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Alex Lutz, « Sexe, grog et rocking-chair », Cirque d’hiver, 18 avril 2025 – 2/2

Alex Lutz au Cirque d’hiver (Paris 12), le 18 avril 2025. Photo : Rozenn Douerin.

 

Quand Axel Lutz parvient enfin à entrer sur scène, après les contretemps évoqués dans le premier épisode de ce diptyque, il file directement enterrer son père dans « la maison du Seigneur ». Rien de bien follichon dans cette parodie d’éloge funéraire à la sauce disco, chargée de rendre un saint hommage à l’ex-soixante-huitard devenu « un assureur réputé ». Toutefois, l’on sourit à l’évocation de Jérémie Hendrix et Thierry Chapman, ses musiciens préférés ; et l’on frissonne en entendant le très vilain « Anima Christi » de Marco Frisina, tube des églises catho ayant réussi la performance d’être aussi horripilant et mal écrit (la prosodie ! Seigneur Dieu tout-puissant ! mais c’est grave !) que les scies affligeantes produites à la chaîne par les sectes charismatiques. De la fosse monte alors le bric-à-brac autour duquel tourneront le spectacle et le comédien. Le défi : démêler les fils (haha) du défunt, victime

  • d’une dépression,
  • du syndrome de Diogène,
  • de névrose obsessionnelle compulsive et, ceci entraînant peut-être cela autant qu’y puisant des forces renouvelées,
  • d’alcoolisme.

D’où la question posée par le sketch qui suit : est-il plus dangereux de boire trop d’alcool ou de ne pas consommer assez de fruits et légumes ? Peu à peu, l’intérêt principal du spectacle apparaît être la manière dont Alex Lutz mêle le sujet et la forme du spectacle. Ce n’est évidemment ni un hasard, ni une simple aide rassurante, si le comédien revendique d’avoir disposé sa liste de sketchs au fond d’un carton avec lequel il feint de vouloir ranger le fatras laissé par le mort. La métaphore d’un spectacle se nourrissant des souvenirs laissés par le père claque. Le désir de procéder à un « nettoyage de printemps sous cocaïne », tant par le rangement des affaires que par la construction du show, ne se dissimule pas puisque, si la mort dérange le comédien qui range, elle l’arrange aussi en l’inspirant. Il s’agit de décharger une dernière fois le fusil du chasseur qu’était le papa, quitte à monter, pour l’atteindre, sur « un escargot » au lieu d’un escabeau, lapsus qui en dit long sur la double volonté de s’élever et de prendre son temps.
Après un interlude équestre, Alex Lutz élargit la focale. La mort de son géniteur l’incite à réfléchir sur la mort en général. Il y a urgence car « parfois, on meurt comme ça, pouf, c’est hyper anxiogène ». Regarder en arrière interroge aussi. Ainsi, « dans les années 1950, tout le monde ressemblait à Léon Zitrone et, pourtant, on progresse – alors imaginez au quinzième siècle ! » À l’instar de cette boutade, l’humour ne cherche pas à dissimuler

  • la gravité du sujet,
  • le malaise qu’il suscite et
  • sa part structurelle d’inintelligibilité qui tient dans une phrase de Freud : « Nous nous savons mortels mais nous nous croyons immortels. »

C’est de cette contradiction humaine que parle ici le rire, réaction physique à

  • la tension,
  • l’incompréhension et à
  • l’irréductibilité de nos comportements à la rationalité.

D’où des foucades lutziennes pour alléger l’atmosphère, comme lorsque l’amuseur essaye de chanter l’hymne des gens qui « étaient à moitié pieds nus », cette maison bleue immortalisée par Maxime Le Forestier – tentative vaine autour de la quena, résumée dans une punchline que Jérôme Commandeur n’aurait pas reniée :

 

S’il avait mis « Corinne et Stéphane, attendez-moi », c’était plus simple que « Psylvia, attendez-moi ». Enfin, on saura jamais.

 

Ce que l’on sait, en revanche, c’est le temps qui passe – pour en prendre conscience, il suffit de constater que « les enfants d’après-guerre naissaient en noir et blanc ». L’aboutissement du processus n’est autre que la mort, jadis non dissimulée. « Avant, on pouvait profiter d’un cadavre de tante pendant dix jours, rappelle l’humoriste. Mais est-ce que c’est pas plus difficile de vivre quinze jours avec des amis ? » Entre deux interludes guitaristiques signés Vincent Blanchard, Alex Lutz se souvient de la vie de son père, qui « avait été un peu marxiste en jouant de la guitare » avant que les enfants ne marquent « le début des emmerdes ». Divorce en poche, le papa accumule les conquêtes à la typologie variée :

  • la sportive,
  • la nudiste,
  • la rigoriste…

 

Au Cirque d’hiver, le 18 avril 2025. Photo : Bertrand Ferrier.

 

La plus marquante de ces compagnes fut Isabelle car « c’était Raiponce avec un chignon mou » dans lequel elle plantait les stylos lui permettant de poursuivre « sa vingt-huitième année de thèse ». Admettons qu’Isabelle fut aussi marquante car, après trois bouteilles de Porto, elle pouvait – performance remarquable – se transformer en croix gammée. Au fil de ses souvenirs et de son florilège diachronique, l’acteur dépeint une époque en évoquant notamment

  • les psy (« nos parents étaient un peu juniors en psychanalyse »),
  • le sida,
  • l’engagement politique (« on allait aux manifs mais on revenait en cours d’éco à 14 h ») et
  • le rapport intergénérationnel (« aujourd’hui, les gosses en veulent à leurs parents les flippés et à leurs grands-parents les nudistes »)

avant de se lancer – chic – dans un sketch où, avec l’excellence d’acteur dont il est coutumier (ne le cachons pas : c’est dans sa performance de comédien, donc dans ses sketchs, qu’Alex Lutz nous envole – en un mot – le plus), il incarne une femme drôle d’être aussi agaçante. Elle

  • découvre que la mort peut frapper à tout moment (« on n’aurait pas dit, et puis paf comme ça »),
  • se demande plus ou moins si toutes les « gouines » ont des mygales sous les bras « parce que c’est la nature »,
  • s’emporte contre #metoo parce que les femmes n’ont pas à se laisser inviter par un producteur pour une lecture de scénario à 1 h 40 à l’Ibis, et
  • s’enflamme contre le wokisme pâtissier de son invitée :

 

J’ai pris des têtes de nègre, je peux pas les appeler des boules coco, vu qu’ça n’a rien à voir, ni des cornes de bicot, vu qu’ça n’existe pas !

