
C’est l’histoire, tirée d’un roman dialogué,
- d’un loser,
- d’un bouffon et/ou
- d’un pique-assiette.
D’un côté, le Philosophe qui a réussi, ce qui est peut-être un échec pour un philosophe ; de l’autre, le neveu de Rameau, qui a tout foiré ce qui n’est pas une réussite. Le premier (joué par le metteur en scène Vincent Auvet) décide de payer à boire puis à manger au second (Jean-Pierre Colombiès)
- un peu pour être bousculé,
- peut-être pour jauger sa propre capacité de répartie (plutôt nulle, en réalité),
- mais surtout pour s’en payer une bonne tranche.
En effet, le loser est cocasse. Il revendique d’être
- un escroc,
- un fake,
- un adepte du vice.
Sur ses échecs successifs, il a bâti son personnage.
- Musicien étouffé par l’ombre de son oncle, il a donné des cours de clavecin voire de composition sans connaître un traître mot de ce qu’il enseignait.
- Écrivain impuissant, il a développé son verbe parfois fleuri pour se vanter de ses mauvaises fortunes.
- Mari largué, il regrette sa femme pour sa croupe, partie des personnes du beau sexe qu’il préfère, et pour ce qu’elle pouvait lui apporter dans la bonne société grâce à ses appâts avantageux.
Las, ses rodomontades n’en peuvent mais : même dans son travail de parasite, il échoue. Viré pour excès d’insolence, il n’arrive pas à rentrer dans le rôle du soumis repentant et se retrouve à devoir aller à l’opéra. Pas pour entendre une œuvre d’Antoine Dauvergne mais pour aller mendier à la sortie, son orgue de Barbarie en bandoulière.
Si, avec seulement deux comédiens sur scène, la pièce entre dans la catégorie des pièces « pas chères », elle fait néanmoins l’effort de taper dans le costume et les accessoires presque d’époque. Surtout, ce soir de première, elle est portée par un Jean-Pierre Colombiès en feu. L’acteur a deux voix à son répertoire, avec un large éventail d’expressivité pour chacune d’elles. Fort de cet atout, il construit un personnage
- ambigu,
- retors,
- insaisissable et
- finalement sympathique comme peuvent l’être les filous de théâtre.
Le résultat ?
- Ça parle juste,
- ça joue précis,
- ça ne faseye pas.
Il y a
- de l’électricité alla Cyrano Depardieu dans ses emportements,
- de la détresse à peine masquée dans le récit des plus grands exploits,
- du doute permanent dans l’assurance qu’il étale comme une mairesse de grosse ville ou de gros arrondissement étale ses notes
- de taxi,
- de pressing ou
- de sa(lo)pe Dior.
Face à lui, Vincent Auvet rend avec habileté l’ambiguïté de son propre personnage, à la fois
- meneur de jeu et dupe,
- mécène s’offrant une représentation privée et imbécile rossé verbalement par son protégé,
- donneur de leçon et petit garçon souventes fois sermonné.
L’adaptation dramatique revigore un texte
- drôle et joyeusement dérangeant,
- captivant et heureusement acide,
- prenant et progressivement malaisant
tant, le temps avançant, on sait de moins en moins si l’on doit
- s’indigner des propos du mauvais garçon,
- sourire de ses provocations ou
- plaindre un type un peu perdu pour la société, pour lui-même et pour le « petit sauvage » qu’il a engendré.
Le moment est
- remarquable,
- passionnant,
- joliment enlevé
et, ce, dès la première, donnée dans un lieu encore confidentiel du centre de Paris. Que sera-ce, sans doute, lors des reprises dont certaines sont presque annoncées, notamment au théâtre Darius-Milhaud lors des dates gardées secrètes hic et nunc. Ne laissons pas Diderot ou Rameau aux profs et aux musicologues : profitons de cette adaptation savoureuse pour jouir d’un théââââtre
- accessible (c’est une qualité),
- divertissant et
- stimulant !
