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Nicolas Horvath à Misy-sur-Yonne et au bout de la nuit, au terme d’une performance de huit heures consacrées à la musique minimaliste. Photo : Bertrand Ferrier.

 

La publication des Dix-sept préludes à la nuit noire, composés par Nicolas Horvath, est l’occasion pour le compositeur de revenir sur sa geste créatrice. Quelle vision a-t-il de la composition électro-acoustique ? Sa technique de création a-t-elle évolué au fil du temps ? Quel rapport se noue entre son travail d’interprète et son œuvre de création ? En cinq épisodes, l’artiste nous invite à plonger sans filet dans les mystères de la musique électro-acoustique en général et de sa musique électro-acoustique en particulier. Pour le deuxième mouvement de cette symphonie, bienvenue dans le cerveau vertigineux d’un homme de l’art complexe, singulier et passionnant !

1. Géologie des préludes

2. Identité du compositeur

3. Dissection de la composition
4. Architecture de la musique
5. Éloge de l’écoute
6. Bonus

Au début était Nicolas Horvath, jeune artiste qui pensait s’exprimer par le piano. Ensuite, Nicolas le pianiste a été mis au travail de fond, occupé à se sculpter une technique de fer sous la férule de professeurs sans pitié. S’échappant du musicien qui s’échinait à pilonner des petits marteaux, Horvath l’artiste, aka Dapnom et A.E.P., est devenu une figure de la scène électro-acoustique. Depuis quelques mois, il a relevé son grand défi artistique : réconcilier ses deux amours musicaux. Dans ce deuxième épisode, avec lucidité, humour et profondeur, il nous offre une enquête fascinante sur

  • l’émergence du compositeur électro-acoustique en lui,
  • sa coexistence complexe avec l’interprète de musique classique, et
  • la nature – finalement très proche – des enjeux artistiques qui irriguent ses deux pratiques musicales.

 

 

« Scriabine est le compositeur pour qui je vibre le plus »

 

Bertrand Ferrier – Dans la première partie de notre entretien, nous avons vu que ta créativité artistique, tu pensais la consacrer au piano, dans ton activité d’interprète. Las, quand tu « montes à la capitale », ton nouveau prof décèle à la fois ton potentiel et tes fragilités structurelles. Pour te faire passer un cap, il exige que tu te consacres exclusivement au travail technique. Tu trouves un dérivatif à ta pulsion créatrice en te jetant à corps perdu dans l’électro-acoustique. C’est ce que l’on peut entendre sur les Tapes Years (six disques aussi modestes d’apparence que passionnants à l’écoute)…
Nicolas Horvath – Disons que mon investissement du champ électro-acoustique était en fermentation dans les projets des années 2001-2002. À l’époque, ce n’était pas toujours très abouti, je peux bien le reconnaître. Néanmoins, il y avait déjà une énergie, une envie et des pistes qui sont devenues vraiment sérieuses en 2004. Sur le moment, l’exigence de Bruno-Léonardo Gelber m’a laminé mais, à terme, elle m’a doublement sauvé. Pianistiquement, on en parlera peut-être ; artistiquement, elle m’a conduit à développer le personnage de Meldhkwis pour chapeauter ma production électro-acoustique sous un nom de code : Dapnom.

Pourquoi ce double pseudonymat ?
Cela peut surprendre car, depuis cette période lointaine (presque vingt ans ont passé !), les mentalités ont un peu évolué. Mais, en 2004, elles étaient orthonormées, arc-boutées sur une conviction : un pianiste classique ne doit faire que du piano. Impossible de devenir pianiste si on n’est pas que pianiste. Même mes études officielles en électro-acoustique, il était hors de question de les partager dans le monde du piano ! Un pianiste, c’est quelqu’un qui joue du piano tout le temps. Il ne peut faire rien d’autre. Imagine, si l’on apprend en plus qu’il fricote avec la scène expérimentale… un monde qui sent tellement le soufre…

Soyons clair : tu évoques l’iconographie sataniste et le penchant pour les drogues variées que les principaux acteurs de ce business ont érigés en items consubstantiels à ce type de musique.
Oui, c’est une ambiance sulfureuse pour laquelle j’avais une certaine curiosité, mais mon intérêt était biaisé. Il était à la fois alimenté et filtré par Scriabine, dont je suis un admirateur inconditionnel – je pense toujours que c’est le compositeur pour lequel je vibre le plus.

