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C’est ma prière

Le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19), pendant le tour de chant « Tout est un possible ». Photo : Rozenn Douerin.

C’était

  • la petite dernière pour la route,
  • la complainte qui permet de se quitter tranquillement,
  • la supplique qui, dès le titre, revendique une ambition certaine dans ce monde où chacun est censé aspiré à être un winner et/ou un prilivégié.

Afin que les choses soient claires, j’ai donc écrit une « Prière pour ne pas être roi ». Je sais, c’est assez prétentieux d’afficher une telle appétence mais, comme le chante Barthélémy Saurel, j’aime bien mettre la barre très haut pour être sûr de passer dessous. Ce qui, tout compte fait, a donné ceci.

 

Jann Halexander, « Mes plus belles chansons (2003-2021) » – 2/2

Première de la pochette

 

Dans la première partie de cet autoportrait en forme de puzzle florilège, Jann Halexander a posé au centre de sa poétique trois piliers :

  • la friabilité de l’identité,
  • l’insaisissabilité de l’amour, et
  • la fragilité de l’existence que la mort se contente de parachever.

Son disque lui-même est un triple pied-de-nez

  • à l’évidence fallacieuse,
  • à la fatalité des conventions, et
  • à la solidité des certitudes :

c’est

  • un disque mais un objet uniquement digital,
  • un best of où manquent de nombreux tubes, et
  • un portrait volontairement
    • diffracté,
    • irisé,
    • atomisé,

où l’inscription de lignes de force nettes permet toute sorte de

  • digressions,
  • fausses pistes et
  • chausses-trappes

faisant, selon la célèbre expression d’Antoine Pol gravée dans le marbre par Georges Brassens, « paraître court le chemin ». Dans cette seconde partie, apparaît clairement le label « enjeu » dès « Ô Bel Anjou » (faut pas nous chercher sur la parophonie non plus, hein) puisque l’artiste refuse d’être essentialisé :

  • bisexuel, oui,mais pas LGBTQIA+ ferré aux revendications des extrémistes des communautés en jeu ;
  • franco-gabonais mais incapable de jouer la carte du malheureux métis dans un monde colonialiste et non déconstruit ;
  • chanteur de machins avec du texte dedans mais pas « indépendant » victime de la machinerie mainstream.

La question de l’inscription de l’identité dans un espace angevin rythme la compil’ entre

  • « Pont Verdun,
  • « Ô bel Anjou » et
  • « Un dimanche au Vieil-Baugé » qui se silhouette, et hop.

Le narrateur est à la fois ébaubi de ce qui est « véritablement beau » dans la contrée tout en admettant, façon Oldelaf contemplant « Nan, si », que la douceur angevine est composée au premier chef d’ennui. Armé de son seul piano, le chanteur se positionne comme « chez nous » dans l’Anjou tout en admettant que, là-bas, « tous les habitants se ressemblent à s’y méprendre ». Sous-entendu : sauf lui. Critique ? Non, ironie.

  • Distance.
  • Friction.
  • Fructueux malaise.

Même là où l’artiste se sent si peu à sa place, il « reste » et « crouille la porte » du réel pour le punir de sa froideur mesquine en attendant « que le faucheuse m’emporte ». Ni schizophrénie, ni ambivalence : Jann Halexander remercie sincèrement ce qui le renvoie à ses contradictions.

  • Paysage,
  • sociabilité,
  • généalogie,

il se sent d’ici donc d’ailleurs, et réciproquement. « Moi qui rêve » enquille. Musique dramatique. Texte lourdaud d’Agnès Renault

  • (épithètes pataudes,
  • assonances attendues,
  • blabla égotique sans dynamique ni poésie)

musiqué par l’artiste.

  • Intro emphatique.
  • Mystère pesant que dissipe l’arrivée du piano.
  • Harmonisation sachant rendre son écot à Anne Sylvestre en dépit de la tentation – habilement contournée – Aznavour autour du « Emmenez-moi ».