 

Les vieux inspirent aussi l’auteur comédien, surtout ceux qui, avec une mauvaise foi très saine, « ont des amis de leur âge, donc des vieux, ils le savent, mais eux ne sont pas vieux », au point d’aller danser la country avec un balayage californien. Reliant ses dérives à son sujet principal, Alex Lutz

  • remercie son père d’être mort (« d’un truc à la prostate qui en fait était aussi au foie et ailleurs, c’était déjà la merde depuis longtemps ») « qu’à soixante-douze ans »,
  • imagine les vieux nudistes à l’Ehpad capables de chier sciemment dans le couloir pour exprimer un brusque courroux,
  • laisse Vincent Blanchard entonner « Sympathy for the Devil » pendant qu’il incarne des vieux chantants,
  • invite un cavalier à interluder, puis
  • revient à ses moutons dans un sketch sur le pompiste funèbre hésitant à vendre une urne parce qu’elle ressemble à un rice cooker.

« Tout ce bordel » nourrit sa capacité à préciser un peu le portrait de son père alors que, assume-t-il joliment : « Je sais pas de quoi t’avais peur, de quoi t’avais froid. » Comprendre

  • le même,
  • l’autre,
  • le monde

est un défi stimulant mais (ou parce que) (ou donc) voué à l’échec. Ainsi, l’époque étonne Alex Lutz, dans une veine – pardon : en mode – très Florence Foresti, version « J’suis vieille, je l’sais ». Il l’assume : « Je suis d’une génération

  • qui connaît la différence entre scintigraphie et coronoscanner ;
  • qui a inventé des laitages à – 17 % de matière grasse, pas – 15 ou – 20, non, – 17 ;
  • qui commercialise des déodorants 72 h, très pratiques en cas de garde à vue ; et
  • qui refuse un dessert au chocolat car je suis trop sur le magnésium, en ce moment. »

S’inspirant d’un répondeur à double cassette, symbole de l’échec commercial de son père, il

  • s’offre un sketch alla Muriel Robin sur l’enregistrement épique et très technique du message ;
  • poursuit, après la double cassette, avec le double miroir, grossissant ou non ;
  • se souvient des cours dispensés par Gérard pour que ses enfants « sachent faire du feu » ;
  • assume de ne pas assumer son image de blond, évoquant un remix du personnage de Gad Elmaleh :

 

J’aime pas blond, ça fait poésie. J’ai l’impression d’être du mohair. Je suis de l’encens alors que j’aurais aimé avoir un p’tit triangle de cul et un mollet avec deux boules de muscles.

 

Dans son malheur, il a échappé au pire : « Je remercie le ciel d’être né à cette époque à cause de ma pleutrerie. Les duels, c’était pas au Scrabble ! En plus, va trouver un notaire à 3 h 20, au dix-neuvième siècle… » Passant

  • d’un sketch sur les couilles à un hommage au paternel,
  • de la possibilité que l’herbe soit bleue ou le ciel vert à « Papayoyo »,
  • du plancher de la piste à la selle de son cheval,

Alex Lutz démontre aux saluts qu’il a un dernier talent : il sait prendre les applauses. En dépit de remerciements un brin longuets, le cirque est debout. Axel Lutz aussi, qui prolongera du 18 au 20 juin à 20 h sa performance

  • plus singulière qu’hilarante,
  • plus théâtrale que comique et
  • plus hétéroclite que mono obsessionnelle.

Ce n’est certes pas un triple défaut.

 

Alex Lutz, « Sexe, grog et rocking-chair », Cirque d’hiver, 18 avril 2025 – 1/2

L’affiche du spectacle (détail)

 

Derrière un titre franchement daubé se cache la tension qui constitue le substrat « Alex Lutz » sur scène. Désormais connu pour

  • sa série télévisuelle « Catherine et Liliane »,
  • ses films et
  • ses seuls-en-scène,

l’acteur s’amuse, quand il est en direct, à concilier les deux pôles de l’humour alla francese : les sketchs et le stand-up, les premiers étant désormais jugés ringards quand ils ne sont pas intégrés au flot narratif se revendiquant autobiographique qui caractérise le second. L’incipit du spectacle le traduit visuellement, puisque le comédien est enfermé dans un sas et cherche à en sortir en trouvant la bonne catégorie de divertissement qui, abracadabra, le libèrera. Accompagné par un guitariste et un cheval, Alex Lutz, dont le succès est considérable, confesse pourtant son impression d’être « quelqu’un de mal emmanché ». Son souci : « Mon père est mort, je dois vider sa baraque et rendre ce spectacle. » Ainsi énonce-t-il les trois motifs indissociables qui vont structurer le spectacle :

  • le thème,
  • l’espace et
  • la création.

