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Le plateau de « Gianni Schicchi » (détail) après la bataille, le 29 avril 2025 à l’Opéra Bastille (Paris 12). Photo : Rozenn Douerin.

 

Enfer, Paradis, Purgatoire : ainsi le metteur en scène Christof Loy, qui fait ses débuts à l’Opéra Bastille, voit-il Il Trittico, ensemble de trois opéras en un acte que Giacomo Puccini a fini de composer en 1918. Une « vision » qui s’accompagne d’une distorsion puisque, pour faire cadrer l’œuvre avec sa décision, il modifie l’ordre des pièces, Gianni Schicchi précédant Il Tabarro et Suor Angelica. Peut-être cela a-t-il contribué à inquiéter les mélomanes, puisque la salle, quoique bien remplie, est loin d’être pleine pour cette première… à moins que ce ne soit l’agacement de voir, à nouveau, que tous les chanteurs sont non-Français ? On blague, mais on ne trouve pas moins scandaleux que, à l’opéra national de Paris, les artistes hexagonaux soient quasi systématiquement exclus des plateaux.
Quand s’ouvre le rideau sur l’opéra bouffe Gianni Schicchi, livretté par Giovacchino Forzano, la famille de feu Buoso Donati veille sa dépouille en sleurpant des spaghetti à la sauce tomate dans une chambre dépouillée, cependant ornée d’un frigo (sans doute un copain d’Étienne Pluss, le décorateur, en avait-il un à refourguer au moment où la maquette se montait). Sur scène, tout le monde est désespéré… de ne pas trouver le testament. Puis tout le monde est désespéré d’avoir trouvé le testament, puisque le mort y lègue ses biens au monastère du coin alors que chacun espérait une grosse part du gâteau. Rinuccio (Alexey Nekyudov, dont la voix paraît aussi jolie qu’incapable de passer l’orchestre) propose une solution : passer par Gianni Schicchi (Misha Kiria,

  • voix solide,
  • talent d’acteur,
  • aisance scénique)

dont il est accessoirement le futur gendre. L’homme est réputé malin. Hélas, il est aussi considéré comme un bouseux. Autant dire que, quand il débaroule, c’est un tollé, au point que Gianni envisage de décamper séance tenante en emmenant Lauretta, sa fille (Asmik Grigorian, qui entame véritablement sa trilogie par un « Mio babbino caro » de haute volée avec

  • tenues,
  • aigus,
  • nuances et
  • piani

insolents). Son papounet cède aux suppliques d’intercession (jolis effets de troupe autour de lui) par amour pour elle – suppose-t-on, même si c’est surtout par intérêt pour lui. Timbre

  • plein,
  • puissant,
  • expressif,

Misha Kiria propulse son personnage dans la jubilation de la mise en abyme, Gianni se décidant à incarner le mort pour rédiger un nouveau testament… en sa faveur.

 

Misha Kiria triomphe en chaussettes dans « Gianni Schicchi », le 29 avril 2025 à l’Opéra Bastille, sous les yeux d’Enkelejda Shkoza. Photo : Rozenn Douerin.

 

La spécularité du dispositif est d’autant plus efficace dramatiquement qu’elle fait résonner les faux-semblants des éplorés qui n’aspirent qu’au pognon (et à récupérer la mule du défunt). L’opéra est servi par

  • d’excellents premiers rôles, à une déception près,
  • des seconds rôles de belle tenue (mention spéciale pour
    • l’impressionnante Zita d’Enkelejda Shkoza, pétulante et musicale,
    • le bref médecin, aka maestro Spinellocio, de Matteo Peirone, habile et sûr, ainsi que
    • l’Amantio di Nicolao, d’Alejandro Baliñas Vieites, qui n’a pas une tête de notaire archétypal mais a la voix et le sens de l’incarnation qui vont bien),
  • une direction d’acteurs efficace (la rapacité des proches est mise en scène avec un excès comique très pertinent) et
  • un orchestre qui, sous la baguette de Carlo Rizzi, n’est peut-être pas aussi dynamique que l’on eût pu rêver mais se révèle
    • opérationnel, et hop,
    • capable de varier les couleurs, et
    • sachant profiter de l’écriture puccinienne, entre
      • ensembles,
      • soli et
      • circulation de la ligne entre les pupitres.

En dépit de ce qu’Olivier Balazuc aurait appelé des « rires Télérama », ces rires excessifs que certains spectateurs lancent pour bien montrer qu’ils ont compris que ce devait être drôle puisqu’on leur a dit que ce serait drôle (rires agaçants car souvent à contretemps, étant fondés sur la lecture des sous-titres et non sur l’action), voilà un premier épisode joliment infernal. Rendez-vous au purgatoire dans une prochaine notule !