Inauguration des orgues, Philharmonie de Paris, 6 février 2016
Y en aura pour tout l’monde : c’est la promesse de l’inauguration de « l’orgue symphonique » Rieger de la Philharmonie de Paris, ce samedi 6 février 2016 après-midi, que l’on peut entendre en entier, attente et entracte inclus, en cliquant ici.
La première partie s’articule autour de deux interprètes. D’abord, Bernard Foccroulle ouvre le bal. Sous ses doigts s’esquissent des pièces dans lesquelles l’interprète privilégie la clarté sur le brio. La Toccata en fa BuxWV156 sonne, mais avec un petit air strict et propre sur lui qui lui ôte en show-off ce qu’elle gagne en dignité. Le Memory de Pascal Dusapin, au sous-titre explicitant le type de zikmu dont c’est qu’est-ce qu’il s’agit (“hommage crypté et monomodal à Ray Manzarek”, bref), pâtit d’une partition à l’inventivité limitée, mais permet d’apprécier différents types de jeux – c’est sans doute le but de son exécution. Les belles Fantaisie et fugue en sol mineur BWV542 de Johann Sebastian Bach sonnent assez propres sans jamais se départir d’un sérieux un brin empesé aux ouïes de celui qui chercherait de la folie dans cette interprétation sérieuse que l’on eût rêvée, on l’aura compris, çà et là enflammée.
L’orgue dévoile de nouvelles facettes sous les doigts de Philippe Lefebvre qui propose une Pièce héroïque de César Franck subtile et énergique (ce qu’elle est si rarement, son nom ne décrivant qu’assez mal son contenu). L’énergie naît de l’utilisation optimale des jalousies expressives et de l’association entre volonté d’en découdre et subtilité des nuances. Suit le Boléro de Pierre Cochereau, accompagné par deux caisses claires. Cette pièce d’un petit quart d’heure fonctionne sur le principe du crescendo – decrescendo et permet de mettre en valeur des jeux moins grandiloquents que les tutti, ou moins nobles que les fonds stricto sensu. On retrouve cette exigence de l’exploration du nouvel instrument dans l’improvisation qui suit. De grands à-plats planants y sont parcourus de frissons, où registres aigus et nasillements d’anches font office d’événements, tandis que les basses grondent le rythme. Sur un ingrédient mélodique décharné, la riche texture suscitée par la rentabilisation des quelque six mille tuyaux, sans recherche de séduction immédiate, vaut à l’un des trois organistes de Notre-Dame une ovation méritée.
Demi-heure plus tard, la vedette attendue apparaît. Olivier Latry a préparé – par cœur – une série de quatre transcriptions plus une œuvre contemporaine. En choisissant des tubes (la Danse du sabre d’Aram Khatchturian, la Danse du feu de Manuel de Falla, la Danse macabre de Camille Saint-Saëns), le co-titulaire de Notre-Dame aurait pu se contenter de séduire l’oreille à l’aide de mélodies connues et de grandes masses sonores maniées avec dextérité. La pièce de Franz Liszt adaptée par Max Reger (Saint François de Paule marchant sur les flots) précise le propos : il s’agit bien de musique, non seulement d’esbroufe spectaculaire. L’anecdotique pièce de James Mobberley pour orgue et bruitage (pardon, “bande magnétique”), soucieuse d’intégrer la musique contemporaine (fût-elle sans intérêt, hormis le concours de synchronisation interprète – play-back) dans un programme consensuel n’y peut mais : avec un jeu précis, une pédale virtuose qui n’empêche aucune finesse de boîte expressive, l’interprète se place à l’évidence un cran au moins en surplomb de ses collègues. C’est à la fois intelligent dans la composition du programme, impressionnant techniquement, fort musicalement, intelligent et accessible. On aimerait s’agacer contre l’Organiste omniprésent, l’Inaugurateur par excellence, la Référence institutionnalisée : impossible. Quel beau travail, quel art et quelle science de l’orgue !
On craint donc la chute avec le dernier organiste du jour, Wayne Marshall, également excellent pianiste et charismatique chef d’orchestre. L’homme la joue à l’américaine. Il entame l’assaut avec trois mouvements de la Sixième symphonie de Charles-Marie Widor. Son premier mouvement est ébouriffant. Peut-être pas toujours très académique, mais l’énergie folle, l’envie de secouer ce tube des organistes symphoniques, la rage de dépoussiérer ce morceau de bravoure séduisent et soufflent le spectateur, d’autant que l’interprète n’oublie pas de jouer des contrastes de plans sonores, donc de donner vie à la musique. Les deux mouvements suivants traduisent peut-être la limite de l’orgue voire du jeu de l’interprète : fonctionnel, l’instrument permet de tout jouer, mais il lui manque une personnalité, une résonance, un mystère capables de séduire dans les mouvements lents, ce que trahit l’usage de pleins jeux désamorçant la verve du Finale (cinquième mouvement “normalement”), pas forcément heureux d’être collé à l’Adagio (deuxième mouvement). Le tout se termine sur un air canaille où l’Américain improvise sur Offenbach pour réjouir le gai Paris. Peut-être n’est-ce pas l’improvisation la plus inspirée et créative que l’on ait jamais entendue ; mais le boulot est honnête, exécuté par un organiste virtuose qui a pris la mesure de l’orgue et ouvre la voie de la sorte à un salut triomphal pour les quatre interprètes du jour.