Au passage, pourquoi n’en as-tu pas encore enregistré ?
Je suis Français. Du coup, les maisons de disque avec qui je travaille m’ont toujours dit que ça ne serait pas intéressant, id est que ça ne se vendrait pas.

Soit, en attendant que les sots changent d’avis, comment Scriabine t’a-t-il conduit jusqu’à tes préludes ?
En écoutant, en travaillant, en luttant, en lisant du Helena Blavatsky, j’ai découvert le monde insoupçonné des occultismes qui irriguaient une grande partie de la scène underground, la fameuse scène UG. Donc, incontestablement, même quand, comme moi, on ne touche pas aux drogues et quasiment pas à l’alcool, l’underground, ça sent le soufre.

 

 

 

 

« Ma part sombre a été très développée »

 

Il faudrait être grand clerc pour découvrir des pentagrammes inversés dans ta musique.
Plus idiot que grand clerc, à mon avis : les questions alentour m’intéressaient, mais les diableries en elles-mêmes, c’était pas mon kif.

N’aurais-tu pas gagné à te fondre dans les codes satanisto-militaires ?
Si, si, si, mille fois si, bien sûr ! Je suis sûr que mes ventes auraient explosé si je m’étais vautré dans l’une des deux fanges : l’iconographie sataniste et l’iconographie nazi. Par exemple, à cette époque, si tu faisais de la merde en mettant dessous des discours de nazis, tu étais garanti de vendre des milliers de disques. Des milliers ! C’était pas négligeable !

Face à cette possibilité sinon cette tentation, Meldhkwis t’a permis de canaliser à la fois ta pulsion artistique et ton intégrité musicale.
En réalité, ce personnage incarne ma part sombre. Il symbolise la part de doute que j’avais quant à mon avenir de pianiste. En fait, Meldhkwis personnifiait tout le mal-être accumulé depuis mon enfance. Je lui ai donné corps, donc je lui ai donné une réalité, c’est-à-dire une valeur ou, du moins, une ambition artistique, afin de pouvoir regarder – autrement dit : affronter – celui que j’étais.

Les préludes que tu publies aujourd’hui sont-ils une réconciliation entre Nicolas, Horvath et Meldhkwis ?
Tu simplifies tout, mais je reconnais qu’intégrer Meldhkwis a nécessité un vrai parcours de vie.

Reste que la sortie de ces Préludes a une portée autobiographique ?
Les Préludes qui paraissent racontent quelque chose de moi, oui. Ils saluent et mettent à distance ma part sombre, qui a été très développée jadis. Dans les années 2000, j’étais, sous le nom de Dapnom, le premier à faire ce qu’on a appelé du black noise. À l’époque, en France, le dark ambiant n’était carrément pas à la mode. Pire, c’était suranné depuis une dizaine d’années, peut-être ! Moi, j’ai refait ce genre de projet dans la scène underground. L’écho a été important. Dès lors, il y a eu toute une vague opportuniste autour de ça, mais les vrais savaient qui avait amorcé ces sons, chez nous. Je jouissais d’une bonne réputation parmi les pairs. Je travaillais avec beaucoup de groupes dont certains de grande renommée. Dans le même temps, j’étudiais au conservatoire avec Christine Groult et François Bayle, mes pièces avaient été sélectionnées par Bernard Parmegiani pour son quatre-vingtième anniversaire.

Comme le piano était en stand-by, tu pensais recentrer ta carrière artistique sur ce créneau ?
Je ne suis pas sûr de ce qu’est une « carrière », et je ne sais pas si l’électro-acoustique est un créneau ! Néanmoins, oui, pour moi, tous les feux étaient verts, côté électro-acoustique, alors que, côté piano, j’étais en train de refaire mon apprentissage selon les critères de l’École Nationale de Musique. En d’autres termes, en piano, rien ne marchait ; en électro-acoustique, tout marchait. Devine vers quoi je pensais pencher.

 

 

 

 

« En 2008, on comptait les morts »

 

Sauf qu’arrivent tes trente ans, âge vénérable pour un pianiste classique, mais âge où tu gagnes tes premiers prix artistiques.
Oui, c’est le moment où le piano a pris le pas sur l’électro-acoustique. Un moment où il y a eu un basculement. Et un moment où ma grand-mère est morte.