Les arrangements ajoutant un accordéon musette, notre ennemi juré, nous nous contenterons d’apprécier le travail instrumental qui agrémente la coda – double, comme il sied chez Jann Halexander. Lequel revendique fortement de s’ancrer au Vieil-Baugé où il possède une maison de famille – et cultive sa treille – pour se poser et reprendre souffle. « Un dimanche au Vieil-Baugé », presque trenetique, évoque plus qu’elle ne décrit

  • un paysage,
  • un moment,
  • un endroit.

Pour autant, tout ramène le chanteur à l’amour :

  • un clocher penché « sur son étrange église »,
  • une toile d’araignée,
  • une habitude

peuvent lui paraître métonymie ou métaphore de cette pulsion érotique sans laquelle pas de vie en général et pas de chanson en particulier. Chanson de fin de spectacle comme pouvait l’être chez Anne Sylvestre la « Fausse sortie », « Mesdames et messieurs, je vous aime » élargit l’acception de l’amour à la reconnaissance. Ancré dans son piano, Jann Halexander revendique

  • l’impudeur de l’artiste,
  • l’espoir de transporter l’autre pour se supporter, soi,
  • la nécessité de parler un amour qui devient performatif (j’aime donc je le dis, je le dis donc j’aime).

La coda aux allures de ghost title paraît symboliser ce moment où le chanteur s’apprête

  • à quitter la scène,
  • à redevenir un homme et
  • à retourner aux tourments donc aux délices dont il vient de faire étalage.

Ce moment est multiple. Il est

  • fragile car il met à nu le « fil de la vie » chanté par Anne Sylvestre, le fil même que l’artiste essaye d’enrouler – sans l’emmêler – autour du continuum scène-ville ;
  • vertigineux car s’y joue la question du théâtre de la vie (l’existence n’est-elle que songe ou comédie ?) et de la vie du théâtre (que se passe-t-il vraiment pour l’artiste quand il « se donne en spectacle » ?) ; voire
  • aveuglant car l’artiste enluminé s’apprête à céder la place à l’homme dans le noir scène.

Pour l’embrasser ou l’affronter, mieux vaut s’appuyer sur des valeurs sûres et dangereuses.

  • L’identité, par exemple, comme ces racines gabonaises évoquées par l’introduction de « Rester par habitude » que l’on suppose en myéné ;
  • l’ouverture aux autres qu’illustrent les arrangements de Sébastyén Defiolle, le piano s’étoffant
    • de percussions,
    • de sons de basse et
    • d’une guitare hispanisante ; ainsi que
  • l’habitude,
    • redoutée et structurante,
    • rassurante et fossilisante,
    • facilitatrice de vie et éteignoir d’espoirs avortés.

Nul ne s’étonnera si ce parcours de vie artistique curieusement cohérent pour des miscellanées s’achève sur deux mots : « Mon amour. » En effet, l’œuvre de Jann Halexander

  • présente,
  • raconte et
  • façonne

l’amour comme

  • un pansement de l’âme,
  • un booster d’énergie, et comme
  • la plus terrassante limite de l’homme.

Dans ses chansons, tout se passe comme si l’artiste s’efforçait de regarder, selon les mots de Nelly Sachs (Exode et métamorphose…, trad. Mireille Gansel, Gallimard, « Poésie », 2023, p. 275), « derrière la paupière », « sur la pierre lunaire du temps », là où, énigmatique,

le cri du coq
ouvre la plaie
sur la tête du prophète.

 


Pour écouter ou acheter le disque virtuel, c’est ici.

Aimer bien : projet sélectif

Saluts à la fin de « Tout est un possible ». Claudio Zaretti, Jann Halexander, Pierre-Marie Bonafos et son bonnet, Sébastyén « le clown » Defiolle et son chapeau, Bertrand Ferrier au théâtre du Gouvernail(Paris 19) le 19 mai 2025. Photo : Rozenn Douerin.

