Romain Watson, Kilomètre zéro (Paris 3), 14 mai 2025 – 2/2

Magic Mélanie, Romain Watson et Ti Kafouti, un fan, au Kilomètre zéro (Paris 3), le 14 mai 2025. Photo : Rozenn Douerin.
… et puis tout s’est accéléré – ici, c’est Paris. Oubliée, la partition en deux sets : justement soucieux de garder son audience captive, Romain Watson et Magic Mélanie ont décidé de clipser la seconde mi-temps sur la première, narrée ici – tant pis pour le beau lourdaud qui aurait préféré un break pour aller arroser les lieux d’aisance. Tout recommence(ra, titre d’un disque du zozo) avec la fonction rentabilisatrice de la chanson. On peut bien l’écrire, même si l’adjectif n’existe pas, rien n’est plus rentabilisateur qu’une chanson. Avec une chanson, tu rentabilises gratos – voire de façon rémunérée – un coup
- de foudre,
- de Trafalgar,
- de tonnerre,
- dans l’nez, whatever.
Ainsi le premier titre de la seconde partie rentabilise-t-il la perte des 2500 € promis en 2024 au vainqueur du seizième concours Andrée Chedid, pour lequel Romain Watson a musiqué « La route de Tintagel » de Jean Dewint… en faisant top 10 sans passer par la case jackpot. La musique revendique une délicatesse qui habille gentiment un texte positionné entre « Le Sud » et « Syracuse ». Le tuilage est naturel entre cette fredonnerie – dans laquelle le narrateur explique partir le soir même à Tintagel, endroit super – et « Notre secret », fomenté pour le festival Komm Bach! et où l’auteur déclare « venir d’une vieille ville, le cœur inachevé ».
Ce voyage extérieur de l’auteur franchit un step dans l’intimité avec « T’as tout de tatoué » et la chasse au trésor dans la jungle d’une peau taguée que la chanson raconte. Derrière la parophonie soooo pop française, Romain Watson et Magic Mélanie construisent une rythmique qui fait travailler la nuque et les cervicales des spectateurs, quasi sur le point de headbanguer comme s’ils dansaient sur des gwerzioù des sœurs Goadec. Derrière le fantasme du corps écrit se profile l’envie de « fuir la routine » puisque « l’amour n’est rien s’il est pris au piège » ; d’où l’insertion d’une reprise de « Dormir dehors » de Pascale Monique Filippi et Jean-Jacques Daran, dont la gloire et le souvenir sont passés… mais pas le tube ! On y apprécie la qualité d’une cover à découvert, très acoustique, où les talents du guitariste rappellent si besoin que le chanteur est également un excellent gratteux.
Dans ses créations comme dans ses reprises, Romain Watson fait habilement dialoguer son personnage calme avec des pulsions
- d’ailleurs,
- d’altérité et
- de dinguerie.
L’intérêt est que l’olibrius ne joue ni au bipolaire, ni au rebelle intermittent. Il donne à entendre la tension intérieure qui a quelque chose d’autobiographique pour chaque auditeur, en la revêtant d’une sérénité roborative. Dans « Là, chez moi » (retour du jeu de mots bien pop française), il décrit une « belle journée pour tout foutre en l’air » y compris, sacrilège suprême à notre époque, le cellulaire. La fuite et les voyages évoqués depuis le début du set deviennent un projet intériorisé que matérialise la punchline « Lâchez-moi, là, chez moi ».
« Wrapped in your arms » file non le coton mais la thématique du cocon, voire du coconfiné puisque la chanson a été composée pendant le Grand Enfermement covidique. Romain Watson y dessine le refuge amoureux ou fraternel que constituent les bras de l’autre. De la sorte, il déploie le double motif du corps et du lieu qui anime ce second set, avec une musique propre à faire chanter le Kilomètre zéro et regretter les non-fumeurs de ne pouvoir dégainer un briquet afin de mettre le feu dans le public, ainsi qu’il se pratiquait dans un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître, je le crains.
Romain Watson a conscience de son audace en glissant « C’était ici », mémorial « que j’aime bien » pour un brassenssique « petit bout de paradis » qui n’habitera plus sa chambre. Là encore, le plot (la mort d’un fort jeune enfant, suppute-t-on) est évoqué par une topographie symbolique, presque métonymique, chargée d’évoquer à la fois
- un moment (« c’était l’enfance »),
- un lieu (« c’était ici ») et
- une absence (utilisation de l’imparfait, qui est le temps de la durée – par opposition à la ponctualité du prétérit – interrompue – puisque c’est un temps du passé).
Une chanson douce et triste a-t-elle de quoi gâcher la fête pour un concert de bar ? Elle a surtout de quoi ouvrir les possibles de la chanson avant de plier le game avec deux hits. « J’me balade tranquille » persiste dans la volonté de l’auteur d’évoquer la fructueuse contradiction entre l’envie d’ailleurs et le désir d’être là. Séduit par le large spectre musical proposé par le duo du soir,
- de la grosse machine pour Zénith
- au titre intimiste à chanter seul sur une scène ronde au milieu du stade de France
- en passant par la cover de classique qui va bien, genre Romain Watson au coin du feu,
chaque spectateur pensera, comme Romain Watson : « J’veux pas qu’ça s’arrête ». Le tube est hyperefficace tant la musique dansante défie un texte mélancolique, à l’instar des sautillements de « Je chante » du grand Charles qui contredisaient les paroles mortellement ficelées. Or, la fin d’un concert réjouissant ne situe-t-elle pas le spectateur entre la joie d’avoir partagé un moment artistique rien chouette et la morosité à l’idée de devoir revenir dans son autre vraie vie ? Dans ces circonstances, climax d’une set-list finement pensée, cet ultime shoot d’énergie est parfait pour clore le double tour de chant en donnant envie de r’commencer la fête. Chiche ?