor et les cordes graves, et
  • les trouvailles variées d’orchestration (ainsi du joli surgissement de la flûte au dessus des clapotis mimés par la clarinette).

Sic transit gloria mundi, cela vaut aussi pour Georges Bizet. Ainsi de sa Symphonie en ut mineur, composée avant son prix de Rome et restée inouïe avant 1935. Après cette période d’inexistence, l’œuvre a connu un succès fou auprès des programmateurs avant de retomber, de nos jours, dans ce terrible oubli encore pire que l’anonymat, ainsi que le rappelait Jean-Jacques (non, pas Servan-Schreiber) : l’indifférence.
Pourtant, l’Allegro vivo liminaire s’ouvre sur une tonicité sautillante alla Mozart. C’est pour le moins pimpant. Le hautbois tente d’apporter à l’affaire la mélancolie qui lui est consubstantielle, mais une accélération remet les pendules à l’heure. Porté par l’allant des violons et malgré la fragilité qui caractérise parfois les instruments anciens, cor en tête, le chef, habile, essaye d’associer

  • rondeur de la sonorité d’ensemble,
  • piquant de la célérité et
  • efficience des changements d’intensité.

L’Adagio est vraiment lancé par le hautbois. L’orchestre se colore

  • de pizzicati,
  • de tentatives d’emballement et
  • d’un lyrisme qui n’est pas sans charme.

Si la proposition peut parfois paraître stagner,

  • l’exotisme du son vintage,
  • les efforts de synchronisation – certes pas toujours couronnés de succès – et
  • l’engagement patent des musiciens

contribuent à soutenir l’attention jusqu’à ce que, alléluia, un fugato rompe la monotonie. Las, forme ABA oblige, le spleen que colmatait la danse guillerette est de retour. La surprise causée par certaines attaques, disons, glissées, n’y peut rien : manière d’assoupissement guette.

 

Jean-Philippe Sarcos et l’orchestre du Palais royal à la salle Gaveau le 6 février 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Heureusement, un Allegro vivace promet de réinjecter un soupçon de pépêche dans la soirée. En effet, un certain dynamisme balaye la scène, pulsé par une timbale beethovénienne à souhait. Sous la baguette de Jean-Philippe Sarcos, le Palais royal s’astreint à être

  • incisif,
  • mouvant et
  • polyvalent entre
    • travail d’ensemble et
    • conglomérat de pupitres – ainsi du duel entre cordes graves e cordes aiguës lors des rythmes de danses populaires qui font cependant davantage frémir le cocotier qu’ils ne le secouent.

Un second Allegro vivace conclut la symphonie. Les violons amorcent ce qui s’apparente à un presto. Les flûtes s’activent. La phalange s’organise entre forte qui groovent et piani qui laissent respirer la musique. On goûte particulièrement

  • le contraste entre les joyeuses trépidations et les passages lyriques prompts à dégénérer en crescendo suivi d’un break,
  • l’audace de la célérité et
  • les récurrences de motifs…

même si ces itérations antinarratives (au sens où le récit paraît parfois tourner en rond) peuvent freiner l’envie d’être séduit qui frétille en tout mélomane. De cette soirée, oubliant presque la propension à trop parler qui anime de plus en plus de musiciens, nous retiendrons donc

  • le brio intérieur d’Orlando Bass,
  • la curiosité suscitée par la pastille Paladilhe et
  • l’ambition qui anime le Palais royal.

On a connu des bilans moins encourageants au moment d’arbitrer le choix entre aller au concert et rester tanqué chez soi à ne rien faire ou si peu !