Parfois, on met en ligne des extraits de concert en pensant : « Bon, ça s’est bien passé. » Parfois, on met en ligne des extraits de concert en pensant : « J’aurais pu être meilleur, mais quelque chose se passait, tant pis pour les bafouillages et les problèmes de son. » Dans les deux cas, on partage

  • des souvenirs,
  • des instantanés,
  • des histoires,

et on assume de reporter la perfection à une autre fois. Voici donc l’histoire partagée à la fin de la set-list principale de Tout est un possible, tour de chant donné au théâtre du Gouvernail le 19 mai 2025.

 

Écouter le monde qui respire

Photo : Kuhuru Company

Il est des souvenirs tristes qui charrient avec eux des souvenirs heureux – et réciproquement. Ceux dont parle, ceux que l’on tait. Ceux que l’on évoque, ceux que l’on refoule. Au milieu coulent des chansons, dont celle-ci, fredonnée le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19), lors de la première de Tout est un possible.

 

Charme de l’ancien

Pierre-Marie Bonafos le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Photo : Rozenn Douerin.

Au cours du spectacle Tout est un possible, fomenté le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail, la chanson elle-même était sur la sellette. Pourquoi. Comment. Pour qui. Il n’y avait pas de réponses. Juste des manières différentes d’aborder les questions qui montaient. Et quelques featurings pour nourrir la méditation.
Parmi ceux-ci, Pierre-Marie Bonafos est venu poser quelques notes sur une nouvelle chanson intitulée « La vieille chanson ». Ça n’est pas resté longtemps un paradoxe : une fois chantée, la tune était en effet devenue une vieille chanson en regard de celles qui commençaient déjà à pointer le bout de leurs fredonneries. Voici donc la première apparition publique d’une chanson âgée, ancestrale, vintage dès son inauguration !

 

Nouveauté de l’habitude

Jann Halexander en juillet 2018. Photo : Bertrand Ferrier.

 

J’ai toujours détesté les featurings. Notamment

  • ceux, obligatoires, chez les grandes stars, pour promouvoir un autre poulain produit par le même fumeur de cigare ; et notamment aussi
  • ceux, obligatoires, chez les petits chanteurs, pour qu’il y ait au moins une personne dans l’assistance, ou, top of the top, une personne qui attire une autre personne, même si tu dois l’inviter pour qu’elle économise dix putain d’euros.

En revanche, comme l’expliquait Dio, j’ai toujours aimé quand la musique solo se jouait à plusieurs, que ça devenait « you against the world ». J’aime me produire – au sens pécuniaire du terme – avec des acolytes choisis (j’avais écrit « des membres choisis », par la grâce de Dieu je me suis relu), qui acceptent de venir pour pas cher parce qu’ils savent que pas de budget, mais qui viennent parce que, ensemble, on raconte une histoire qui est à la fois un non-sens économique, ce qui est un oui-sens dans un monde ultralibéral, et un oui-projet artistique. Travailler avec Jann Halexander comme avec tous les zozos, quel que soit

  • leur sexe,
  • leur couleur de chemisette ou
  • leur diplôme en licornisme,

qui, euphémisme, acceptent malgré leur talent et l’estime que je leur porte, de rogner sur leur valeur numéraire officielle pour embarquer dans une galère joyeuse, ressortit pleinement de ma phobie de l’hypocrisie de l’exercice. Avec Jann, je suis tranquille, je suis peinard, j’suis même accoudé au comptoir. Jann ne m’a jamais engagé comme pianiste parce que ses spectateurs seraient venus pour me voir (il est plus malin que moi mais pas assez con pour ça, vous êtes foufous) ; et je ne l’ai jamais invité parce que, à l’abri des Grands Médias, le zozo trace sa route dans le monde de la chanson cabaret

  • en remplissant des salles,
  • en tentant des trucs différents,
  • en refusant de cliver ses projets artistiques-et-pas-que si différents les uns des autres

parce que nous sommes multiples, bordel, nous-sommes-mul-tiples ! De sorte que, pour la première de mon nouveau tour de chant, fomenté fin mai au théâtre du Gouvernail, j’avais envie d’inventer un duo avec lui qui soit un vrai duo. Ç’a donné ce remix de « C’était mieux avant » ; et comme Jann sait que je n’aime pas que mes invités scéniques fassent mon truc et s’exilent en coulisse (j’suis prétentieux mais pas assez pour ça), il a accepté de fredonner un de ses tubes enseguida. Bien sûr,

  • c’est capté avec les moyens du bord, qui portent bien leur substantif ;
  • c’est donné en one-shot sans résidence subventionnée par les milieux motorisés ;
  • mais c’est de la chanson en direct, pour et avec les gens.

