« Le Neveu de Rameau » d’après Diderot (Paris 2), 23 octobre 2025

Détail de l’affiche du spectacle

C’est l’histoire, tirée d’un roman dialogué,

  • d’un loser,
  • d’un bouffon et/ou
  • d’un pique-assiette.

D’un côté, le Philosophe qui a réussi, ce qui est peut-être un échec pour un philosophe ; de l’autre, le neveu de Rameau, qui a tout foiré ce qui n’est pas une réussite. Le premier (joué par le metteur en scène Vincent Auvet) décide de payer à boire puis à manger au second (Jean-Pierre Colombiès)

  • un peu pour être bousculé,
  • peut-être pour jauger sa propre capacité de répartie (plutôt nulle, en réalité),
  • mais surtout pour s’en payer une bonne tranche.

En effet, le loser est cocasse. Il revendique d’être

  • un escroc,
  • un fake,
  • un adepte du vice.

Sur ses échecs successifs, il a bâti son personnage.

  • Musicien étouffé par l’ombre de son oncle, il a donné des cours de clavecin voire de composition sans connaître un traître mot de ce qu’il enseignait.
  • Écrivain impuissant, il a développé son verbe parfois fleuri pour se vanter de ses mauvaises fortunes.
  • Mari largué, il regrette sa femme pour sa croupe, partie des personnes du beau sexe qu’il préfère, et pour ce qu’elle pouvait lui apporter dans la bonne société grâce à ses appâts avantageux.

Las, ses rodomontades n’en peuvent mais : même dans son travail de parasite, il échoue. Viré pour excès d’insolence, il n’arrive pas à rentrer dans le rôle du soumis repentant et se retrouve à devoir aller à l’opéra. Pas pour entendre une œuvre d’Antoine Dauvergne mais pour aller mendier à la sortie, son orgue de Barbarie en bandoulière.
Si, avec seulement deux comédiens sur scène, la pièce entre dans la catégorie des pièces « pas chères », elle fait néanmoins l’effort de taper dans le costume et les accessoires presque d’époque. Surtout, ce soir de première, elle est portée par un Jean-Pierre Colombiès en feu. L’acteur a deux voix à son répertoire, avec un large éventail d’expressivité pour chacune d’elles. Fort de cet atout, il construit un personnage

  • ambigu,
  • retors,
  • insaisissable et
  • finalement sympathique comme peuvent l’être les filous de théâtre.

Le résultat ?

  • Ça parle juste,
  • ça joue précis,
  • ça ne faseye pas.

Il y a

  • de l’électricité alla Cyrano Depardieu dans ses emportements,
  • de la détresse à peine masquée dans le récit des plus grands exploits,
  • du doute permanent dans l’assurance qu’il étale comme une mairesse de grosse ville ou de gros arrondissement étale ses notes
    • de taxi,
    • de pressing ou
    • de sa(lo)pe Dior.

Face à lui, Vincent Auvet rend avec habileté l’ambiguïté de son propre personnage, à la fois

  • meneur de jeu et dupe,
  • mécène s’offrant une représentation privée et imbécile rossé verbalement par son protégé,
  • donneur de leçon et petit garçon souventes fois sermonné.

L’adaptation dramatique revigore un texte

  • drôle et joyeusement dérangeant,
  • captivant et heureusement acide,
  • prenant et progressivement malaisant

tant, le temps avançant, on sait de moins en moins si l’on doit

  • s’indigner des propos du mauvais garçon,
  • sourire de ses provocations ou
  • plaindre un type un peu perdu pour la société, pour lui-même et pour le « petit sauvage » qu’il a engendré.

Le moment est

  • remarquable,
  • passionnant,
  • joliment enlevé

et, ce, dès la première, donnée dans un lieu encore confidentiel du centre de Paris. Que sera-ce, sans doute, lors des reprises dont certaines sont presque annoncées, notamment au théâtre Darius-Milhaud lors des dates gardées secrètes hic et nunc. Ne laissons pas Diderot ou Rameau aux profs et aux musicologues : profitons de cette adaptation savoureuse pour jouir d’un théââââtre

  • accessible (c’est une qualité),
  • divertissant et
  • stimulant !

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