Monica Leone et Michele Campanella jouent Schubert (Odradek) – 7/9

Première du disque

 

La quatrième des six marches op. 40 de Franz Schubert est un allegro maestoso en Ré qui, poli, ne crache pas sur la solennité mais veille à l’aménager

  • en frottant le dactyle binaire aux triolets de croche,
  • en contrastant les nuances, et
  • en posant çà et là de coquettes appogiatures.

Point de reprise médiane pour laisser le fil du morceau se dérouler. Le choix est heureux car le compositeur paraît chercher, en vain, un motif satisfaisant. On l’entend presque maugréer tandis qu’il mâchonne la rythmique liminaire sans parvenir à en faire jaillir une mélodie convaincante. Les interprètes rendent avec une belle hauteur de vue le mélange

  • de recherche,
  • de frustration et
  • d’obstination

qui semble habiter la page.

 

 

Le trio en Sol va son chemin, propulsé par des staccati graves. Un contrechant éclaire sa dernière partie, avant la seule reprise effectuée par les pianistes dans cette œuvre. Comme sur l’ensemble du disque, Monica Leone et Michele Campanella ébaubissent par

  • leur finesse de toucher,
  • leurs variétés de nuances piano et
  • leur remarquable synchronisation.

D’abord ancrée dans la vicieuse tonalité de mi bémol mineur, la cinquième marche – la plus longue – est un andante aux allures de procession. Une partie intermédiaire en fa# mineur alterne

  • rythme pointé,
  • ornements  et
  • échos graves pendant la modulation

revenant au motif et à la tonalité liminaires. Les musiciens tirent le meilleur d’une partition souvent étique, où une forme de méditation peut sourdre

  • de la retenue,
  • de l’aspect souvent motorique de la partie du piano II, façon walking bass, et
  • des redondances
    • (répétitions de motifs,
    • itération de progressions, et
    • recours massif aux unissons octaviés).

 

 

Le trio, majeur et bariolant, semble chercher à s’emporter sous ses airs tranquilles.

  • Intervalles répétés,
  • modulations très provisoires et
  • crescendi avortés

font frémir une pâte sonore toujours finement battue par les porte-voix de Franz S. La sixième et dernière marche est un allegro con brio en Mi. Le brio est ici multiple. L’évoquent

  • les flonflons des fanfares,
  • le lustre d’ornements rares mais pimpants,
  • l’éclat d’un piano dont les registres s’élargissent vers le très aigu, et
  • la fougue des contrastes
    • (attaques,
    • intensités,
    • tonalités).

Le compositeur associe à l’emphase l’éclat d’une mélodie qui perce au milieu des feux d’artifice.

 

 

Le trio en Ut – avec reprise des deux segments – tranche par

  • son calme,
  • ses aigus octaviés, et
  • les jolis mouvements inverses du piano I.

Cette sérénité donne tout son suc à la tonicité de la marche, réinjectée en guise de da capo. Monica Leone et Michele Campanella ont cependant l’habileté de ne pas stabyloter la dimension vigoureuse de la pièce. Ainsi évitent-ils la caricature (une partie pétaradante, une partie mollichonne) pour évoquer davantage

  • l’ambiguïté de la forme ABA,
  • la continuité entre deux états d’esprit, et
  • la contamination des deux humeurs par-delà l’apparente inviolabilité de la frontière (des rythmes pointés dans le trio laissant percer la nature martiale du projet, des pulsions mélodiques affleurant çà et là dans la marche, tempérant ainsi son caractère fondamentalement rythmique).

Une interprétation peut-être plus captivante que les marches elles-mêmes, bien que l’on se réjouisse d’écouter, après

  • une fantaisie,
  • des polonaises,
  • une danse,
  • un rondo et
  • un thème + variations,

un autre aspect de l’œuvre pour piano à quatre mains de Franz le prolifique… alors qu’une fugue et une seconde fantaisie nous attendent une prochaine notule pour tournicoter sur notre gramophone.


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