
Le 21 juin, en la collégiale de Montmorency (Val-d’Oise), la nuit des églises était l’occasion de glisser un récital autour des rires de Dieu. La troisième improvisation de la Suite fantasque improvisée autour de cinq rires de Dieu s’enfilochait autour du quatrième verset du deuxième psaume, traduit
- çà « Celui règne dans les cieux s’en amuse »,
- là « Celui qui siège dans les cieux rit ».
Cette double proposition est signifiante car le deuxième psaume est résolument ambigu. Il a
- un côté « vanité des vanités, tout est vanité », façon l’Ecclésiaste, où la finitude humaine est un assommoir poussant à la soumission désenchantée ; mais il a aussi
- un côté « tout est foutu, donc carpe diem », poussant à la YOLO attitude et à la revendication d’une forme d’interdiction d’interdire.
Au début du texte est l’amusement insouciant. Double, l’amusement :
- celui des hommes qui rêvent de vivre sans entrave ; et
- celui de Dieu qui les regarde faire, bonhomme et gentiment moqueur.
L’orgue en rend brièvement compte, entre
- rebonds toniques,
- légèreté ornementée et
- libération de la gravité.
Puis une première anicroche musicale laisse entendre que le carnaval risque de claudiquer un tantinet. Le ver est dans la pomme. Il grignote. Parfois à bas bruit, parfois comme une évidence dont il devient compliqué de dissimuler les dissonances. Le doute
- s’insinue,
- devient inquiétude,
- contamine l’insouciance plus enfantine qu’infantile de l’incipit.
Le motif liminaire s’effiloche mais demeure reconnaissable, écho nostalgique d’un désir de libération et d’ivresse. Les cornets de l’instrument tentent de redonner de la vigueur à ce cri de ralliement des festoyeurs. Cependant, des secondes dissonantes semblent subir les vibrations du rire moqueur de Dieu.
Un bourdon de pédale, sourd, installé dans le tréfonds des grave évoque cette déstabilisation inquiétante, d’autant qu’il apparaît comme le seul élément stable dans cet épisode où
- tournoiement vain,
- ressassement obstiné et
- entraînements grégaires
dessinent, en modifiant le tempo, un espoir désormais désespéré d’échapper à la pesanteur et à la fatalité humaines. Comme en écho au rire liminaire, j’ai volontairement laissé la fin de l’histoire doublement en suspens :
- en fragmentant la coda et
- en évitant de la résoudre.
L’efficience du rire divin est à la fois manifeste et contenue. Certes, elle a renversé l’insouciance et la révolte. Certes, elle a vaincu l’autodétermination anthropique et la volonté de démissionner les Cieux. Toutefois, elle ne l’a pas annulé. Le motif liminaire reste dans la tête. Il faudra
- rire,
- rire encore,
- rire toujours,
mais ça ne suffira pas à dompter les créatures. Dieu ne s’y trompe pas. Après le quatrième verset du psaume, qui a inspiré cette improvisation, l’heure est
- à la fracasse,
- à l’humiliation,
- à la brisure.
Dieu tout amour n’existe pas, s’il a jamais existé dans l’imaginaire juif. Soudain, Dieu tout lui-même parle aux hommes « avec fureur, et sa colère les épouvante ». Il enjoint à son fils de tout détruire avec son « sceptre de fer » ; il ordonne aux hommes de choisir entre se soumettre et « être perdus ». Dans la gamme du psalmiste, le rire était n’était rien de plus
- qu’une note de passage,
- une inquiétante bizarrerie,
- une fausse note vite cautérisée.
Et dans le recueil vétérotestamentaire comme souvent, les meilleures blagues restent toujours les plus courtes. Ce qui paraît long, c’est le reste.