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Beethoven étant un supermarché comme les autres, son “anniversaire” a été l’occasion d’une frénésie d’enregistrements congrus et incongrus. À côté des parutions convenues et pas forcément inintéressantes pour autant, ont poussé des audaces comme “A chronological odyssey”, le coffret génial de Cyprien Katsaris (critique partielle çà et ), associant transcriptions et sonates originelles pour piano.
Plus raisonnables, Olivier Drechsel et un Steinway D sont revenus creuser la veine harmoniumiste de VDE-Gallo pour 1 h 16 de duo orgue et harmonium, en compagnie de Christoph Lahme, son complice habituel, muni d’un Alexandre de 1880.

 

 

L’affaire commence avec Coriolan, l’une des deux “Ouvertures” de LvB qui surnage dans sa vaste production, ici arrangée par Johannes Doebber. Pour ceux qui, comme moi, sont quand même pas très cultivés, rappelons que Coriolan est un Romain qui, après avoir écrasé les Volsques pour Rome, a choisi de rejoindre les Volsques pour niquer Rome mais, ému par les nanas – dont sa mère et sa femme – venues supplier qu’il n’en fasse rien, trahit les Volsques et se suicide (c’est ce passage que raconte l’Ouverture, disent certains sachants). L’heure est donc dramatique à souhait. En témoignent

  • le mode mineur,
  • la tonicité du piano et
  • les contrastes volontiers abrupts entre les différents segments.

Selon les moments, l’harmonium

  • fait tapisserie,
  • donne le thème ou
  • dialogue avec le piano dans une remarquable synchronicité.

L’énergie protéiforme d’Olivier Drechsel et la souplesse de  tempo entraînent l’orchestre à pédales dans une fuite tonique où l’hésitation et la fragmentation claquées par les silences ont toute leur place. Les nuances et la précision des partenaires séduisent ; et la prise de son ne masquant guère le côté vivant de l’interprétation ne déçoit point non plus.

 

 

S’ensuit l’arrangement du Sextuor en Mi bémol op. 81b (pour deux cors et quatuor à cordes) par Auguste Durand. L’Allegro con brio énonce le projet : en gros, les cors à l’harmonium, le quatuor au piano. Le piano remplace l’harmonium quand ça doublecroche ou ça joue dans l’aigu ; l’harmonium octavie et double parfois son collègue. Bref, Auguste Durand a trouvé le juste milieu entre fidélité louable et adaptation à l’instrumentarium exigé. L’absence de reprise après le premier segment est judicieux, puisqu’il permet de donner plus d’ampleur au discours sans passer par une phase de ressassement, éventuellement utile ou rentable quand pas de possibilité de réécoute. Chemin faisant, les deux musiciens témoignent d’une écoute mutuelle et d’une volonté d’aller de l’avant qui ne souffrent pas contestation.
L’arrangeur confie au piano l’introduction de l’Adagio, et c’en est bien pensé, comme chantait presque le grand Charles décrivant la tentative de fusillade de l’ours-maire de Paris or something. Bariolage au piano, cor 2 octavié à l’harmonium avec le violoncelle dans les graves, tout cela est arrangé avec autant de malice que les interprètes mettent de soin dans l’interprétation (ensemble et en solo : voir par ex. la délicieuse respiration du piano à 3’58 avant le la bémol).
Le Rondo allegro conclusif part sur les mêmes principes, adaptés pragmatiquement à la partition – ses spécificités, ses dialogues et son esprit. On flonflonne comme il sied pour swinguer la deuxième partie en 6/8 (Marie, remets-moi un muscadet pour le Robert, tu s’ras mignonne, ma jolie !). Et cependant, derrière cette évidence, marque le souci des musiciens de faire chanter, de concert, la partition, fût-elle remixée, sans rien céder sur l’intentionnalité et la qualité d’exécution – en témoignent les jolis choix de registration de Christoph Lahme dès que l’occasion de finasser un brin se présente.

 

 

Le tube de la Septième symphonie de Beethoven, l’Allegretto, est présenté dans l’arrangement d’August Reinhard. Dès l’énoncé du thème, on entrevoit le soin mis dans les détails (piano subito du sol à 0’39). De fait, les nuances sertissent joliment un arrangement profitant à plein d’une pièce où la continuité orchestrale est confiée au souffle de l’harmonium tandis que le rythme martial est réservé aux marteaux du piano. Le passage central laisse donc l’harmonium se mettre en avant sur les triolets de son complice sans négliger les signes d’une ouvrage bien faite, tels que, par ex.,

  • les effets de decrescendo,
  • la synchronisation des unissons comme des intentions, et
  • les respirations communes.

Le retour du mineur initial s’accompagne des élégantes doubles croches préparant à une fugue joliment tournée. Le rappel des triolets en majeur balance sans sensiblerie ; et les accents finaux sont portés comme il sied. Pour ne pas être d’une virtuosité échevelée, cette transcription “pour le salon” est excellemment troussée et valorisée par une interprétation raffinée. Cela vaut bien ceci, sans doute.