Tu étais très proche d’elle, je crois.
Je dirais plus : elle était comme une seconde mère, pour moi. Mes parents ont divorcé très tôt. Ma mère travaillait comme une folle, la semaine et le week-end. Je ne la voyais pratiquement jamais. Pendant les vacances, c’est ma grand-mère qui s’occupait de moi.

Tu m’as laissé entendre qu’elle était « un personnage ».
Oh que oui ! Elle est de ces femmes italiennes qui ont fait la guerre et le maquis. Avec elle, il ne fallait pas être une femmelette. Il ne fallait pas pleurer. Quand elle est morte, je n’avais plus rien à perdre. Je me suis réinscrit à un concours international – en l’espèce, le concours Scriabine. J’étais doublement à la limite : les inscriptions fermaient quinze jours plus tard, et j’avais déjà trente ans, l’âge maximal. J’y suis allé en catharsis. Sans rien espérer.

… et tu as obtenu un Premier prix.
Oui. Je n’y croyais pas. Après ça, j’ai enchaîné plusieurs gros « Premier prix », et j’ai commencé à y croire.

Ç’a dû être une bénédiction pour Nicolas le pianiste et une malédiction pour Horvath le compositeur !
Disons que ma carrière de pianiste a explosé. Ç’a été vraiment génial, d’autant que, au même moment, la scène expérimentale commençait de subir ses premiers revers. En 2008, je me souviens que la première vraie crise du disque était déjà bien engagée. La concurrence de myspace battait son plein. Les premiers échanges en peer to peer n’arrangeaient pas nos affaires. En clair, l’économie de l’underground était en train de s’effondrer. On comptait les morts.

 

 

 

 

« Tout change quand on te fait écouter Pierre Schaeffer »

 

Était-ce uniquement lié à la mutation de l’écosystème, ou le petit monde expérimental avait-il sa part de responsabilité dans le cataclysme ?
Les deux, probablement. Moi, j’avais été le premier à développer le genre de musique que je minais, j’avais essuyé les plâtres ; puis l’offre était devenue pléthorique.

Avant ce trop-plein, il y avait le vide et les Objets Audibles Non Identifiés que tu concoctais…
C’est un peu ça. Concrètement, à mon arrivée, ceux qui étaient habitués à une musique plus proche du hard rock, du black metal et tutti quanti, quand ils ont posé mes disques sur leur gramophone, ils n’ont rien capté ! Même sans méchanceté, ils ne comprenaient pas le pourquoi du comment. Limite ils se demandaient : « Ils le vendent, ça ? » Je me souviens de la première critique que j’avais obtenue, et où j’avais été descendu au bazooka sur l’air de : « Réservé à ceux qui aiment les intros qui n’en finissent pas ! » Je comprends que, si on est fan de Marduk, ça doit faire bizarre…

 

 

 

 

Ton disque n’était pas tombé sur le bon bureau !
Je ne sais pas s’il existait un bon bureau… Le disque, je l’ai envoyé à ceux qui critiquaient à ce moment-là. Donc j’ai défriché le terrain. Littéralement. Et, après, ma musique qui paraissait inécoutable est devenue à la mode. Au début, j’étais trop seul pour être audible ; à l’inverse, après, quand on s’est rendu compte que j’avais des auditeurs, je me suis retrouvé noyé sous des mèmes, pile au moment où j’ai été happé par le piano, donc dans l’incapacité de m’occuper de la scène underground.

Tu avais alors produit un bon nombre de créations, dont tu rappelles les principaux achèvements sur la partie « Discographie » de ton site
Oui, j’ai publié pas mal de cassettes et de CD qui ont rencontré un succès considérable, à mon échelle. Tout partait, tout était sold out, ça marchait super bien ! Sauf que, en 2006, quand je suis entré au conservatoire en électro-acoustique, mon son a changé. Il était temps. J’avais pressenti que je me heurtais à une sorte de plafond de verre, constitué de facilités, d’habitudes et d’ignorances, qui m’empêchait de m’améliorer. J’ai compris pourquoi en travaillant avec les grands maîtres de l’électro-acoustique. Tu sais, tout change quand on te fait écouter Le Solfège de l’objet sonore de Pierre Schaeffer. Tu deviens un autre quand tu lis le Traité des objets musicaux.

