Pierre Réach joue Charles-Valentin Alkan (Anima) – 3/3

Quatrième du disque

 

La sonatine opus 61 de Charles-Valentin Alkan est une œuvre en quatre mouvements pesant in fine une vingtaine de minutes. L’allegro vivace liminaire, en 6/8 et en la mineur, s’ouvre à fond de train et avec légèreté jusqu’à ce qu’un ritendo prépare une violente accélération du débit. Il semble que l’on entende en direct le bouillonnement d’une créativité incapable de tenir sa ligne droite. Les volte-faces se multiplient. Une large reprise remet l’interprète devant les défis techniques qu’il vient de relever. Compositeur et instrumentiste s’accordent sur la nécessité de faire vibrer

  • la musique derrière la performance,
  • la mélodie derrière l’agilité,
  • l’énergie derrière le vertige digital.

 

 

Travail sur

  • les nuances,
  • les accents et touchers,
  • les respirations,
  • la complémentarité entre régularité métronomique et agogique astucieuse

transforment ce challenge pianistique en jubilation d’écoute entre swing con fuoco « sempre più furioso » ou « con impeto ». Le deuxième mouvement, à quatre temps et en Fa, s’annonce « allegramente ». Jamais avare d’une indication, Charles-Valentin Alkan prévient l’exécutant qu’il attend à ce que le jeu soit « sostenuto » et « con placidità ».

  • Le spectre d’intensités,
  • la maîtrise des attaques,
  • l’attention au texte

rendent sapide ce qui aurait pu n’être que mignon.

 

 

Il y a

  • des piani somptueux,
  • des respirations haletantes,
  • des staccati à tomber

qui assurent

  • le groove,
  • la pulsation et
  • l’allant

d’une partition

  • aux modulations délicieuses,
  • à l’apparente simplicité délicate, et
  • à l’habile développement d’un motif

qui contraste avec le premier mouvement, où le compositeur portait à ébullition la pulsion créative en traitant une idée sous des angles tous plus impétueux les uns que les autres.

 

 

Le troisième acte est un scherzo-minuetto (leggiermente) en ré mineur. Les doigts en feu de la main droite déclinent manière d’exercice de Czerny où la rythmique de la main gauche contribue avec finesse aux évolutions harmoniques du propos. Le trio contraste largement avec cette fougue grâce à ses accords posés et ses indications sans ambiguïté, entre « sostenutissimo » et « dolcissimo ».
La suspension se dissout dans un trille et des arpèges qui conduisent à la reprise du premier motif, cette fois partagé avec la main gauche. Une étrange coda majeure puis abandonnée en mineur et fortissimo conclut cet agitato dont Pierre Réach fait plus qu’un exercice de virtuosité grâce à son arsenal imparable :

  • nuances,
  • pulsation et
  • clarté narrative.

 

 

Le début du finale joue sur l’ambiguïté qui concluait le troisième mouvement : après deux mesures en Fa, nous voici en la mineur ; l’instant d’après, nous nous glissons en ré mineur, mais la tonalité se révèle vite glissante et d’autres collègues arrivent pour s’y substituer. L’affaire est d’autant plus étrange que le texte n’est pas jouable tel qu’il est écrit, certaines touches devant être jouées en même temps par les deux mains. Pierre Réach excelle à faire sonner ce joyeux maelström où se mêlent, entre autres,

  • la pétillance d’un rythme pointé,
  • le grondement de traits octaviés dans le registre grave, et
  • le potentiel presque jazzy d’une walking bass trépidante.

Cela donne manière de rhapsodie imprévisible donc passionnante où un cantabile

  • associe binaire et ternaire,
  • s’interrompt,
  • se laisse grignoter quelques mesures par le grondement octavié,
  • module avec gourmandise,
  • semble se dissiper pour mieux revenir et à nouveau gonfler ses voiles au vent de la virtuosité

jusqu’à aboutir à une coda à la fois

  • éclatante d’octaves,
  • truffée de ressouvenances du parcours effectué, et
  • vibrante d’un désir d’explosion qu’une dernière cavalcade nourrit plus qu’elle ne le satisfait.

Une manière spectaculaire de conclure un disque brillant mais surtout fascinant de bout en bout !


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