Le thème tourne autour du décès du géniteur à travers

  • une collection de souvenirs
    • précis,
    • diachroniques ou
    • élargis à une génération,
  • l’évocation d’éléments matériels portant trace d’une vie,
  • le bilan et l’analyse spéculaire qu’implique l’exercice,

au sens où réfléchir à la mort d’autrui nous conduit moins à réfléchir à notre propre mort qu’à réfléchir à notre propre vie, en imaginant ce qui se passerait si, là, de suite, c’était moi, le mort. Il se traduit dans un triple espace décloisonné :

  • le lieu physique encombré d’une maison « à vider »,
  • la part symbolique de cette « maison à vider » et de
  • la transcription scénique de ces problématiques via l’utilisation des trois dimensions :
    • la profondeur  rendue concrète par la fosse d’où émerge sporadiquement et métaphoriquement un agglomérat d’objets qui disparaîtra dans la dernière scène, les comptes ayant été apurés à la fin des contes ;
    • l’horizontalité dont l’investissement passe par la gestion habile de la scène ronde, tant dans le partage des regards aux spectateurs que dans l’utilisation de cette circularité lors des tours équestres ;
    • et la verticalité puisque les escaliers et la scène surplombante font partie du théâtre.

 

Au Cirque d’hiver, le 18 avril 2025. Photo : Bertrand Ferrier.

 

La création, enfin, est en quelque sorte le véritable sujet de ce seul-en-scène.

  • D’abord parce qu’analyser son rapport au père passe par le questionnement physique de l’engendrement et, par voie de conséquence, des limites de celui-ci (une fois mis au monde, quelle est la part du créateur originel – le père – et celle du créateur qu’est devenue la créature ?).
  • Ensuite parce que, en narrant son père, Alex Lutz interroge aussi la mesure dans laquelle nous sommes créateurs de notre destin ou des marionnettes plus ou moins façonnées – osons le mot : créées – par une époque.
  • Enfin parce que, comme le veut le genre, une part importante du spectacle repose sur son making of.

Le spectacle est montré en train de se créer sous nos yeux. Alex Lutz évoque la concurrence fructueuse entre ses urgences artistiques et ses devoirs de fils : ce qui remplit son spectacle, c’est la vidange, la vidation, la viditude de la baraque, mais c’est aussi ce qui l’empêche de se préparer à casser la baraque au Cirque d’hiver, vu que cette toilette funéraire de l’immobilier lui ponctionne beaucoup de temps et d’énergie. Dès lors, derrière l’évidence du récit biographique d’une vie terminée et de ses conséquences sur l’existence de ceux qui restent, se jouent des problématiques finement tissées voire étoffées par une diversité

  • de langages,
  • d’humours et
  • de genres
    • (intimiste,
    • sociologique,
    • fictif à travers l’incarnation de personnages inventés, etc.).

C’est sans doute cette polymorphie du texte qui permet à Alex Lutz de passer très rapidement du statut de vedette qu’on va voir pour bien s’marrer à celui d’acteur qui crée un objet dramatique à la fois très reconnaissable et bien plus original que ce que l’on aurait pu redouter. Nous continuerons de l’évoquer tantôt.


À suivre !

 

Lily et Lily, Théâtre de Paris, 27 mars 2025

L’affiche (best of)

 

Pour qui aime le théâtre de boulevard, Lily et Lily, actuellement présenté au Théâtre de Paris, tient du bonbon et du monument. Lily et Lily est

  • bonbon,
  • sucrerie et
  • douceur

parce que la pièce est définitivement marquée par sa créatrice, Jacqueline Maillan, son évocation charriant aussitôt ses palettes de nostalgie dramatique ! Monument, parce que c’est techniquement l’une des meilleures pièces du genre qui ait été écrite. Aussi phénoménale que les chefs-d’œuvres de Georges Feydeau, elle pousse au maximum le comique

  • de situation,
  • de mécanique,
  • d’invraisemblance,
  • d’absurde et même, quoique ce ne soit pas la prime spécialité des auteurs,
  • de langage.

L’histoire ? Années 1930. Hollywood. La star du moment s’appelle Lily Da Costa (Michèle Bernier). Puisque vedette, elle est plus que capricieuse : insupportable avec Sam, son imprésario (Francis Perrin) et ses domestiques (Bastien Monier et Morgane Cabot) qui ont reçu mission de l’enlever au profit de la mafia. Indifférente au mécontentement général, elle boit, sniffe et baise à tout-va. Pour sauver son âme, Deborah, sa jumelle (Michèle Bernier itou), débarque du Minnesota. C’est alors que Sam, son imprésario, a une idée : et si Deborah, plus influençable et moins ingérable que sa sœur, prenait la place de Lily ?
Michèle Bernier s’est emparée de la pièce, dont nous voyons la cinquantième représentation dans la mise en scène de Marie-Pascale Osterrieth. Avec la technicienne, l’actrice a remanié le texte de 1984 à la fois légèrement (la structure est conservée) et lourdement. C’est tout le paradoxe de ces « reprises » qui remettent en selle des chevaux parce qu’ils sont fringants dans – voire grâce à – leur vieillesse, mais tentent de les faire presque passer pour de jeunes canassons. La question n’est pas nouvelle, pour le boulevard. En 2013, lors de la réédition d’un florilège de leurs pièces chez Omnibus, Jean-Pierre Gredy et Pierre Barillet avaient eux aussi procédé à des changements « parcimonieux » (les « nègres » avaient disparu et les monnaies s’étaient modernisées), en veillant à ne surtout pas trop actualiser leur travail, confiants qu’ils étaient dans un théâtre qui, en dépit de son succès, a, comme le théââââââtre, « l’ambition d’être intemporel ». Michèle et Pascale ont eu la main autrement lourde. De très nombreuses modifications ont été apportées, le plus souvent de façon inutile. Ainsi,

  • Odilon, le domestique, est renommé Gaston ;
  • Vladi, le mari slavisant, devient Julio le vaguement hispanique (Cyril Garnier) ;
  • la fille de Chico n’est plus évoquée ;
  • jadis chassé à coup de « Jingle bells », le zinzin invisible devient un fan (ce qui oblige à une explicitation autour de l’Oasis, clinique psychiatrique, quand il s’agit d’y envoyer Lily) ;
  • Dandy Cracker se transforme en Joe le scorpion, etc.

