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En 2018, Thérèse Malengreau – dont nous chroniquâmes çà et le disque Mompou – débarque chez Bis avec un projet à la fois original et ambitieux enregistré dès août 2013 : 1 h 11 de musique signée Hans Erich Apostel (1901-72), dont 55′ enregistrées en première mondiale.
La première partie, Zehn Variationen über ein eigenes Thema, inspirées par les Variationen über ein Thema du peintre Oskar Kokoschka, nous plonge d’emblée dans la problématique du disque, id est la relation entre musique et arts visuels. Plus que de relation, peut-être faudrait-il parler d’entrelacement. En effet, les 10 variations de Hans Erich Apostel, découvertes dans des archives par l’interprète en personne, se fondent sur dix dessins exécutés à la craie noire par Oskar Kokoschka. Or, ces dessins croquent deux spectatrices assistant à un concert. La musique surgit donc du dessin lui-même forgé par la musique.

 

 

L’œuvre constitue l’opus premier du compositeur. Elle s’ouvre sur un énoncé aux accents schubertiens assumés que le jeu perlé de Thérèse Malengreau rend savoureux. La première variation fait souffler la houle derrière l’énoncé têtu du thème.

  • Les nuances,
  • les accents et
  • l’usage des multiples registres de l’instrument

colorent le motif central. La deuxième variation (où “plusieurs transformations de la série dodécaphonique n’intervient qu’à un niveau formel secondaire”, signale la pianiste dont son livret) prolonge la veine des guirlandes de notes en transposant dans l’aigu le registre médium, dominant dans la variation deuxième. Dialoguent savoureusement

  • hésitations et sforzendi,
  • allant et suspension,
  • régularité et décalages.

Sautillements et tonicité sont au programme de la troisième variation.

  • Doigts déliés,
  • toucher variés et
  • sens du swing

font merveille, superbement servis par l’excellente prise de son d’Evi Illiades sous la supervision de Nikolaos Samaltanos dans l’inusable église évangélique Saint-Marcel de Paris.

 

 

La quatrième variation ralentit la chamade. Le thème disloqué est énoncé par la main gauche et commenté par les accords aigus de la main droite que vient bientôt ponctuer une basse. Le résultat est

  • narrativement intrigant,
  • harmoniquement riche et
  • musicalement passionnant
    • (résonances hypnotisantes,
    • contrastes saisissants,
    • ampleur du spectre chromatique…).

La cinquième variation – la plus longue – est violente, grave, mystérieuse. On est saisi par le travail sur

  • les effets de pédale,
  • les attaques,
  • la spécificité des registres et
  • la continuité du discours par-delà
    • ruptures,
    • assèchements et
    • épuisements des mouvements montants et descendants.

 

 

La sixième variation pétille en tout sens dans des teintes pourtant plus inquiètes qu’ensoleillées. Le thème est représenté en pointillés, le compositeur poursuivant son exploration des tensions entre

  • développement et brisures,
  • lisibilité et enrichissement,
  • récurrences et fragmentation.

La septième variation – la plus brève – s’avance d’une mine résolue. Profuse, elle aussi est marquée par

  • des mouvements ascendants et descendants brusquement interrompus,
  • des cahots secouant la prévisibilité du propos, et
  • l’hésitation palpitante entre
    • bonhommie de la virtuosité rythmique versus
    • profondeur captivante de l’harmonie.

La huitième variation, notée allegro con fuoco, n’hésite pas à montrer plusieurs visages, presque sous forme ABA. Elle associe

  • notes répétées,
  • silences intenses,
  • changement d’intensités et
  • utilisation de l’ensemble des registres de l’instrument.

 

 

La neuvième variation revient au thème, fragmenté et chaloupé à en être quasi bluesy, sur un clapotis à main droite. L’interprétation brille par

  • sa délicatesse de toucher,
  • sa poésie évocatrice ainsi que par
  • sa hauteur de vue embrassant avec fermeté et clarté les multiples changements
    • d’atmosphère,
    • de caractère et
    • de rythmes.

La dernière variation, forcément vivace furioso, revient au thème avec une fermeté qui ne renonce cependant pas aux contrastes. Pour déployer sa palette de jeu dont la largeur contribue aux plaisirs intenses et multiples suscités par cette découverte, Thérèse Malengreau joue

  • de la percussivité des marteaux,
  • de la résonance de la pédale et
  • de la perfection technique d’un piano réglé par Kasuto Osato .

De quoi mettre en appétit avant les Kubiniana que nous chroniquerons bientôt…

 

À suivre !


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