Jean Guillou, “Colloques et répliques” (Augure) – 3

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et celle des colloques 3 et 4.

 

Les colloques 1 et 3 ont rappelé que cet intitulé guilloutique n’exigeaient pas l’usage de l’orgue ? C’est du passé. Les six colloques à venir démontrent que, sans être une règle, cette inclusion frôle la manie – et c’est plutôt une bonne nouvelle tant le clash de l’opus 15 esquissait le potentiel d’affrontement entre le roi des instruments et des sujets pas toujours convaincus du bienfondé de ladite royauté.

 

Colloque n°5

Le cinquième colloque reprend les duellistes du quatrième en éliminant les acolytes. Désormais, orgue et piano se font face sans falbala… même si la version choisie, avec Zuzana Ferjenčíková à l’orgue, relie plutôt la pièce du moment au deuxième colloque, dans la mesure où les deux œuvres ont été captées lors du même concert, à l’été 2009. Néanmoins, on sent dès les premières notes, que les deux instruments ne sont pas prêts à se bisouiller.
Des notes brèves, en écho, ouvrent le round d’observation. On se tourne autour, on s’observe, on se jauge. Inutile de se presser, il y a un quart d’heure pour défourailler. Premier à tenter une timide ouverture, l’orgue risque une question sur une anche de type cornet, histoire de voir. Le piano laisse passer et reprend son égrenage têtu. L’orgue le suit comme son ombre. L’instrument à marteaux tente de semer son imitateur, et les deux commencent de s’agacer sérieusement. Le temps de l’unisson est fini, pas celui de l’écho, le piano s’emparant du motif avancé par son comparse. Celui-ci lance les premiers jabs sous forme d’accords répétés. Provoqué, Jean Guillou tient son rang. Il ne recule pas, se contente de se déplacer. Le motif de l’orgue devient à la fois une pomme de discorde et un point commun, donc ça n’éclate pas encore.
Une tenue puissante de l’orgue, jouant sur les jalousies des boîtes d’expression et des changements de registration (la pièce est écrite sur mesure pour l’instrument… à moins que ce ne soit l’inverse !), semble lancer les festivités. Le piano se dévoile sur un déhanché jazzy. Pourtant, là encore, le compositeur retient les combattants. Des notes répétées au piano signalent l’agacement de l’instrumentiste. Les escarmouches se multiplient, et l’orgue se lance dans le fight… quelques instants. L’heure est encore à la rumination – et au plaisir d’entendre les timbres si variés offerts par le monstre de Saint-Eustache.
Nous voici au mitan du combat de titans. Rien n’est joué. La décision n’est pas faite. Les adversaires semblent hypnotisés par le motif liminaire, comme s’ils craignaient que, en le faisant voler en éclats, ils déclencheraient la guerre nucléaire entre les vitraux de l’église des Halles. Visiblement, ils ne s’aiment pas, mais ils se respectent. Ils savent de quoi l’autre est capable. La première erreur serait la dernière. C’est un combat de poids lourds, pas une démonstration de majorettes. Il y a

  • de l’électricité dans ce statisme,
  • du suspense dans cette retenue,
  • de l’agressivité dans ce pacte de non-agression.

Le piano s’escagasse, l’orgue rugit ; cependant, les ennemis hésitent à se livrer complètement. L’un après l’autre, ils cherchent de petites ouvertures,

  • par l’aigu ou le grave,
  • la tenue ou le surgissement,
  • l’accord plaqué, l’octave virulente ou l’intervalle étalé.

Ils tentent de jouer à toi à moi, s’accrochent puis se séparent, se défient puis s’attendent. Les escarmouches sont souvent sans suite. La résonance de l’église n’y peut mais : faute de combat, on en revient au début. Aux échanges sur une note. À l’observation. À l’attente. Le verdict n’est pas tranché. Ce combat principal va-t-il accoucher d’une souris ? Le compositeur s’amuse à déjouer l’attente du cataclysme sans relâcher longtemps la tension.

  • Traits virtuoses de l’orgue,
  • échanges vigoureux entre les protagonistes,
  • puissantes et éphémères algarades

débouchent sur des tutti fragmentés de l’orgue et une descente dans les graves du piano qui ont tout du pétard mouillé. La grande guerre n’a pas eu lieu, et ce colloque s’apparente à un désert des Tartares, loin des clichés ou de la resucée à l’identique attendue : bien joué !

 

Colloque n°6

Après la confrontation, le rassemblement ! Le sixième colloque associe l’orgue aux percussions (cloches, vibraphone, marimba, tam-tam, tam-tam grave, cymbales suspendues, cymbale aiguë, cymbale grave, temple blocks, wood blocks, caisse claire) manipulées par Guillaume Itier et l’ultra guilloutique Hélène Colombotti, un soir de janvier 2005 dans l’antre du maître, évidemment. L’opus 47, avec Jean Guillou à l’orgue, donne d’abord la parole aux tuyaux sur des fonds tournoyants et irréguliers qui paraissent plusieurs fois s’épuiser dans leur course. Le changement, c’est maintenant : une registration plus massive prélude à l’entrée des complices. La cymbale grave et les cloches pimpent une partition complexe où

  • trilles,
  • itérations,
  • ondulations et
  • aspirations vers l’aigu

semblent se synthétiser sur une tenue que secouent bois frappés et instruments à peau. La progression grotesque de l’orgue est surplombée par un vibraphone plus curieux qu’inquisiteur. L’orgue trémoloïse alors, cherchant une direction qui peine à se dessiner. L’histoire place moins le dialogue au centre que la quête, souvent inquiète. Le marimba suggère des pistes que semblent refuser le cornet et défier le vibraphone. Ensemble, trouve-t-on mieux la sortie ? Pas sûr.

  • Les hésitations des tuyaux,
  • les cliquetis des cymbales,
  • les rebonds et traits sans suite du marimba,
  • les effets de gongs proposés par les cloches,
  • les roulements de caisse claire

n’allègent pas l’atmosphère ni ne dissipent le mystère. Autant le cinquième colloque était un colloque de conjoncture, poursuivant l’affrontement entre marteaux et tuyaux, autant le sixième colloque est le colloque des conjectures. Le sens se dissout dans un mélange de dialogues éparpillés et de monologues disjoints, qui précipitent l’auditeur dans un questionnement qui paraît participer de la dynamique compositionnelle. Cette fois, il s’agit moins de narrer que de jeter des textures trouées et de laisser l’auditeur ravauder ce qui, selon lui, peut ou doit l’être. L’énigmaticité est

  • mélodique,
  • rythmique et
  • logique.

Marimba et orgue tentent certes de dialoguer pour de bon dans un échange vigoureux, mais les tuyaux s’enflamment trop vite et brûlent les vaisseaux de la dialectique un temps entrevue. Les instruments à peau tentent alors de faire entendre raison au dieu aux milliers de bouches – peine perdue. Du fortissimo au piano, les liens

  • se distendent,
  • s’entortillent ou
  • se rompent.

La poésie du vibraphone, le tremblant de l’orgue, le cristal des aigus prolongent un brouillard où un cromorne et une tenue ultragrave eux-mêmes finiront par abandonner la lutte. Les tentacules nébuleux d’une quête impossible ont enserré la musique dans leurs rets, et ni le son, ni le sens n’y ont survécu. Ressusciteront-ils avant le “concerto pour piano et orgue” que nous explorerons lors d’un prochain post, tadaaam ?

À suivre !


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