Pourquoi diable ? Adieu aussi le prologue et les cendres de Poopsie (Michèle Bernier ne sniffe pas) ; bonjour, modifications dont l’intérêt échappe totalement ! Parmi moult, évoquons

  • le prix du journal intime de la star qui a doublé ;
  • les Marx Brothers qui perdent leur décompte ;
  • l’entreprise de nettoyage qui se consacre désormais à vider les greniers ;
  • Charlène la journaliste qui perd son maître ès pendule ;
  • les domestiques qui rêvent désormais d’un bar-tabac rue de Clichy pour y recevoir Maurice Chevalier ;
  • la chute de la dernière réplique de l’acte deuxième qui est coupée (dommage !) ;
  • Heidi et la petite maison dans la prairie qui font leur apparition ;
  • le « fondu enchaîné » qui a fondu quand, pour enchaîner (haha), Lily rembobine sa jeunesse avec son cher Jonathan qui n’attend plus dans la vieille Ford ;
  • la versatilité politique du « démocrate ou républicain », quoique rigolote, est coupée, etc.

Au gré des (mauvaises) inspirations des updateuses, on oscille entre explicitation superfétatoire (la bisexualité des chiens) et pudeurs de sainte-nitouche, faisant écho à la suppression de la poudre (ainsi, l’excellente réplique « C’est une maman qu’il vous faut / – Exactement ! Une maman… de dix-sept ans de préférence » est remplacée par un hommage aux femmes « mûres mais pas trop », beaucoup moins savoureux ; désormais, Lily s’enfuit avec un marchand de plumeaux quand elle a presque quinze ans, pas presque quatorze, etc.). Même si l’on apprécie le clin d’œil à Gilles Vigneault dans le rôle du violoneux, les nombreux changements feront évidemment sursauter les aficionados, d’autant que, dans l’ensemble, ils n’apportent rien et sonnent parfois lourdingues, à l’instar de l’hispanisation incomplète de Vladi. Toutefois, yippie ! l’essentiel demeure.

 

Morgane Cabot (Yvette) , Bastien Monier (Gaston) et Michèle Bernier (Lily et Deborah). Photo : Béatrice Livet pour le théâtre de Paris. Source : site du théâtre.

 

L’essentiel, c’est le vertige que procure le théâtre de boulevard survitaminé. Chaque soir, et deux fois le samedi, Michèle Bernier joue Lily et Deborah, mais Deborah joue aussi Lily et réciproquement, voire joue Lily qui joue Deborah, et ainsi de suite. Les conventions sont habilement mises en évidence par les auteurs, et tellement extrémisées – et hop – qu’elles craquent et font rire aussi bien de leur mécanique huilée que de leur pétillante invraisemblance. Barillet et Gredy jouent sur

  • l’accumulation et l’imbrication de situations cocasses,
  • la réversibilité des apparences et la part d’authenticité qu’elles portent, et
  • la malice mêlant
    • narration échevelée,
    • humour débridé, et
    • absurde joyeux de l’invraisemblance assumée.

Lily et Lily est un éloge vivifiant de la pacotille et de la mauvaise foi, celles

  • des vedettes,
  • de l’art,
  • de la vie quand elle va bien.

Face à la maîtresse de cérémonie, très convaincante (on avait entendu pis que pendre de Michèle Bernier : nous ne la connaissions pas mais l’estimons, tout court, puis digne et euphorisante dans son rôle), Francis Perrin réussit à sortir son personnage du pleurnichard qu’avait campé Jacques Jouanneau. L’option d’interprétation est validée par

  • un dynamisme efficace,
  • une épaisseur psychologique étoffée, et
  • une présence scénique percutante.

Parmi les seconds rôles, saluons la Yvette de Morgane Cabot, laquelle sait jouer à la fois quand elle est au centre de l’attention et quand elle se tient coite. À Bastien Monier, son partenaire, Bernier & Osterrieth inventent une carrière espérée de chanteur donc insèrent des passages de musical à vocation de respiration, certes, mais qui ne se révèlent guère convaincants. L’acteur semble à l’étroit dans son rôle de victime (il n’en sortira pas à la fin, contrairement à la VO) pour nous ébaubir.
Véronique Boulanger joue la garce avec la même univocité qu’Éric Boucher joue le mari coincé qui redécouvre la devise d’un autre Barrier, Ricet, selon laquelle « chauffe un marron, ça l’fait péter ». Les deux comédiens font montre du métier attendu pour planter ces personnages aux stéréotypes jubilatoires, oui, jubilatoires, et si vous insistez, j’ajoute « ciselés », de sorte qu’il vaut mieux briser là, je le suppute. Entre deux passages au placard (après Alcatraz, le prisonnier en fuite est souvent fourré dans un autre placard, à fourrures, celui-là) ou sous le lit, Riton Liebman tente d’incarner l’improbable Doug avec un savoir-faire guignolesque qui n’exclut pas une palette de caractères, entre

  • l’évadé sous tension,
  • l’ex d’il y a un quart de siècle,
  • l’homme rêvant d’un quickie

Cyril Garnier, lui, peine à fasciner dans son rôle remixé de parasite hispanique. Sans doute l’acteur est-il handicapé par la réécriture plate qu’il doit parler et dont on aurait aimé qu’il fût fait l’économie. Plus généralement, l’ensemble est porté par une mise en scène fonctionnelle et un décor à l’avenant – avantage du théâtre de boulevard sur l’opéra, en quelque sorte !
Comme attendu et avec justesse, la salle fait un triomphe aux artistes. Michèle Bernier a l’élégance de saluer les techniciens et la production. Le couple d’hommes à mes côtés part rassuré car, bien que nous ayons été très proches de la scène, nous n’avons pas reçu de postillons, contrairement à leurs craintes les plus fofolles. Derrière moi, les deux spectatrices qui n’avaient de cesse de se demander à chaque acte si c’était la fin, ont obtenu la réponse qu’elles attendaient. C’est bel et bien fini, après

  • un beau travail,
  • un bon moment
  • du théâtre populaire qui n’a pas peur de la virtuosité :

bravo et merci, les artistes !

