Irakly Avaliani joue Domenico Scarlatti (Sonogramme) – 4/4

Quatrième de couverture

Quadruple finale en Ut, pour ce disque de sonates de Domenico Scarlatti, le majeur l’emportant sur le mineur par le score sans appel de 3-1. La première sonate majeure, dite K.159, se lance dans un vivacissimo ternaire qui a déjà commencé quand la première mesure apparaît. La fanfare qui éclate n’est point qu’ultravivace, ce qui serait déjà pas mal. Elle est aussi

  • bondissante (les staccati),
  • vibrante (les trilles),
  • dynamique (les appogiatures) et
  • modulante (Sol puis Ut mineur).

Irakly Avaliani, habile utilisateur de l’agogique, s’en tient ici à une exigence délicieusement métronomique – et un oxymoron, un ! Cela ôte toute précipitation et renforce l’énergie de l’ensemble par cette impression de joyeuse fatalité entraînante qui en émerge. Domenico Scarlatti garde quelques atouts pour la seconde partie, dont

  • des mordants qui multiplient les pétillements (l’interprète avait sans doute snobé celui que proposent certaines éditions dans la première partie afin de doper l’effet de la seconde partie),
  • les notes tenues en surplomb de la ligne mélodique, et
  • le quasi rubato en accélérant

qui débouche sur la suspension du discours avant que le premier motif ne s’impose à nouveau.

 

 

Pour faire sursauter l’auditeur, le pianiste aurait pu choisir une sonate mineure un peu molle du genou. Fidèle à sa ligne de conduite, il opte pour la continuité en assumant une tonalité guère éloignée (do mineur au lieu de Do majeur) et un tempo allant (allegro contre vivacissimo).

  • Vigueur martiale,
  • continuité entre doubles des deux mains,
  • charme
    • de la walking-bass,
    • des cahots des deux-en-deux et
    • des notes rebondissantes :

le clavier

  • miroite,
  • étincelle et
  • virevolte

avec une efficacité évidente. Ainsi Irakly Avaliani déploie-t-il une virtuosité étonnamment discrète.

  • La mise en doigts du texte,
  • le rythme,
  • l’incarnation par
    • les phrasés,
    • les accents,
    • le toucher qui donne de l’élan

sont si aboutis que la fluidité du morceau confine

  • au naturel,
  • à l’évident, et
  • à l’hypothèse que, en 2013, loin des monospécialistes, la sonate scarlattienne a peut-être trouvé son nouveau champion.

La seconde partie, tout aussi saignante, s’enrichit

  • d’unissons octaviés furibonds,
  • d’une synthèse des différentes formes croisées, ainsi que
  • d’hésitations modulatoires et de jeux chromatiques que Johann Sebastian Bach – quasi exact contemporain de DS – n’aurait pas reniées.

 

 

Retour au majeur pour la sonate K.49, mais pas de mollesse en vue – ce qui n’aurait pas été absurde pour préparer une dernière sonate encore plus étincelante après une miniature gnangnan :

  • la mesure est à deux temps,
  • l’affaire se joue presto, et
  • le compositeur n’hésite pas à booster son discours avec des triolets et des doubles croches.

Cependant, l’interprète souligne une autre qualité – triple – de la vitesse : c’est

  • la vibration de l’élégance,
  • la qualité du frôlement, et
  • la délicatesse de la sensation.

À feuilleter diverses éditions, on comprend que, parmi de nombreuses sources, Irakly Avaliani est allé chercher ce qui lui paraissait le plus juste, le moins fanfreluche et peut-être le plus historique. Les accents qu’il place permettent de swinguer la complémentarité entre

  • binaire et ternaire,
  • régularité et musicalité,
  • littéralité et inspiration.

L’association entre

  • séries de triolets,
  • fulgurances en doubles,
  • traits de gammes descendantes

scintille grâce à un jeu toujours très clair sans jamais s’engoncer dans la cristallisation de l’insensibilité. Il y a

  • de la finesse,
  • de la malice et
  • de la hauteur de vue dans cette façon très personnelle donc très convaincante
    • de s’emparer de la partition,
    • de la comprendre et
    • de la restituer avec art.

 

 

Irakly Avaliani choisit de boucler son hommage à Domenico Scarlatti, financé par le groupe Balas, avec la sonate K.420. C’est

  • furibond,
  • rugueux,
  • militaire,

mais c’est aussi

  • imprévisible,
  • insaisissable et
  • réversible.

Tel est l’effet de la virtuosité avalinienne à son climax : susciter une orgie

  • d’épithètes,
  • d’impressions et
  • de questionnements.

La seconde partie de la sonate n’innove guère mais permet à l’auditeur de se goberger de l’aisance digitale de l’interprète. In fine, un compositeur qui anticipe sur le zozo qui l’incarnera trois siècles après, même si l’on peine à le considérer comme un maître tant lui-même peine à nous inspirer une émotion, critère iconique de notre époque, mérite un coup de chapeau, et nous le lui accordons bien volontiers.

 

 

Par

  • sa science de la bestofisation,
  • sa force intérieure et
  • sa capacité de l’artiste à communiquer un sentiment de nécessité artistique à l’auditeur,

le disque d’Irakly Avaliani est un boost dont l’humanité urgente que nous fréquentons puisque nous en sommes membres aurait tort de feindre de l’ignorer. Parce que, sans ce disque, vivre est complètement possible mais peut-être complètement moins bien.


Pour écouter le disque en intégralité, c’est ici.

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