Quatuor Lontano et alii, “La montagne magique” (Cascavelle, 3/4)

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Ce troisième épisode exploratoire du nouveau disque du quatuor Lontano & friends commence par un peu de storytelling. Ceux qui ont suivi le premier épisode savent que les Lontano sont presque ontologiquement liés au festival des Musicales d’Assy, dont la huitième édition est prévue du 22 au 30 juillet. Masterclasses, performances visuelles, scènes ouvertes, cartes blanches et formations variables mettront en valeur les quatre zozos, seuls, ensemble ou en quintette (avec piano, second alto et même marimba pour le concert de clôture). S’y est ajouté, pour l’édition 2022, un appel à composition de quatuors à cordes. Un appel d’air, assurément, puisque près de quatre cents partitions se sont retrouvées dans l’escarcelle du jury. Coup de chance ou de génie, c’est Paul Novak qui a emporté le gros lot et a vu son œuvre primée, créée et enregistrée par les Lontano.
Voici comment débarque sur notre gramophone “A string quartet is like a flock of birds” [“Un quatuor à cordes est comme un vol d’oiseaux”] dont les neuf miniatures sont présentées comme “une métaphore puissante et ciselée de l’âme du quatuor à cordes”.

 

 

Mélancolique mais traversé d’éclairs, l’aventure se concentre d’abord entre médiums et suraigus, préférant à l’étalement de la tessiture

  • l’envolée de soudains crescendi,
  • la tonicité de pizzicati rageurs et
  • le sautillement de rebonds transformant le statisme en énergie.

Paul Novak travaille la répétition de motifs

  • par un même instrument,
  • en écho entre différents instruments ou
  • à plusieurs séquences de différence.

Cette construction d’une trame quasi physique aide simultanément l’écoutant

  • à se créer des repères pour s’orienter dans l’architecture du labyrinthe sonore,
  • à s’approprier une partie du fonctionnement d’une écriture qui procède par
    • succession,
    • adjonction,
    • confrontation et
    • dissolution de motifs appelés à ressusciter, et
  • à se repérer dans la dynamique des échanges entre les quatre musiciens, ce qui est encore plus précieux au disque qu’au concert !

Pour autant, l’œuvre, d’une tonalité volontiers grinçante voire çà et là sauvage, n’hésite pas à incorporer d’autres ingrédients que les effets d’itération-disparition. S’y faufile pour enrichir la pâte sonore les effets

  • d’attente,
  • d’émulation collective et
  • de contrastes soudains,

que le compositeur semble veiller à utiliser avec un mélange précieux de maîtrise évidente et d’apparente spontanéité. Exécutants investis, les Lontano travaillent cette matière ambiguë en veillant à la fois à tisser un fil rouge reconnaissable et à respecter l’inclination du compositeur pour une confrontation rythmique qui donne

  • sa tonicité,
  • son élasticité et
  • sa plasticité au quatuor.

 

 

Quand la tessiture atteint brièvement son plenum, avec l’unisson octavié du violon 1 dans les suraigus et du violoncelle dans les graves profonds, le compositeur ne gomme pas pour autant ses idiomatismes, désormais bien intégrés par l’auditeur :

  • caractérisation rythmique,
  • glissendi insistants,
  • relance par le pizzicato,
  • évanescence d’entêtantes harmoniques,
  • tutti exigeant un rude travail de synchronicité,
  • brisure d’envolées qui filent s’égailler ailleurs,
  • utilisation têtue du violoncelle dans le registre médium ou aigu…

S’y ajoutent des oscillations quasi imitatives du projet ornithologique et une sorte de catalogage des manières de faire sonner un quatre-cordes

  • (différence d’attaques coll’arco,
  • battuto,
  • pizzicato, etc.).

Ce travail de variété et de précision sied aux interprètes qui rendent gouleyantes les modifications

  • d’intensité,
  • d’esprit et
  • d’atmosphère.

Ainsi, au long de ce bref quart d’heure de musique, Paul Novak paraît développer une réflexion efficace sur la reprise des motifs afin que celle-ci construise un cadre d’écoute cohérent sans envaser les esgourdes dans une sensation ensuquante de redite. Le retour des crescendi brutaux ouïs au début signalent l’arrivée d’une coda propre à la forme en arche choisie, où pizz et harmoniques se livrent bataille jusqu’au fade out final.

 

 

Avant les Folk Songs de Luciano Berio, le quatuor Lontano glisse la seconde des deux pièces pour quatuor à cordes d’Aaron Copland, dont la première ouvrait le bal. Respiration avant le feu d’artifice final, le Rondino est curieusement précédé par le reste d’une autre piste – petite erreur de montage qui surprend mais rappelle aussi que même les professionnels roués ont leurs failles. Lancé sur les bases d’un dialogue guilleret, la pièce ne cesse de se relancer par force méthodes :

  • intégration de pizz toniques,
  • motif énergisant de violoncelle,
  • ralentendi qui préparent l’impulsion suivante,
  • ressassement cyclique ou contrarié de la séquence matricielle,
  • changement de tempi,
  • circulation du thème aux différents pupitres,
  • fausse fin précédant une coda qui réunit les quatre énergumènes…

En somme, un interlude idéal pour aborder le prochain et ultime sommet de la montagne magique où crapahutent les Lontano et leurs partenaires !


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À suivre !