Pourquoi ?
Eh bien, tu commences à mettre de l’ordre dans ta bibliothèque mentale. Tu distingues et tu nommes les sons variés, homogènes, tramés, toniques, complexes, itératifs, avec leurs attaques, leurs grains, leurs corps et leurs chutes, et leurs mises en cellule ou en loop, leur construction, leur accumulation, leur extension, leur allure, leurs rapports, leurs transformations, etc. Tu n’écoutes plus les sons de la même façon. Tu penses à l’appétence, à la structure, aux qualités intrinsèques de ce que tu entends et utilises dans ton travail. Bref, ta musique évolue, et les labels avec qui tu travaillais jusque-là te jettent.

 

 

 

« Je devais être plus cohérent avec moi-même »

 

J’imagine qu’ils eussent continué de te choyer si tu avais continué de pondre du bon vieux Dapnom sans changer les ingrédients de se recette éprouvée.
Ils savaient ce qu’ils voulaient : les bonnes vieilles cassettes que l’on entend dans les Tapes Years. Ça, ça se vendait. Ce n’était pas qu’une question commerciale, note bien : il y avait derrière l’idée artistique que, pour eux, Dapnom, c’était ça. Pour moi, c’était plus ça.

Tu aurais pu continuer à produire tes musiques à l’ancienne, histoire de…
Je ne voulais ni mentir, ni revenir en arrière.

Tu n’as pas arrêté pour autant.
En effet, d’autres albums sont sortis, comme le Acedia ou le Aceldama (du nom de ma grand-mère), qui est mon album le plus abouti. Et d’autres albums sortiront – le prochain devrait être Soliloques, dont on trouve des moutures dans le dernier disque des Tapes Years. Ensuite, on va remonter le temps, du dernier au premier, pour un total prévu de quatre ou cinq sorties, pas plus.

Tout se passe comme si, après t’être détaché du Dapnom première façon, tu cherchais cette fois à ne pas perdre le public qui te suit en tant que pianiste et, au contraire, à l’ouvrir à d’autres facettes de ta créativité artistique.
Disons que je ne voulais pas commencer par mettre en avant les Tapes Years. Parmi ceux qui ont l’habitude de mon travail d’interprète, certains auraient pu trouver ces propositions obscures ex abrupto. C’est pourquoi j’ai préféré ouvrir la série par un travail abouti, histoire de ne pas créer un choc contreproductif… même si choc il pourra toujours y avoir !

En effet, en dépit de ta prudence, pour ceux qui t’ont suivi dans Liszt, Glass, Satie ou Montgeroult, le dark ambiant, ça risque de secouer ! Néanmoins, on a l’impression – en témoigne l’insertion d’un piano étrange, par exemple dans les quatrième et huitième préludes – que le moment est venu, pour toi, de faire ton coming out et d’assumer les deux facettes du Janus musical que tu es.
Il y a de ça, évidemment. Et ce que je trouve très spécial, c’est que, pendant très longtemps, je n’assumais pas la part électro de mon travail. À force de cloisonner, j’avais dû intégrer l’idée qu’elle était irréconciliable avec mon activité de pianiste. La vie me poussait à le penser : Dapnom est resté en jachère car le piano a mangé mon temps de créativité et de travail disponible. Aujourd’hui, j’aspire à plus d’équilibre. J’ai inséré certaines pièces inédites de Dapnom dans les Préludes parce que j’ai jugé que ça marchait bien et que c’était intéressant.

Paradoxalement, au moment où tu te ré-unis, tu multiplies les collaborations…
Ce n’est pas un paradoxe. Je devais être plus cohérent avec moi-même si je voulais l’être avec les autres – que ces autres soient le public ou d’autres artistes électro ! Ma collaboration avec Lustmord m’a aidé à faire un premier pas dans cette direction. C’est dans cette perspective je travaille avec le label SubRosa. Ça me permet de rendre hommage aux musiques que j’admirais quand j’étais dans la scène underground : le dark ambient avec Lustmord, le noise avec Merzbow, le minimalisme avec La Monte Young – pour lequel j’ai signé quatorze collaborations allant du noise au metal en passant par le dark techno, enfin, des choses parfois très, très, très barrées –, etc.

