Trilogie parisienne

À Saint-André de l’Europe (Paris 8). Photo : Jacques Bon (http://www.cafcom.net/).

 

D’ordinaire, la série des « improvisations pour la sortie de la messe du samedi soir » se présente sous forme unitaire : une impro par semaine environ, comme le titre le laisse entendre. Mais pour le catholicisme, l’Un est triple. Aussi, lors du week-end du 20 juillet, j’ai enregistré une improvisation à chacune des trois messes dominicales.

 

 

La première raconte la colère de Marthe, en écho à l’Évangile du jour. On connaît l’histoire (Lc X, 38-42) : Jésus débarque chez Marthe et Marie. Marie s’asseoit à ses pieds et l’écoute dégoiser. Marthe fait le service. Voir Marie glousser aux pieds du maître sans se sortir les doigts pendant qu’elle s’échine à servir les petits fours, plus le temps passe, plus ça la hérisse. Ça tourne. C’est difficile à verbaliser. Ça se cristallise autour d’un motif. Ça ressasse. L’itération fait boule de neige. Les décibels s’agrègent à mesure que monte le ressentiment. Ça cherche le bon moment pour exploser (quelques siècles avant d’exister, Big Ben résonne même fugacement). Ça se confronte à la saturation, à la stagnation, à l’étouffement. Et ça explose enfin quand le Christ envoie bouler Marthe sur l’air du « bien fait pour toi, l’autre est moins stupide que toi ». Après l’explosion, ça n’arrive pas à s’éteindre. Ne le veut pas. Se stabilise. Perdure dans l’écho du silence. Solitaire. Définitif. Incendie perpétuel.

 

 

La deuxième raconte la joie de la Parole, en écho au verset alléluiatique du jour : « Heureux ceux qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance. » (d’après Lc VIII, 15). La musique ausculte le bonheur qui croît à mesure que la Parole porte du fruit (donc que le son s’amplifie). Elle manifeste le ressassement de la Parole, sa force qui va avec une pulsation obsédante. Elle s’aventure à évoquer l’humanité du chrétien avec d’étranges dissonances, syncopes, sursauts, derrière l’apparente sûreté de l’itération tenant lieu de foi. Enfin, elle semble aspirer à s’apaiser en Dieu en cheminant vers une coda plus sereine, jouée comme un long point d’orgue diffracté – et hop.

 

 

La troisième raconte la fulgurance du Voyageur, en écho à la première lecture du jour (Gn, XVIII, 1-10a). Classique du récit vétérotestamentaire : aux chênes de Mambré, « le Seigneur » apparaît à Abraham sous la forme de trois voyageurs. Il les invite à casser une graisse, boire une chope et profiter d’un pédiluve. Les zozos acceptent, apprécient et, au moment de partir, le Voyageur promet à Abraham qu’il reviendra et que, alors, le vieux aura enfin un fiston. La musique zoome sur ce qui se joue lors du micro-instant de cette promesse. Éloge de la parole performative. Jaillissement de la fécondité du Verbe. Déchirement du rationnel et du raisonnable. Coups de boutoir dans la réalité. Insaisissabilité intellectuelle de ce qui se noue, se renverse, s’accomplit pour Abraham, pour le croyant et pour l’homme. Échos infinis et déformés de la parole de Dieu. D’un triple voyageur, en somme.

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