 

Nous y voilà !

La mort en bref

 

Les derniers billets pour une visite du parc d’attractions le plus secret du monde, celui qui nous incite à réfléchir à ce qui nous attend tous, sont disponibles ici. Rendez-vous au 14 bis, rue Coëtlogon | Paris 6 !

 

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=5WknB0Z5e1g[/embedyt]

 

Causerie en approche !

D’après une photographie de Rozenn Douerin et une affiche de Marie-Aude Waymel. Création : Jann Halexander.

 

Avant la « causerie sur 24 faits extraordinaires (environ) sur la mort », Jann Halexander m’a invité à causer de la causerie. Voilà le résultat (cliquer sur l’hyperlien si l’insertion ne fonctionne pas).

 

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=&live=1[/embedyt]

 

Pour réserver une place à la causerie du samedi 15 mai, à 16 h, c’est ici.

 

Penser la mort, deuxième

L’affiche (best of)

 

Alors que l’Europe, poussée par les lobbies de l’armement, envisage de déverser des centaines de milliards de sesterces pour financer les industries de mort et détruire la vie des clampins que nous sommes pour complaire les salopards qui nous gouvernent, ma causerie sur (environ) vingt-quatre faits extraordinaires autour de la mort revient sur scène après une apparition au Théâtre-atelier du Verbe.
C’est vrai, on n’aime pas y penser, mais c’est un fait : quelque 600 000 Français meurent chaque année. Un beau jour ou peut-être une nuit, 100 % des êtres vivants feront de même. Le sketch de la mort dure depuis des milliards d’années environ. Pourtant, personne ne sait ce que c’est, la mort, bien que beaucoup – religieux, scientifiques, illuminés, artistes, philosophes, etc. – prétendent le contraire. Après avoir longuement plongé dans ces eaux noires à l’occasion d’une enquête au long cours, je suis remonté à la surface avec quelques éléments de réponse donc pas mal de questions que je trouve plutôt malin de partager.

 

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=HnIaqQSBNgo[/embedyt]

 

Entre conférence très sérieuse et forme non identifiée, cette performance teintée d’un humour nécessaire et protéiforme s’adresse à tous. Doit-on le préciser ? apparemment, oui, elle ne vise ni à prosélyter – et hop – ni à lénifier mais à nourrir une réflexion sur ce qui nous attend tôt ou tard.
Sa durée d’1 h 15 devrait rendre la chose supportable, d’autant que quelques interventions fredonnées (featuring l’ami Jann Halexander, qui vient de publier Ornithorynque, son nouveau disque), laisseront, à intervalles joyeusement irréguliers, la parole s’enduire de musique et d’autres vibrations.

 

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=48-B50hyqPM[/embedyt]

 

Le spectacle s’inspire d’un ambitieux projet éditorial cancellé au dernier moment mais updaté fréquemment et disponible en pdf ici. Les places pour la causerie peuvent être réservées . Sur place, s’il en reste à vendre, elles coûteront 15 € à tarif normal ou 10 € en tarif réduit (sans justificatif, on n’a pas à se justifier si on est chiche en fifrelins).
Rendez-vous mortel mais pas macabre le samedi 15 mars à 16 h à la galerie Grand merci, 14 bis, rue Coëtlogon, Paris 6 !

 

Gauthier Fourcade, « Le sens de la vie… », Manufacture des Abbesses, 18 décembre 2024

Gauthier Fourcade à la Manufacture des Abbesses, le 18 décembre 2024. Photo : Rozenn Douerin.

 

D’un côté, les clichés et leurs hashtags du type #lunaire ou #absurde. De l’autre, un comédien qui n’électrise jamais les salles autant que quand il interprète ses propres élucubrations. Soit, donc, Gauthier Fourcade, de retour à la Manufacture des Abbesses, une salle montmartroise où l’artiste a désormais ses habitudes. Il y présente son nouveau spectacle, intitulé Le Sens de la vie est-il un sixième sens ou celui des aiguilles d’une montre ?. Cet inventeur de jeux – il avait presque créé, et nous étions de l’aventure, une fédération autour de son Yin yang – estime que la vie est elle-même un jeu, sauf qu’il lui manque en général – et qu’il nous manque en particulier – la règle voire le mode d’emploi.
C’est sans doute cette notice technique qu’il cherche dans le liquide amniotique de la scène tandis qu’entrent les spectateurs et que lui est déjà au travail. La quête du sens de la vie n’a pas de fin, mais elle n’a pas vraiment de début non plus, suggère peut-être l’artiste en s’agitant comme, subodore-t-on, un fœtus mouvant. Autour de lui, en guise de décor,

  • deux échelles tordues,
  • des boules de papier mâché et
  • deux poufs.

Quand la salle s’éteint, la scène se met à étinceler de jeux de mots :

  • parophonies,
  • concaténations,
  • parallélismes,
  • décalages et
  • resémantisation

pullulent dans une première partie hilarante où le personnage qu’incarne le comédien semble, et on le comprend, un rien stressé par l’ampleur de sa tâche. De nombreux bégaiements et fourchements linguistiques, inhabituels chez Gauthier Fourcade, montrent que le spectacle est encore en rodage et que la problématique est vertigineuse. Il s’agit ni plus ni moins de découvrir, alla Monty Python, le fameux sens de la vie ou, au moins, sa direction.