 

 

Gros morceau du disque, voici les presque 25′ autour du Trio sérénade op. 8 proposées sous la plume de l’harmoniumophile Sigfrid Karg-Elert – profitons-en pour regretter, en tant que non germanophone, l’absence de traduction du programme, comme ça, c’est fait (ajoutons que nous sommes itou déçus par la faible qualité du graphisme, ce qui nous surprend toujours tant le coût d’un bon graphiste contribuant à justifier l’acquisition d’un disque physique pèse peu comparé aux autres coûts, puis revenons à la musique). La Marche liminaire claque fièrement : le piano fanfaronne, fait claquer ses appogiatures et trottiner triolets et doubles avec la légèreté nécessaire ; l’harmonium, à son écoute, donne du coffre à ses rodomontades. L’Adagio prend son temps, ce qui se révèle judicieux. Respectant l’esprit du trio liminaire, les partenaires changent régulièrement de rôle. Le lead passe de l’un à l’autre, mais d’autres formes sont possibles :

  • unissons,
  • échos comme à dix-huit mesures de la fin,
  • minisolo d’harmonium sur la dix-neuvième mesure,
  • solo de piano par ex. lors des quatre première mesures de la seconde partie, etc.

Le Menuet profite des caractéristiques des deux complices pour sonner telle la danse qu’il est : tonicité du piano, capacité de l’harmonium à rendre les deux en deux. Le trio enrichit cette répartition, avec un piano sautillant et un harmonium – son nom le laissait subodorer – le retenant sur la terre de l’harmonie ; et la coda, originellement en pizzicati, est logiquement confiée en exclusivité au plus léger des deux.
Curiosité, le zapping des deux mouvements suivants par Karg-Elert. Pas d’Allegro alla Polacca, morceau de choix du trio, mais des Variazoni, renommant l’Andante quasi Allegretto (avec variations !). L’énoncé du thème est – c’est malin – réservé d’abord au piano puis à l’harmonium. Dans les variations 1 et 2, l’harmonium rejoint le piano à la reprise pour faire un fonds de sauce. La troisième variation – en mineur – montre que le contretemps n’est point interdit à l’harmonium, le piano ponctuant simplement le discours en première partie avant d’animer la seconde. La quatrième réunit les zozos qu’un Allegro ternaire tend à séparer, piano en avant, harmonium en fond. Le retour au tempo primo associe l’expressivité du piano aux différents registres de l’harmonium, dans une répartition tournante des rôles faisant écho à l’écriture du trio originel. Le come-back de la Marche du début – trahison de l’arrangeur assumée par les interprètes et sans doute justifiée, à ce que l’on intuitionne, et hop, par l’idée de créer une unité entre les quatre mouvements – ne manquera pas de réveiller les auditeurs qui, étonnamment, se seraient assoupis. En résumé, la qualité de l’arrangement rendant raison du projet beethovénien et le souci manifesté par les interprètes pour contraster ces 25′ de musique ne devraient point manquer de charmer le curieux attentif.

 

 

L’Andante cantabile (en Si bémol) du Quintette en Mi bémol op. 16 est présenté dans l’arrangement de Jean-Amédée Lefroid de Méreaux, réputé pour avoir été un pote (ou, au moins, un complice de concert) de Frédéric Chopin. Le principe est simple : au piano, la partie de piano ; à l’harmonium, la réduction des quatre autres musiciens. Le tempo lent convient bien au pianiste qui en profite pour faire chanter son instrument et s’affranchir sporadiquement d’une métrique trop guindée. Grâce une registration et une intensité pensées, l’Alexandre ne dépare point face au Steinway. Ces choses-là ne manquent ni de délicatesse ni de séduction. Comme sur les autres pistes, des respirations et de savoureux piano subito (6’45, par ex.) attestent que ce qui paraît simple et fluide l’est, en effet, par une extrême attention à ne jamais sombrer dans l’apparente routine des artisanats bien léchés.
Une tendre love song, le Ich liebe Dich de LvB, se faufile ici dans l’arrangement de Sigfrid Karg-Elert. Le texte du lied, œuvre romantique car fondée sur l’association entre un sentiment profond du poète et sa transposition métaphysique, raconte que, quand on se kiffe,

  • on vibre ensemble,
  • on chougne ensemble et
  • on sollicite la bénédiction de Dieu sur l’autre et sur le couple,

ceci étant stipulé au cas où des binômes maladroits ou mécréants nous liraient. Le chant est d’abord porté, à l’octave inférieure, par l’harmonium, avec çà une variante curieuse (sol-si et non sol-ré sur le “noch” de la quatrième mesure) ; puis les rôles s’entremêlent. Il est possible de voir ici un premier bis, car l’intérêt intrinsèque de la transcription oscille entre mignon et dispensable – mais la prochaine piste s’en inspire, découvrira-t-on promptement.
Olivier Drechsel propose une de ses œuvres en deuxième bis. Dreaming of E, son opus 46, adapté pour le présent duo, s’inspire des trois premières notes de la “Lettre à Élise”, et s’ouvre sur une ravissante méditation sinon jazzy, du moins balancée et pourvue d’un bel accent piazzolien. Les deux instruments se répondent en interrogeant ce motif, parmi les plus connus de la musique savante. À 1’25, le deuxième thème de la “Lettre” apparaît brièvement et s’enrichit de déclinaisons harmoniques subtiles quoique sans maniérisme, métissant la “Lettre” avec le lied entendu sur la piste précédente. Le retour du premier thème construit la pièce en un ABA apaisé et tout à fait appréciable.

 

 

… et l’histoire s’achève sur le premier mouvement, Allegro con brio, de la Cinquième symphonie, arrangé par August Reinhard. L’heure est donc à la pince à linge, version exotique mais plutôt fonctionnelle. La circulation du thème, les spécificités du duo et le double souci de nuances comme d’énergie juste font de cette transcription mieux qu’une curiosité. La capacité qu’a Olivier Drechsel de jouer puissant sans pour autant faire du bruit contribue aussi à la réussite de cette proposition permettant de terminer ce disque avec la banane et la pêche : pari fruité et réussi !


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