
Comme les vignerons, les compositeurs ont mis du temps à se rendre compte de l’importance de l’étiquette, incluant
- le storytelling,
- le design,
- le branding et
- le naming.
Ainsi Franz Schubert n’a-t-il jamais namé sa fantaisie pourtant désormais désignée sous le nom de « Fantaisie Wanderer », la fantaisie du voyageur. Qu’il se rassure, ses éditeurs posthumes s’en sont chargés pour lui. C’est par cette œuvre qu’Irakly Avaliani choisit de finir son récital Schubert. Dès son intitulé (authentique, lui), le premier mouvement porte trace de la tension consubstantielle à une grande partie de la musique de Franz Schubert. Il est noté « allegro con fuoco ma non troppo ». Avec feu mais pas trop ? Oui, voilà, débrouille-toi avec ça et joue ! Irakly Avaliani traduit l’indication bizarre par :
- énergique mais nuancé ;
- allant mais avec des respirations ;
- percussif voire explosif mais fluide dans les traits.
La variété des couleurs s’exprime par l’emploi d’un large éventail
- de touchers,
- de phrasés et
- d’intensités
dont bénéficient tant les passages enlevés que les sections plus retenues.
- Contrastes,
- agilité digitale et manuelle (ces séries d’octaves !),
- sens de l’accent et du rebond
saisissent. Le long interlude vers l’adagio – en do dièse mineur et deux temps – est conçu comme un fondu-enchaîné et doté d’une belle graduation. Après un début solennel comme une marche funèbre, le mouvement s’éclaire grâce au babillage opposé de l’alto et du ténor puis s’enténèbre sous l’effet du trille lent des ultra graves qui enflamme le discours à haute voix ou à demi-mot. La réexposition du thème en octaves sur sextolets de doubles, d’une redoutable et pourtant discrète complexité partagée entre les deux mimines, est une leçon d’accompagnement donc de maîtrise du clavier. Le développement avec les quadruples croches de la main droite frottant contre les triples de la gauche
- aère,
- secoue et
- envole
le thème.
Commandée par un virtuose, la pièce s’enflamme à coups de quadruples croches et d’intervalles en mouvements contraires.
- Tremblants,
- modulations,
- grondements de la main gauche
préparent l’arrivée d’un presto ternaire en La bémol.
- Fougue,
- staccati,
- tonicité des accords et
- fluidité des accords arpégés
coupent le souffle.
- Le spectre des nuances utilisé par Irakly Avaliani,
- la précision des silences,
- l’association entre métronomie exigeante et enivrante agogique
entraînent le spectateur dans un swing moins spectaculaire que fascinant. La modulation en la mineur déchaîne de grandes séries d’arpèges puis d’accords qui préparent le retour de l’Ut pour l’allegro final. C’est peu dire que la réputation de mouvement « diabolique », orchestrée par le compositeur lui-même, n’effraye pas le pianiste.
- La bataille d’octaves qui lance la péroraison,
- le concours de doubles croches,
- la nécessité d’être à la fois
- funk,
- tendu et
- musical
sont autant de défis relevés ici avec une mâle assurance. La virtuosité sait être
- élégante,
- tonitruante,
- subtile ou
- rugissante
jusqu’à une coda où l’écriture préfère le brio au finaud. L’effet wow – non négligeable – n’est qu’un élément dans le saisissement de l’auditeur, surtout s’il a écouté le disque de bout en bout. Il retrouve dans ce moment éclatant la même musicalité qui habitait des pièces moins extraverties, la même attention
- au texte,
- à la construction d’ensemble,
- à la variation des approches,
si importante chez un musicien où le ressassement
- d’un motif,
- d’un rythme,
- d’une scansion ou
- de toute une section
fait style. Ici se dessine la patte Avaliani,
- moins exubérante que d’autres,
- moins spectaculaire qu’elle ne pourrait mais
- pleinement pénétrée de la nécessité de transformer en musique
- les notes à jouer,
- la technique à posséder (dans un morceau « diabolique », ça s’impose), et
- le génie d’un compositeur.
Le résultat est remarquable ET délectable. Évidemment, l’un sans l’autre eût été moins enthousiasmant. Or, si s’achèvent ici les notules sur le Schubert avalinien, nous n’avons pas fini d’explorer la discographie de l’artiste. Partant, si Dieu nous prête vie, condition sine qua non, et vie de bonne qualité de surcroît, l’affaire reste, tôt ou tard, à suivre !
Pour écouter tout l’album dans un ordre singulier, c’est ici.
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