 

 

 

 

« J’ai découvert que des gens avaient continué à composer après Albert Roussel »

 

On y a fait allusion, mais on peut l’expliciter : cette sorte de réconciliation entre les différentes parts de toi-même est illustrée par tes disques mais aussi ton nouveau site.
Il est vrai que, avec mon épouse, nous avions cet objectif en tête depuis longtemps. Le confinement nous a permis, en quelque sorte, de nous y coller ; et, cette fois, j’ai assumé la part électro-acoustique de mon travail. C’est la première fois que j’y fais référence.

Quel déclic t’y a poussé ?
Un événement qui, a priori, n’a rien à voir : je suis devenu père.

En effet, deux salles, deux ambiances. Quel rapport ?
J’ai eu l’impression que, pour être vraiment celui que je devenais, je devais réintégrer aussi cette part de moi qu’était ma vie de compositeur électro-acoustique. Je ne dis pas que le processus qui me poussait à renaître à ce que j’avais été avait des similitudes avec l’enfantement. Toutefois, cette part de moi, je l’ai portée si longtemps de façon souvent dissimulée que j’ai eu le sentiment de ne plus pouvoir la laisser en friche. Aussi ai-je fait mon coming out !

Tu veux dire que ta paternité a bousculé l’image que tu te faisais de toi-même en tant que musicien ?
Réfléchir à ce que signifiait devenir père a incontestablement contribué impacté mon image d’artiste. Assumer Dapnom est aussi une façon d’assumer le musicien que je suis. Sans Dapnom, je suis tronqué. Par exemple, sans Dapnom, je n’aurais jamais découvert la musique contemporaine. Tout ce pan de la création, qui constitue une large part de mon travail d’interprète, je l’ai découvert lors de mes classes d’électro-acoustique à Pantin. Ça va te paraître bête, mais c’est grâce à cette classe que j’ai découvert que les compositeurs n’avaient pas disparu. Il y avait toujours des gens pour écrire des partitions !

À l’École Normale de Musique, j’imagine que les pièces contemporaines n’étaient pas en odeur de sainteté…
Aucun de mes maîtres ne s’y intéressait, ni dans ma formation, ni à Cortot. La musique s’arrêtait à Albert Roussel. J’exagère : Gérard Frémy aimait ça. Il aimait beaucoup en parler, et on avait abondamment échangé sur la musique actuelle – mais je manquais de recul, alors, j’avais dix-huit piges. Dans ce domaine, toute ma culture restait à faire. La Monte Young, par exemple, j’en avais vaguement entendu parler mais, pour moi, c’était un autre monde. Pas le mien. Pourtant, aujourd’hui, je me rends compte que, dans ma musique dark ambiant, germait déjà le mouvement minimaliste qui m’a tellement apporté par la suite.

Le créateur et l’interprète préparaient leur réconciliation à travers l’utilisation de motifs élémentaires qui se répètent et se déforment sans cesse ?
Oui, il y a bien ces deux éléments : ça se répète et ça se déforme, alla Philip Glass, chez qui « c’est » toujours pareil mais jamais pareil. Pour moi aussi, la répétition et la déformation sont essentielles. J’écris par couches. Je conçois plus mon travail en termes de verticalité que d’horizontalité. Je ne me concentre pas sur une strate unique mais sur plusieurs couches qui se développent simultanément, avec des similitudes et des disjonctions. Aussi la réflexion sur la trame – donc sur la répétition – et sur la longueur – donc sur la déformation – est-elle consubstantielle à ma musique et à la musique minimaliste. Imagine ma stupéfaction quand j’ai découvert le minimalisme ! J’ai eu l’impression que je le portais en moi depuis les débuts de Dapnom…

Comment avais-tu pu échapper à ce parallélisme jusqu’alors ?
Très simplement : j’avais dissocié la scène underground et ma vie de pianiste. Les deux mondes étaient séparés.

En 2022, il semble que ces galaxies insuperposables se soient rapprochées… pour toi. Mais qu’en est-il de ton public ?
Il est probable que la dichotomie entre le compositeur que je suis et l’interprète que je suis aussi perdure et perdurera. Est-ce si grave ? Je ne crois pas. Nos curiosités à tous ont des limites, c’est plutôt sain de le reconnaître !

 

 

 

 

À suivre !