Jean Guillou, “Colloques et répliques” (Augure) – 4

admin

 

Cliquer sur les hyperliens pour retrouver
la recension des colloques 1 et 2,
celle des colloques 3 et 4 et
celle des colloques 5 et 6.

 

Archétype de la ringardise, du passéisme et de la musique réactionnaire, le “concerto” ? Ce topos ne résiste certes pas à l’analyse dès lors que l’on entreprend d’essayer de le définir. Si, par cette appellation, l’on désigne l’association entre un instrument soliste et un orchestre symphonique, en général articulée en trois mouvements vif – lent- vif, il est certain que le concept a souvent été réinvesti depuis sa formalisation, notamment

  • par des projets harmoniques et structurels déstructurant les habitudes auditives des mélomanes les plus sages ;
  • par des innovations d’instrumentarium voire une remotivation du projet – ainsi, à titre d’exemple, des “concertos pour orchestre” où l’orchestre est à la fois le soliste et l’accompagnateur ; et
  • par l’application du terme “concerto” à des pièces fort éloignées de la rigueur matricielle originelle, quelque assouplie eût-elle été par la suite.

Il y a un peu de tout ça dans la démarche de Jean Guillou, et c’est ce que nous allons voir en écoutant ensemble le septième colloque composé en 1998.

 

Colloque n°7

Derrière l’unification sous l’appellation de colloque, le compositeur a apposé une étiquette qui pourra étonner, celle de “Concerto pour piano et orgue”. L’œuvre est présentée comme un seul bloc de plus d’une demi-heure – en réalité, elle est composée de trois mouvements – un Lento – Presto – Più largo, un Misterioso et un Tumultuoso ; son instrumentarium est exclusivement composé d’un piano et d’un orgue ; autant dire que, par rapport au projet archétypal de concerto, l’appellation peut paraître pour le moins incontrôlée. Loin d’être une provocation, l’opus 66 marque, selon Vincent Crosnier, un tournant dans les colloques dont d’autres numéros feront “évoluer l’esprit vers la forme, non avouée, du concerto”. L’appellation aurait donc influencé l’écriture d’œuvres ultérieures : rien de gratuit dans l’étiquette !
Aux prises avec une partition redoutable, Pavol Farkaš s’empare du piano et Martin Kovarik s’asseoit sur le banc de l’orgue de la Tonhalle de Zürich. Difficile de faire plus idiomatique, dans la mesure où le Kleuker de 4 claviers a été fomenté par Jean Guillou et sponsorisé par le même industriel qui soutenait ses Meisterkürsus suisses. Pour les gourmands, Antoine  Pietrini a rédigé une présentation – sérieuse mais accessible à tous les mélomanes – de l’instrument que l’on gagne à retrouver
ici.
Le prologue, paisible et onirique, travaille sur les résonances harmoniques.

  • Tenues de l’orgue,
  • accords doux du piano,
  • auscultation de différents registres et
  • effets de boîte expressive

ne freinent pas longtemps l’irritation de l’orgue puis celle du piano. Leur inimitié s’exprime dans le grave faute de trouver un exutoire dans les notes aiguës répétées. Le piano tient à prendre toute sa place. Nerveux, il paraît soucieux de concentrer son impulsivité. Toutefois, ses manigances laissent coi son complice même s’il finit par saisir, d’abord mezza voce, comme désabusé, la perche tendue.

  • Accords staccato 100 % guilloutiques,
  • effets de questions-réponses et
  • imitations

conduisent à un passage plus vif tournant, une fois de plus, autour des pulsions et impulsions du piano que l’orgue se contente de commenter au lointain.

  • Cycles de notes vite abandonnés,
  • irrégularités rythmiques,
  • brefs traits virtuoses et
  • grondements graves

signalent que la macération des rancœurs est en cours. Les breaks silencieux n’y peuvent mais. Ces deux-là ont un compte à régler qui peine à s’expliciter. Ce que l’on imagine être le deuxième mouvement, à 9’07 (si c’est vraiment lui, pourquoi ne pas avoir proposé une piste spécifique pour chaque segment ?), commence sur une série d’accords sourds, répétés, lâchés par l’orgue mystérieusement. Le piano secoue cette ouate.

  • Fusées,
  • explosions et
  • décibels

déchirent un temps l’acoustique. Puis l’écriture hésite entre résorption et expansion du domaine de la lutte. D’étranges propos émanent des tuyaux.

  • La conduite des lignes graves et aiguës,
  • la dynamique et
  • la grammaire liant
    • les éructations,
    • les hésitations et
    • les rodomontades d’histrion

accentuent la perte de repères narratifs, ce qui a le don d’agacer le piano. Passé l’orage, le voici à nouveau contraint de risquer de timides accords répétés, comme pour tester la réactivité de son vis-à-vis. Face à la fausse placidité de l’orgue et de ses anches, le piano fait son possible. Tour à tour, il la joue diplomate, timide, suiveur. C’est malin car le gros chat qui le regarde ne semble pas vraiment savoir où il veut en venir. Il faut profiter de sa difficulté à se décider.

  • Accents, variation des registres, recherche d’harmonies d’un côté ;
  • discours erratique, changement de couleurs, échos internes de l’autre ;
  • contrastes d’intensité, répétitions de notes, tentation de l’imitation et cependant imprévisibilité des lignes chez les deux.

Nous voici au cœur

  • d’un concerto sans concertation,
  • d’un mouvement porté sur un statisme en dents de scie (il n’y a pas de progression en dépit des à-coups sonores), bref,
  • d’un colloque où l’idiolecte employé échappe aux deux conférenciers sur le devant de la scène.

Les événements se succèdent sans faire avancer le schmillblick, les épisodes de fureur s’interpolent, et c’est avec à propos que des suspensions d’audience aèrent une atmosphère irrespirable par moments. À l’issue du deuxième mouvement (20’40), le mystère s’est sciemment densifié. On subodore que les opposants et complices ont échafaudé un plan pour ne pas en rester là. Un épisode tumultueux, qui aurait mérité une piste spécifique pour clarifier le propos, s’apprête à déferler sur l’auditeur.

  • Le grave de l’orgue,
  • les accords puissants et les traits du piano,
  • la porosité entre le longuissime trait de pédale incroyable et la main gauche du piano

précipitent une dynamique du chaos et de l’affrontement que les interprètes rendent saisissante par

  • leur précision,
  • leur engagement et
  • leur écoute mutuelle.

C’est

  • puissant mais non assourdissant,
  • rugueux mais non cataclysmique,
  • fervent mais non apocalyptique.

Jean Guillou ne déchaîne pas les Enfers, il déclenche le money-time du combat. Il y a des étincelles, des coups métalliques, des à-plats incendiaires, des déluges de grêle acide, des accalmies qui sentent le grisou, des déchaînements telluriques, des suspensions menaçantes, du brio pianistique, du bruyant organistique, des mécaniques qui rutilent, des crescendi qui s’auto-alimentent, des attentes grinçantes et une dernière note qui pourrait ressembler à un accord dans l’ambiguïté sémantique du terme… si le piano ne tenait pas in extremis à grogner une dernière fois pour avoir le dernier mot dans cette partition qui ne manque

  • ni de souffle,
  • ni d’ambition,
  • ni de dramaturgie.

Le marimba qui affrontera l’orgue dans le huitième colloque sera-t-il accueilli avec autant de virulence par le King ? Sera-t-il aussi bien servi par le compositeur que son cher piano ? Réponse dans un prochain post !

À suivre !


Pour acheter le triple CD contre 36 €, c’est ici.