Yves Henry, “Chopin : les années Nohant”, Soupir éditions
Jadis, « Les années Nohant, 1839-1846 » fut un livre-disque. Désormais libéré de sa gangue textuelle, le travail d’Yves Henry, reconstituant six étés de compositions chopiniennes, revient sous forme d’un coffret de quatre disques disponible dès 29 € sur fnac.com et dès 25 € sur la marketplace d’amazon.com, par ex. L’occasion de faire revivre une série de grands enregistrements, réalisés entre 2004 et 2008, à travers le disque, donc, mais aussi à travers des concerts (comme à Villabé fin 2017) et des émissions de radio (comme avec le pénible sucré de service, aka Olivier Bellamy, le 12 janvier 2018, où Yves Henry le pédagogue bienveillant que nous applaudîmes tantôt, insiste, entre deux bêlements du mielleux, sur trois points : les genèses biographiques des œuvres, le rôle des pianos et l’importance de la transcription).
Soyons clairs : ce quadruple disque, porté par un Fazioli de folie et une remarquable prise de son de Joël Perrot, patron de Soupir éditions, soutenue aux trois quarts par la célèbre acoustique de l’église évangélique Saint-Marcel louangée (sans surprise) ici, est formidable pour trois raisons. Un, Yves Henry est un interprète aux moyens techniques hors normes ; deux, c’est un connaisseur superlatif de Chopin en général et de Nohant en particulier ; et trois, il sait transformer sa connaissance et sa jouissance pédagogique en musique. Ainsi admire-t-on le musicien pour… pour quoi, d’abord ?
Pour sa capacité à faire chanter la mélodie même quand pullulent les notes, fussent-elles contradictoires (« Nocturne » n°2 op. 36).
Pour sa conduite cohérente du flux diégétique (« Marche funèbre » de la Sonate n° 2 op. 35 en ABA).
Pour sa facilité à dérouler les pièces avec doigts (« Scherzo » n°4 op. 54), toujours dans la légèreté mais sans rechigner parfois à l’ivresse de la résonance (« Ballade » n°4, op. 52).
Pour sa triple marque de fabrique : clarté du discours (« Prélude » op. 45), autorité face au clavier (« Fantaisie » op. 49), et sensibilité sans affèterie même dans les tubes (« Polonaise » n°6 op. 53, « Valse » n°2 op. 64 pour conclure le coffret).
Sur un répertoire joyeusement rebattu, ici présenté autour d’une problématique géographique, Yves Henry démontre ou, plus chic, fait démonstration de son art interprétatif, qui va bien au-delà de son statut de patron du festival de Nohant. Pour s’assurer que je ne cire pas les pompes d’un produit il est vrai reçu en envoi presse, il faut, certes, entendre la délicatesse du premier « Nocturne » op. 55. Car le musicien peut autant éblouir par ses envolées digitales (brève « Valse » n°1 op. 64 : comment fait-il pour obtenir ce son si discret et pourtant si nourri à gauche et cette délicatesse perlée à droite ?) que happer l’auditeur dans son piano fascinant sans virtuosité extravertie (« Nocturne » n°2 op. 62). Surtout, il faut ouïr le souci de caractérisation narrative dans les œuvres plus longues (sonates 2 et 3, laquelle devient presque intéressante de bout en bout, finale compris, tant Yves Henry met de cœur dans le rendu des nuances et des dynamiques) et la singularisation spécifique à chaque pièce livrée en trilogies (mazurkas et études).
Dès lors, devant un tel coffret réédité à petit prix, on ne peut guère critiquer le soin médiocre apporté au détail du package, comme souvent pas vraiment au niveau du contenu. On regrette par exemple un dos perfectible (débord de la première de couv sur cette partie), la relecture imprécise (par ex. : guillemets de fermeture ouvrant la ligne 8 de la p. 2 ; ou itals, tirets et caps aléatoires p. 9), de nombreuses fautes d’orthographe (comme « Festival qu’y si déroule chaque été », p. 3 ou « bien sur » p. 10), des enchaînements souillés dans le livret (pp. 8-9), et un texte d’Irena Poniatowska qui, après un début instructif, dérape vers la distribution de bons points « géniaux » à l’intention d’un compositeur qui n’a pas besoin de ces flonflons lourdauds pour convaincre de son intérêt. Cependant, ces méchants détails restent, précisément, des détails, prouvant ainsi que leur nom leur tombe plutôt bien aux entournures. En effet, les parts les plus importantes, id sunt la prestation artistique et la réalisation sonore, sont, elles, autant que nous les puissions jauger, à la hauteur d’un interprète exceptionnel au service d’une œuvre forte dissolvant dans l’exigence de son talent les caricatures stéréotypées et les histoires de fesses auxquelles renvoie souvent le concept réducteur de George Sand. Bluffant et chaudement recommandable.