  • Les filles, d’abord, que tout garçon bien né rêve d’avoir à ses pieds, à ses genoux ou, à défaut, à ses tibias.
  • Le cosmos, ensuite, pour en remontrer à ces étoiles qui lui lancent : « T’es rien ! » ou pour se libérer de la boue du sol fournie sans boussole.
  • La métaphysique, enfin, qui amène à constater définitivement qu’aucun de nos cinq sens ne dévoile le sens de la vie – il faut donc en chercher un sixième.

Celui-ci serait-il le fric ? Ni une, ni deux, le narrateur décide de devenir l’homme le plus riche du monde, sans doute parfumé au musc. Pour cela, il se lance curieusement dans le théâtre, sans perdre de vue l’objectif sous-jacent à la richesse : moins la conquête de l’espace que la conquête de l’espèce. Féminine, en l’occurrence. Faute de devenir Crésus, il constate que certaines femmes aiment l’échec plus que les chèques car celui qui échoue est chou. Encouragé, il est frappé par l’apocalypse, cette fameuse révélation-dévoilement qui lui assène qu’il ne peut pas trouver le sens de la vie parce que la vie n’a pas de sens mais deux sens, celui de l’homme et du dauphin. Aussitôt, il écrit à l’Académie des sciences une bafouille très sérieuse et très écolo, expliquant notamment

  • pourquoi la Terre est entourée d’or dur,
  • pourquoi, à force que l’eau sature, ça tuera les poissons, et
  • pourquoi notre drôle de cuisine a abîmé les plats nets en fomentant une sous-croûte qui fait qu’on aurait bien besoin d’un casse-croûte – d’autant que, plus il y a de trous, plus il y a de forêts.

La rebuffade qu’il reçoit de ses collègues scientifiques change son projet d’existence. Plutôt que d’avoir le blues de la blouse, il décide d’exploiter son penchant rigolo avec une petite aide de Bacchus. Bah, oui, puisque tout est vin, autant le boire. Essaye !

  • Grâce à la gnôle de Dieu, la vacuité va te cuiter ou te quitter, qui sait.
  • Tu verras l’avenir si rose… Mieux !
  • Tu deviendras même médium, voyant double grâce aux bouteilles devins – divin !

Cela se fête par une petite chorégraphie accompagnant une pénible chansonnette ensoleillée. Disons-le une bonne fois de bonne foi : la musique est affaire

  • de goût,
  • d’égout ou
  • de dégoût.

En l’espèce, as far as we are concerned, c’est le point le moins séduisant de ce spectacle passionnant. Ce nonobstant, grâce au nectar, le danseur découvre un téléphone qui mène à Dieu – Dieu, ce concept tellement illimité qu’il est difficile de l’imiter. Pour plus de praticité, le personnage monte aux cieux, puis ses souvenirs se mélangent. La preuve, il ne sait plus où le met l’ange. Se retrouvant grâce au chouchen sous chêne sanglant car sans gland, il espère cependant trouver le sens de sa vie écrit sur une feuille d’arbre, ne trouve pas la bonne, envisage donc de se suicider mais reproche au suicide d’avoir ce terrible inconvénient qui consiste à raccourcir la vie (le pire serait que cela advint à Étretat, quelle que soit la région mentale où se situe cette ville, ses fadaises et ses falaises. Pris dans les échelles, physiques et symboliques, le personnage perd pour partie son inclination pour le verbe en optant pour un constat philosophique selon lequel la taille de l’univers dépend de la taille de celui qui l’évalue. Jusqu’à claquer cette punchline qui rappelle que ce one-man-show drôle-et-pas-que charrie aussi une réflexion spéculaire sur l’homme, l’art, l’artiste et tout un chacun (nous, donc) :

 

On a bien raison d’être petit, ça nous permet d’inventer l’infini.

 

Les pérégrinations ne sont pas vaines.

  • La conscience,
  • la mort (« tout est provisoire, sauf la mort mais, par la mort, l’homme atteint l’infini »),
  • les paradoxes temporels

emmènent Gauthier Fourcade vers de plaisantes fulgurances qu’il semble excuser par sa compréhension phonique du langage (« j’aspirais au sublime mais, quand je l’ai su, blim »). Fulgurent donc des histoires

  • de présent impossible à décrypter,
  • de mouton alphabêêêêêtique et
  • de mondes où un type dit « j’erre » sans avoir mangé.

 

Détail du décor de Blandine Vieillot pour « Le Sens de la vie » de Gauthier Fourcade. Photo : Rozenn Douerin.

 

Les énigmes qui l’assaillent n’ont, à l’en croire, qu’un objet : lui faire accepter que, pour comprendre, il faut accepter de ne pas tout comprendre. Y compris

  • le sens de la vie,
  • le monde concret qu’on crée et
  • les forêts au vert forever de faux rêveur.

Alors que la musique tente de boucler la boucle (en un sens) en rappelant l’incipit, l’admirateur des arbres et des étoiles sourit en refusant de n’être que sous cieux. L’auteur-acteur ne se laisse pas emporter par des torrents de jeux de mots qui, sur la durée, pourraient paraître ronronnants, car ceux-ci sont toujours insérés dans une économie diégétique efficace. Bon, d’accord, même moi j’ai sursauté en relisant ça, mais ça veut dire, en gros, si je me suis bien entendu : les jeux de mots ne sont pas des à-côtés, ils font avancer l’histoire qui nous est racontée. Le vagabondage mental du personnage fourcadien a l’élégance d’associer

  • humour efficace,
  • méditation intérieure et
  • singularité assumée.