Ce sera sans doute plus perfectionniste à l’Olympia. Qui sait ?

 

Réinventer l’âge de faire

Le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Photo : Rozenn Douerin.

 

L’avantage – ou l’inconvénient – de prendre de l’âge pour ne pas mourir tout de suite est de se poser des questions en grande partie inaccessibles à la jeunesse. Par exemple ?

  • Grandit-on jamais ou se contente-t-on de vieillir ?
  • Faut-il renoncer à devenir pour se résoudre à être ?
  • Quand cesse-t-on de se confronter à ce que l’on pourrait être pour se contenter de regretter ce que l’on aurait pu être ?

Voilà quelques-unes des pistes explorées à l’occasion du tour de chant Tout est un possible, fomenté le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail. Et l’une des réponses, concoctée avec l’aide de Claudio « Il Professore » Zaretti, était, ce jour-là, celle qui frétille ci-dessous.

 

Si peu demeure

Le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19), pour le tour de chant « Tout est un possible ». Photo : Rozenn Douerin.

 

Depuis que j’ai admis que je ne serai pas Georges Brassens, l’espace des possibles chansonniques s’est ouvert. Pop ? Check. Chanson longue d’atmosphère ? Et pourquoi pas ? Assisté par le groove inventif de Sébastyén Defiolle, j’ai profité du tour de chant Tout est un possible pour propulser « Ou si peu ». Une histoire

  • d’odeurs,
  • de visages,
  • de paysages,
  • d’atmosphères avec ou sans gueule.

Et ça donne ceci.

 

La chanson des quatre bémols

Le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19), pour le tour de chant « Tout est un possible ». Photo : Rozenn Douerin.

 

Il y a un moment déjà que, à mon corps défendant, j’ai renoncé à être Georges Brassens. Avant, j’aimais produire des chansons dont j’estimais, avec cette modestie qui anime parfois les chanteurs,

  • la mécanique huilée,
  • le développement sémillant,
  • la progression diégétique convaincante et
  • la chute royale, même quand ça ne parlait pas de cul (c’est arrivé).

Depuis, sans être toujours moins prétentieux, mais

  • en « sortant de ma zone de confort »,
  • en « exportant le logiciel hors silo »,
  • en « redessinant un cap pour faire projet ensemble »,

ce genre de conneries, j’essaye d’explorer d’autres aspects de la chanson à texte et à musique. Dans mon univers plus policé qu’éthylique d’ex-chanteur de bar, j’envoie infuser

  • de la pop,
  • de la musique,
  • de l’interstice.

Alors, pour l’ouverture du tour de chant que j’ai créé en mai au Gouvernail, contre moi-même donc avec, j’ai choisi une chanson presque exclusivement pop, avec

  • texte pas compliqué et pas long,
  • riffs voulant accrocher les portugaises, et
  • coda instrumentale

parce que j’aime bien ce type de chansons aussi. Et ça a donné ça.

 

Aujourd’hui, c’est Ferrier (mais pas que)

Photo : Rozenn Douerin

 

Pour la visite du jour, votre serviteur (jusqu’à un certain point) Bertrand Ferrier propose une chanson tekielskiste. Une chanson extraite d’un disque que, selon l’artiste, les gens lui balançaient à la gueule à l’issue de ses rares concerts de l’époque en lui disant que c’était de la merde. Une chanson forte, tonifiante, résonante. Allons enfants de là, pas tristes, allons-y sur nos fols espoirs

  • de sourires,
  • de bouquets et
  • de pèrenoëls en tout genre.