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Alexis Cárdenas, Tristan Pfaff, Julie Sevilla-Fraysse, Erminie Blondel, Marie Gautrot et Laurent Arcaro à la salle Gaveau (Paris 8), le 7 février 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Et si, après une heure dix de musique contée ici, et même re-, on finissait le récital au café ? C’est la proposition de Tristan Pfaff qui, à l’occasion de son dernier récital à la salle Gaveau, conclut son programme par le Café music, trio composé en 1987 par le pianiste Paul Schoenfield pour piano, violon et violoncelle. Musique typique des commandes américaines

  • (dynamique,
  • consonance avec des dissonances,
  • lisibilité thématique),

cette œuvre, créée par le compositeur, est son tube, le cylindre étant le maître-mot de la soirée. L’écriture enjouée se partage entre

  • tropismes latino-américains,
  • jazzismes et
  • tsiganismes

bien tempérés voire polis par un savoir-écrire patent. La partition est donc fort plaisante quoique, à notre goût, un brin alourdie par un grand nombre de redites. Le programme ayant omis de préciser que l’œuvre comptait trois mouvements, les gens bien mis qui ont investi dans ces bouts de papier vendus à prix presque d’or font ce que font les gens bien mis à la fin d’un concert : ils offrent un triomphe aux musiciens. Pas de bol pour eux ! Après l’Allegro liminaire, restent deux mouvements à esgourder.
Un Andante moderato à 12/8 repousse la barque vers le large grâce au ploum-ploum et aux contretemps du piano. Bientôt, les trois associés se complètent, et l’on goûte

  • l’engagement vif-argent et néanmoins juste du violon d’Alexis Cárdenas,
  • la chaleur sans concession du violoncelle de Julie Sevilla-Fraysse et
  • la capacité synthétique du piano de Tristan Pfaff, à la fois
    • leader,
    • résonateur reprenant et prolongeant des bribes des propos tenus par ses acolytes,
    • accompagnateur aux harmonies riches mais point tarabiscotées, et
    • dérangeur d’ordre établi.

Nouvelle déception pour les gens bien mis (ha, cette émotion quand l’optimisme s’exprime par des applaudissements !), car c’est pas fini. Reste un ébouriffant presto à deux temps et plus si besoin. Avec un piano électrique, plaquant son accompagnement dans des registres contrastés qui semblent presque s’interpoler, ça repart et rebondit sur les chapeaux de roue.

  • Les pognes de Tristan Pfaff tressautent,
  • ses saucisses courent, et
  • ses collègues s’approprient
    • la pulsation,
    • le rythme et
    • le groove

avant un finale alla rag. À l’arrivée, notre enthousiasme est, osons l’oxymoron, mitigé.

  • Une interprétation incandescente et complice,
  • une apparente simplicité harmonique d’une belle facture et
  • des moments entre pimpants et amusants

ne sauvent pas, à notre aune, la partition d’un sentiment récurrent de ressassement un brin longuet frisant le tirage sur la corde plus qu’à la ligne. Cette fois, l’ensemble du public peut accorder un triomphe à Tristan Pfaff et à sa bande pour l’ensemble de leur travail. Les décibels ainsi récoltés valent bien un double bis.
D’abord l’earwormYoukali”, cette chansonnification par Roger Fernay d’après un conte musical inspiré à Kurt Weill par un roman de Jacques Deval. Ensemble, les trois chanteurs se partagent ce terrible constat : le pays de nos désirs a l’air super mais souffre d’un défaut – il n’existe pas.
Ensuite, histoire de ne pas nous quitter sur une fredonnerie joyeusement déprimante, le MC de la night paye son morceau de bravoure sans lequel il n’est pas de bon récital de piano en dégainant la Mary Poppins Fantasy inspirée à Natalie Tenenbaum et Stephen Hough par la musique de Richard M. et Robert P. Sherman. Comme Arcadi Volodos a truqué la “Marche turque” ou Vittorio Forte s’est amusé avec “CPE” Bach, voici un florilège du produit Disney boosté par un coquetèle d’amphétamine et de speed. Ambiance à l’américaine :

  • on reconnaît des airs,
  • on est ébaubi par la performance technique,
  • on est emballé par la capacité à faire musique d’une avalanche de notes confinant au démoniaque.

C’est

  • circassien mais onirique,
  • pétaradant mais maîtrisé,
  • sciemment épatant mais joué avec le savoir-faire classique qui ne profite pas qu’il s’acoquine avec strass et paillettes pour jeter la substance poétique avec le frac.

Se mêlent

  • l’absurde mais curieusement indispensable devoir de montrer que l’on sait jouer,
  • le plaisir de profiter d’une technique surhumaine pour s’amuser en classicisant du populaire, et
  • la joie de permettre au spectateur
    • d’arrondir les yeux,
    • de se décrocher la mâchoire et
    • de partir avec un smile grand comme aç retrouver la vie, la vraie.

Magistrale conclusion d’un récital

  • dont les artistes nous ont globalement épatés, et souvent puissamment,
  • dont la variété stylistique a permis aux mélomanes, experts autoproclamés ou curieux assumés, de se goberger, et
  • dont la set-list s’est révélée sublimement construite grâce à
    • son astucieux arrangement musicologique,
    • son mélange de formations et
    • sa concaténation de découvertes et de tubes.

Le brio de cette conception ne manque pas d’ajouter à l’aura d’un jeune pianiste qui, lui-même, ne se contente pas de jouer :

  • il pense, l’énergumène,
  • il partage, le bougre,
  • il invente, l’animal.

Ceux qui gravitent autour de La Roche-sur-Yon pourront en profiter début mai, le pianiste articulant trois concerts où certains noms d’artistes ne manqueront pas de ring a bell aux lecteurs de ce compte-rendu. Beaux plaisirs à ces heureux fripons – les billets pour ce cinquième Printemps musical sont désormais en vente ici !