Le résultat est

  • puissant souvent,
  • parfois poignant, et
  • habilement orné de ce zeste de désinvolture qui n’est point indifférence mais légèreté.

Du Gauthier Fourcade qui

  • tape dans l’os en jouant à la fois sur la spécularité du théâtre (je suis l’acteur qui joue l’acteur qui joue le texte) et sur le miroir dramatique (je sors du cercle du personnage pour ne pas être qu’un personnage, quitte à passer pour le sage comédien dirigé par Vanessa Sanchez investissant un décor minimaliste de Blandine Vieillot),
  • ne se contente ni ne se satisfait de savoir être drôle avec malice (ce qui ne serait déjà pas rien dans un monde envahi d’humoristes consternants) et
  • n’a pas peur de se poser en tant que
    • citoyen,
    • roseau pensant,
    • humain.

Dans un théâtre qui permet la proximité et la vibration avec l’artiste, si j’étais Joe l’influenceur, je dirais : « Francilien, rates-tu pas ça ! »


Pour réserver , c’est ici.
Pour retrouver nos principales chroniques fourcadiennes précédentes, c’est

  • ici pour Liber ! (2017), et
  • pour Le Cœur sur la main (2019).

Penser la mort, modes d’emploi

Photo : Rozenn Douerin. Affiche : Studio MA.

 

On n’aime pas y songer, mais c’est une réalité : quelque 700 000 Français meurent chaque année. Un beau jour (ou peut-être une nuit), 100 % des êtres vivants font de même et ce, depuis des milliards d’années environ. Pourtant, personne ne sait ce que c’est, la mort, bien que beaucoup – religieux, scientifiques, illuminés, artistes, etc. – prétendent le contraire. Après avoir longuement plongé dans ces eaux noires pour un projet éditorial qui n’a finalement pas vu le jour, je suis remonté à la surface avec quelques éléments de réponse donc pas mal de questions que je propose de partager à l’occasion du « jour des morts » qu’est le 2 novembre.
En m’appuyant sur une très riche documentation et une enquête sans concession, loin de tout prosélytisme idéologique ou spirituel (c’est pas trop le genre de la maison), je vous invite à un parcours

  • léger,
  • décalé,
  • vivifiant (si),
  • accessible à chacun et
  • rythmé par quelques fredonneries sur le thème du jour.

Ainsi, avec la participation mortelle de Jann Halexander, nous nous promènerons sur les chemins de traverse situés entre la conférence très sérieuse et le one-man-show farfelu, pour nous aider à mieux réfléchir à ce qui nous attend tôt ou tard. Les infos :

  • samedi 2 novembre, 16 h ;
  • durée : 1 h 15 environ ;
  • théâtre-atelier du Verbe | 17, rue Gassendi (Paris 14) | métro : Gaîté ;
  • réservations ici ;
  • événement inspiré par La Mort, modes d’emploi, disponible en pdf ici.

 

Elle est revenue

Mademoiselle Maya et son pianiste au théâtre du Gouvernail (Paris 19), le 21 septembre 2024. Photo : Patricia Nevertal.

 

Ils sont venus, ils étaient tous là (du moins tous ceux qui avaient pu se faufiler dans le coquet théâtre parisien du Gouvernail) pour saluer le retour de la divette, mademoiselle Maya en personne ! Après plus d’un siècle d’hibernation et plusieurs mois sans apparition publique, la chanteuse célébrée par Georges Feydeau dans Un fil à la patte a rouvert son petit salon pour partager, avec sa naïveté désarmante, les lettres et fredonneries écrites pour elle par les plus grands auteurs et compositeurs de la fin du dix-neuvième siècle. Archéologues du spectacle, Charlotte Grenat et Jean-François Varlet ont reconstitué

  • sa vie,
  • sa personnalité et
  • son répertoire

à partir des traces laissées par le bon Geogeo dans sa piépièce. Cette série de chansons « à la manière de » fait preuve

  • d’une créativité,
  • d’une habileté et
  • d’une variété de styles

palpitantes, tandis que se glissent, entre deux envolées vocales, l’évocation d’épistoles adressées à mademoiselle Maya par les écrivains les plus émoustillés de son temps. Le triomphe parisien qui a salué la performance de Charlotte Grenat laisse augurer du meilleur pour les deux représentations programmées à Bordeaux. Avec vous dans la salle serait un plus positif !

 

Les prochains salons de mademoiselle Maya sont délocalisées à Bordeaux !

 

« 225 000 » de Nicole Sigal (Théâtre de l’Essaïon, 31 août 2023)

Guillaume Vatan sur la scène de l’Essaïon, le 31 août 2023. Photo : Rozenn Douerin.

 

Sous ses allures de projet consensuel (une pièce pour dénoncer les violences faites aux femmes), Femmes Kleenex, renommé 225 000 par le metteur en scène Guillaume Vatan, du nombre annuel de femmes se plaignant de violences en France, cèle plusieurs projets. La pièce

  • s’offusque de ce qu’il est chic voire téléramique d’appeler « féminicides » ;
  • offre le spectacle d’une large palette de violences infligées par les mâles, qu’ils soient médecins, flics ou chômeurs ;
  • regrette la prédation de mâles accusés d’être des manipulateurs qui objectivisent leur poupée pour « les aimer de haine et non d’amour » ;
  • dénonce la mauvaise prise en charge des plaignantes par la police ; et
  • se révolte contre l’indifférence que, par-delà le consensus, ces violences finissent par susciter.

On regrette d’ailleurs que, dans cet exposé, l’auteur évite de dégenrer son propos et ne parle donc quasi pas de l’exploitation des pauvres et des faibles dans la société néolibérale, dont la dépendance économique des femmes est une illustration parmi d’autres qui gagnerait à être replacée dans la big picture d’un système avide de fric et d’asservissement.

 

David Legras sur la scène de l’Essaïon, le 31 août 2023. Photo : Rozenn Douerin.

 

Dès l’incipit plongeant le spectateur in medias res (héhé ! on parle latin, aujourd’hui…), Guillaume Vatan annonce la couleur : sa mise en scène sera spéculaire et en abyme. Profitant d’un texte résolument premier degré, il lui donne du souffle et de la profondeur en envoyant Katia Miran jouer à la poupée devant le public qui s’installe. D’ordinaire, le sens de ce procédé éculé nous échappe. Ici, il résonne comme une volonté de tuilage entre le monde du dehors et le monde du théâtre. Ce sera la grande problématique de la mise en scène et sa grande réussite. En effet, l’actrice joue une enfant qui joue. Même si la trentenaire garde des allures juvéniles que la suite de la pièce exploitera, elle n’est pas crédible en enfant ; et cette non-crédibilité est précisément l’objectif de la saynète. Elle symbolise le moment où l’effet de réel est moins dans l’évidence de la représentation que dans l’effort du spectateur pour croire à ce qui se passe sur scène. Or, c’est l’aspect qui, ce soir de première, nous a semblé le plus intéressant : utiliser le théâtre, cet art du faire semblant, pour représenter un réel qui, lui, ne fait pas semblant.
C’est d’autant plus intéressant que Nicole Sigal convoque régulièrement le théâtre sur scène. Les femmes qu’elle décrit rêvent d’être actrices, de ne plus vivre « toujours le même film, le même scénario », de redevenir aussi sexy que Liz Taylor quand elles s’appellent Lisa et, par conséquent d’aller au bistro pour « faire une entrée de théâtre » (officiellement nue, mais laissons l’intimité de l’actrice aux hommes sans imagination). Les mâles feignent de se tromper dans leur texte pour appeler leur patiente « chérie », jouent la comédie devant les condés et démontent les portes de leur domicile pour arrêter de faire semblant, c’est-à-dire priver leur compagne d’intimité. Enfin, une belle scène proche de l’explicit confond le théâtre protecteur et la vie implacable. Une telle utilisation du théâtre en tant que motif littéraire et non seulement en tant que genre traduit la difficulté de représenter un réel qui se dérobe aux simplismes. Nicole Sigal veut dire

  • « la violence clean des hommes charmants » ;
  • cette femme qui, tous les deux jours, rejoint la liste – car c’en est une – des femmes assassinées par leur compagnon ;
  • cette vieille rengaine qui pousse un sale type à répondre, à la question « Pourquoi avez-vous fait ça à votre femme ? », simplement : « Mais… c’est ma femme ! »

 

Katia Miran sur la scène de l’Essaïon, le 31 août 2023. Photo : Rozenn Douerin.

 

Raison de plus pour rester chafouin devant une écriture pas toujours à la hauteur. Même si l’on accepte les longueurs pataudes et volontaires liées à l’énumération des prénoms des femmes mortes sous les coups d’un homme (on comprend que la longueur fait sens, mais elle banalise aussi autant qu’elle hommage, et hop), les tics censés caractériser un langage actuel (« grave » ou « relou », par exemple) tombent à plat. De même, la représentation de la police est à la ramasse : il est fort improbable

  • qu’une fliquette frappe régulièrement un suspect à peine interpelé,
  • qu’un « commissaire principal » auditionne une victime ou
  • qu’un gradé rate une promotion parce qu’il arrive en retard à la soirée censée la fêter.

La scène de fausse découpe à la tronçonneuse fonctionne assez mal, à moins qu’elle ne cherche justement à renvoyer le spectateur à son incapacité à doper son imaginaire, loué au cours de la pièce. Surtout, le cliché déconstruit et anticolonial si cher à la Culture d’État siphonne l’objectivité du propos en dénonçant la saloperie de deux personnages : un Blancoss qui profite de ce que sa nana ne parle pas français pour la martyriser, et un flic « très catho » qui doit être protégé dans un monastère à présent qu’il a tué son épouse. Pas sûr que les salauds soient exclusivement à chercher parmi ces portraits-robots racistes et cathophobes que la liste des défuntes ne reflète pas exactement.

 

Mathias Marty sur la scène de l’Essaïon, le 31 août 2023. Photo : Rozenn Douerin.

 

Ces clichés chagrinent car la mise en scène, elle, si elle ne résiste pas au plaisir du brassard de flic peut-être superfétatoire dans un projet où la suggestion des postures et des décors dialogue en général habilement avec le caractère explicite du verbe, démontre une réelle maîtrise notamment grâce

  • à la fluidité de la circulation des quatre acteurs,
  • à l’investissement de l’espace incluant le fissurage du quatrième mur,
  • à quelques intuitions excitantes voire fulgurantes comme celle qui consiste à démonter un décor qui n’existe pas,
  • et au travail sur la forme en arche ouverte rappelant que, peut-être, dans les situations désespérées, tout n’est pas encore perdu.

Peut-être l’ajout d’un long topo lu et l’utilisation de la musique enregistrée, clairement moins fouillée que la mise en espace et en forme (Wagner mérite mieux !), alimenteront-ils quelques regrets ? Resteront trois évidences :

  • des gens qui se sont aimés se tuent lentement ou promptement chaque jour ;
  • il semblerait qu’il n’y ait guère que les oies sauvages qui ne divorcent pas ; et
  • une rédaction sur un dimanche en famille a toute latitude pour être encor plus triste que ledit dimanche en famille.

 

Aux saluts, Magali Bros sur la scène de l’Essaïon, le 31 août 2023, et, derrière elle, un aperçu de la frise égrenant les noms des femmes défuntes. Photo : Rozenn Douerin.

 

Le reste est à découvrir les jeudis, vendredis et samedis à l’Essaïon (Paris 1), à 19 h 15. Rens. ici.